La route est droite à perte de vue. L’automobiliste s’y lance donc à fond dans une longue descente ! Quel choc, au moment d’amorcer la côte suivante, d’apercevoir assise au-dessus d’un buisson, une femme blanche à la chevelure très noire ! Le temps de réaliser qu’il s’agit d’une sculpture, la voiture est déjà loin ! Le réflexe de ralentir brutalement dans la montée vaut au conducteur une volée de klaxons rageurs ! Faire demi-tour entre les deux fossés est méritoire ! D’autant qu’il y a l’impatience d’aller “voir” ! Mais la récompense est là, lorsque, après s’être donné tout ce mal, les voyageurs entrent dans l’univers de Martial –alias Franck-- Besse !
C’est alors qu’apparaît sur le seuil de sa porte, un homme plutôt petit, sec comme un coup de trique, tout sourire de voir qu’il a des visiteurs ! Accueillant, volubile, se mettant immédiatement à expliquer son aventure sculpturale : depuis plus de trente ans, ce paysan, faisant oeuvre de tous matériaux, peuple son champ de personnages, animaux, groupes "racontant" une histoire, véhicules, etc. Le tout, grandeur nature, voire plus grand que nature.
Une démarche protéiforme, sans obligation d’unité, avec cependant deux constantes : l’humour, avant tout, qui introduit ici la petite touche drôle, là la parodie jubilatoire, ailleurs, le clin d’oeil, la complicité. Et comme, à en juger par ses mains déformées par le travail, il a longtemps souffert à cultiver sa terre, par un juste retour des choses, Martial Besse reprend très souvent des éléments de machines agricoles pour les intégrer à ses créations. Et en conserve d’autres encore intactes, auprès de vieilles souches aux formes inattendues récupérées dans les bois ; le tout faisant de ce champ banal, un lieu surprenant, sorte de musée ethnologique du matériel agricole d’avant l’entrée en scène des monstres contemporains.
La passion de créer qui l’a, apparemment, toujours tenaillé, l’a ainsi amené à embellir son environnement, de compositions diverses nées de son imagination, de poèmes gardés en mémoire depuis les lointaines années de l’école ("Le Corbeau et le renard"), d’émissions télévisées, adaptées à son gré, comme ce "Sphinx bicéphale", le "Char de Ben-Hur" ou quelque personnage exotique ! Au gré de son humour et de son humeur aussi, car cet homme tellement convivial raconte dans un grand rire que "tout ce qu’il fait, c’est pour rigoler!"
Et il “rigole”, Martial Besse, en martelant son sens de la morale, face au coq qui piétine le renard ; en disant son plaisir, surtout, de réaliser des femmes au galbe parfait, bâties solidement de parpaings et de ciment modelé et laissé à durcir, pour en garantir la longévité (car, il faut d’une part s’en réjouir ; d’autre part les en féliciter, sa famille complice l’a de tout temps encouragé à faire ces sculptures ; et ses enfants lui ont promis de les conserver avec amour lorsque leur père viendra à disparaître ! )
Mais, pour le moment, il a bon pied bon oeil. Un oeil coquin, d’ailleurs, lorsqu’il intitule l’une de "ses" femmes "Souvenir de mes mains" ; ou lorsque, à propos d’un "ange" très féminin aux ongles d’oiseau incrusté dans la chair d’un homme-proie allongé sur le dos, il choisit "Le martyre de l’homme par la femme" ! Tout pénétré de ses histoires, aussi, au long de la visite de son "Jardin des supplices" ; racontant, pour la femme nue près de la mare (où nage un authentique cygne blanc), qu’au début il changeait chaque année sa culotte mangée par le soleil et les intempéries ; mais que cela lui revenait trop cher : Alors, il en a peint une, et il s’amuse à poser ses mains sur deux fesses rebondies, de part et d’autre d’un "string" noir ! Et cet homme, assis le long du buisson, brandissant à deux mains un énorme phallus-champignon ? Il est l’apothéose : Martial Besse raconte que l’idée lui en est venue après un voyage de sa fille en Grèce**, mais il ajoute sans complexes que, puisque tous les éléments féminins de ce lieu "sont" ses voisines, il faut bien qu’"il" assure ! Et cet "autoportrait" laisse au visiteur la conscience de ce que peut signifier le mot "fantasmes" ! Un grand sens théâtral, aussi, chez cet hôte qui se livre à toutes sortes de facéties, comme de faire faire pipi au petit oiseau "stratégique" d’un immense personnage-totem ; mettre son bras dans la gueule du dinosaure ; conduire le char aux côtés de Ben-Hur, etc.
Rencontrer un créateur heureux est un événement rare ! Sans souci de célébrité ou de problèmes financiers. Créateur, simplement ! C’est le cas de Martial Besse, fier de ses oeuvres et du plaisir qu’elles lui procurent ; heureux du plaisir qu’il donne aux gens qui les découvrent ! Avec un regret que, voyageant si vite, ils soient moins nombreux à s’arrêter que naguère ! Et, parce qu’il est content, il invite ses nouveaux admirateurs dans sa cuisine. Là, entre la liqueur de pêche, la liqueur de noix et le marc faits maison, et qu’il "faut" goûter à tour de rôle, il prend sur le buffet une minuscule poupée articulée, aux seins nus, qui, agrandie, sera probablement sa création de l’an 2000 ! La tête en feu, il est temps de partir ! Au revoir, Martial Besse ! Merci pour ce grand moment chaleureux et riche ! A l’année prochaine !
Jeanine Rivais
**La carte postale portait une image du Dieu Bes (l’homonymie n’est-elle pas amusante ?). Sculpture (toute petite), en terre cuite, datant de l’époque romaine. Cette pièce a été retrouvée dans le puits de la Maison des Plaisirs, d’Ephèse. Il s’agissait probablement d’un talisman que l’on suspendait à la porte de la Maison des Plaisirs.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 66 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.