En breton, "Le Lagadec" signifie "Celui qui voit". C’est bien une sorte de visionnaire, héritier de son père barde, qui offre à tous les vents, ses sculptures monumentales : immenses pour leur permettre d’affronter les éléments ; à claire-voie pour y faire chanter le vent et jouer la lumière.
Totalement autodidacte, Le Lagadec a effectué un parcours inverse de celui des autres artistes : après avoir exposé ses œuvres dans des lieux "bien fréquentés", il a jugé cette démarche tellement vaine qu’il est rentré dans son village pour y ériger en plein champ, des sculptures qui devaient sembler hors de place entre les murs d’une galerie ! Vision saisissante que ces humanoïdes, sortes de dieux totémiques dressant leurs bras aux quatre horizons !
Il faut peu de temps pour décrire la gestation des mégafers de ce "maître-forgeron", conçus de façon intuitive, sans croquis préparatoires, sans même un atelier pour les réaliser : un simple établi de plein air, une scie et un chalumeau antédiluviens lui suffisent pour couper et souder à partir d’un trait à la craie, sur une plaque de métal, les éléments constitutifs des personnages qui le hantent. Mais passionnante est la façon dont il leur insuffle la vie ; déchire la ferraille ; assemble comme un puzzle les morceaux ciselés ; écoute tel le voyageur à la porte de Thèbes, le vent chanter dans les interstices ; laisse vagabonder son imagination au gré des harmonies ou des dissonances ainsi provoquées ; palpite au rythme de ses statues.
Car, même s’il s’en défend, Le Lagadec est un artiste, un poète assurément, cherchant dans la mythologie les dieux ou les héros capables de personnaliser son errance mentale. Parfois, d’ailleurs, un poème précède la sculpture, la violence ou le déchirement du texte libérant la forme solide. D’autres fois, il se livre à des adaptations personnelles, comme celle effectuée sur un "Prométhée" dont la tête de serpent implique l’insoumission par la connaissance…
Des affirmations bien tranchées ponctuent l’œuvre du sculpteur : Parce qu’un couple "n’existe pas", chaque personnage est seul. S’il y en a deux, ils sont dans un face-à-face conflictuel. Si c’est une femme, c’est une guerrière, mais ses hanches sont larges, car elle reste susceptible d’enfanter. Si elle tient dans ses bras un enfant, il est incomplet parce que, telle une goule, elle ne peut s’empêcher de le dévorer ! Seins proéminents, sexes érigés attestent que, pour être créatifs, femmes et hommes se doivent de garder intactes leurs capacités érotiques. Dans le même temps, leur attitude implorante témoigne de leur désespoir ; et leurs mufles, leurs mains griffues portent vers les cieux ouverts la clameur de leur folie !
Ainsi, les pieds dans la glaise à l’instar des Mégafers de Le Lagadec, le visiteur entre-t-il dans une fascinante mythologie parallèle, une relation exempte de la moindre complaisance, œuvre d’une sorte de rêveur marginal qui délaisse sa maison pour une cabane, refuse la couleur pour préserver ses statues d’une connotation à la mode, offre aux nuages fuyants
" Un visage tendu vers le firmament
Une quête vers l’absolu
Un désir de l’impossible ".
Jeanine Rivais.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 55 DE JUILLET 1995 DU BULLETIN DE L’ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.