Chaque été, Jean-Louis Vetter, fondateur du Centre Régional d’Art Contemporain du Tremblay et du Musée M’an Jeanne, et Ghislaine Morel peintre et sculpteur et co-responsable des deux parties de ce musée, proposent aux Icaunais et aux touristes de plus en plus nombreux, des manifestations d’une exceptionnelle qualité. L’été 2004 n’a pas failli à la tradition, au contraire ; et l’exposition proposée sur l’Art vaudou emporte esthétiquement et sans doute psychologiquement, le spectateur bien loin de ses propres racines ! 

 

          Cette exposition propose en effet peintures et sculptures africaines et haïtiennes. Peut-être, dans ces conditions, est-il bon de présenter au lecteur, un bref résumé de l’histoire vaudou à travers les siècles : 

Le VAUDOU est une religion qui tire ses racines d’Afrique, plus spécifiquement du polythéisme Fon et Yoruba et des cultes dahoméens, syncrétisme de rites animistes et du rituel catholique. C’est une religion évolutive, dont les rites s’adaptent aux événements relatifs aux différentes époques, allant parfois jusqu’à admettre le cannibalisme. Ainsi, les nombreux esclaves d’Haïti adaptèrent-ils les variantes importées d’Afrique, et créèrent une religion qui était un mélange nouveau de rites à la fois religieux et magiques. 

Le nom de vaudou symbolise un être surnaturel et tout puissant, représenté sous la forme d’un serpent non venimeux, auquel on attribue le don de prédire l’avenir. Les croyances vaudou se basent sur une généalogie des Dieux, leurs interrelations, leurs fonctions, leurs classifications. Leurs rites qu’utilisent les prêtres appelés houngan et bokô sont destinés à honorer les loas qui représentent des divinités, des génies, des esprits ancestraux que vénèrent les fidèles au cours de la cérémonie. Les manifestations des loas qui sont nombreux, peuvent aller jusqu’à la possession, et s’expriment lors de différentes occasions, qui peuvent aller du choc émotionnel, des bombances, des noces, des danses et toutes les cérémonies présidées par le houngan. 

Les pratiques vaudou  peuvent aller de simples ordonnances religieuses, au domaine magico-sacré et à la magie noire car on peut recourir aux loas de façon maléfique. Il est évident que pour les Européens, ce dernier aspect est celui qui a le plus marqué les imaginations, d’où une abondante littérature s’y rapportant.

(Documentation extraite de « La magie du vaudou ». Heresie.com)

Le catalogue de l’exposition du Tremblay propose par ailleurs un peu d’histoire du vaudou :

Affiche    Carte des lieux où le vaudou est florissant cabanes vaudoues Exemples de voeux déposés
Affiche Carte des lieux où le vaudou est florissant cabanes vaudoues Exemples de voeux déposés

 

 

 

 

 

 

 

DEUX QUESTIONS A JEAN-LOUIS VETTER : 

 

          Jeanine Rivais : Jean-Louis Vetter, pourquoi l’Art vaudou en 2004 ?

          Jean-Louis Vetter : L’idée m’est venue l’an dernier, lorsque j’ai visité en Bretagne une exposition qui avait lieu à Daoulas. Une très belle manifestation organisée par le Centre d’Art de cette ville. Nous ne pouvions prendre qu’une partie de cette énorme exposition, parce que le nombre d’œuvres était trop important pour nos locaux. Néanmoins, tout semblait s’organiser au mieux. Malheureusement, nous nous sommes heurtés à d’énormes difficultés inattendues. Lorsqu’au printemps nous avons voulu aller chercher les œuvres retenues, alors que tout semblait prévu pour l’organisation, l’installation, etc., on nous a annoncé que nous devions avancer une caution égale à la valeur des œuvres. Nous n’avions bien sûr pas une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros ! Il fallait verser cette somme parce qu’une telle exposition était en importation temporaire, et que le Musée d’Haïti ne permet pas son déplacement sans cette caution. 

          J. R. : Comment vous êtes-vous tirés d’affaire ?

          J-L. V. : Nous avons donc contacté deux partenaires de cette exposition qui sont en France : la Galerie Noir d’Ivoire qui est située rue Mazarine à Paris ; et l’Espace Loas qui est à Nice. Les propriétaires de ce dernier lieu sont en relation directe avec Haïti, où ils vont régulièrement chercher quelques peintures, mais surtout des « fers » que leur vendent les sculpteurs sur place. Grâce àces deux galeries, nous avons pu mettre sur pied l’exposition que vous allez voir.

          Il s’agissait aussi pour nous de marquer le bicentenaire de la Révolution haïtienne. Certes, nous n’avons pas vraiment matière à pavoiser, parce que nous n’avons pas réalisé là-bas que des faits glorieux au niveau politique ! Mais à titre personnel, nous souhaitions marquer cette date de la fin de l’esclavage ! 

          Nous sommes d’autant plus satisfaits d’avoir persisté, que la fréquentation du public a été de 20% supérieure aux expositions précédentes. Et ce qui nous amuse beaucoup, c’est que, traversant les cases, la majorité des visiteurs « joue le jeu » et dépose ses vœux au pied du « poteau mitan » !

 

Parcours initiatique : 

En effet, la cour est occupée par des huttes de branchages très rudimentaires, qui servent aux visiteurs de parcours initiatique, expliquant ici les différentes étapes du travail du fer, depuis les bidons récupérés dans les poubelles jusqu’à l’œuvre terminée… montrant les différents idéogrammes du vaudou, définissant les possibles raisons de faire appel aux loas (contre-envoûtement ; anti-drogue ; stérilité, etc.) Et, lorsque après la visite proprement dite, chacun revient à la case terminale, il semble approprié à beaucoup de visiteurs, comme il est dit  plus haut, d’ajouter son vœu à la pile de ceux déjà exprimés ! 

 

Parcours des salles : 

Prosper Louis    Leroy Exil    Lionnel Saint-Eloi       Louisiane Saint-Florent            Paul Dieuseul
Prosper Louis Leroy Exil Lionnel Saint-Eloi Louisiane Saint-Florent Paul Dieuseul

Dans les salles, le visiteur " rencontre " d’abord l’Art haïtien, ses peintures exécutées pour la plupart par les peintres du Saint-Soleil, et ses sculptures métalliques conçues à partir des fameux bidons devenus légendaires.

 

"Les peintres du Saint-Soleil : L’art des "Saint-Soleil" est né au début des années 1970 à Soissons-la-Montagne, en Haïti, à 1000 mètres d’altitude. L’Art naïf haïtien est devenu si prisé à cette époque, qu’il dérive vers une commercialisation intensive. Les premiers maîtres sont copiés ou imités avec plus ou moins de bonheur, ce que Maud Gerbert-Robart et Tiga n’acceptent pas. Ils ont donc l’idée de créer une communauté d’artistes issus du peuple, pour redonner une source et un renouveau à l’art. Prospère Pierre-Louis, Louisiane Saint-Florant, Antilhomme, Levoy Exil, Denis Smith, tous analphabètes, choisissent comme principe de base de la communauté, que l’argent ne doit pas polluer l’âme et le travail des artistes. Cette règle semble difficile à appliquer. Mais les résultats sont spectaculaires. La peinture de Saint-Soleil est parfaitement originale. Elle trouve sa source dans le vaudou. Elle éclate à la face du monde dans un style totalement neuf, et une force très surprenante. 

Malraux leur rend visite en 1968. Il est tellement impressionné par la force magique et la qualité de cet art si proche de l’Art brut, qu’il leur consacre un chapitre de son livre L’Intemporel…

Malheureusement, à partir de 1979, le beau principe de l’art pour l’art ne peut plus être respecté. Des toiles sont vendues. Pour ces artistes, il est de plus en plus difficile de travailler la terre pour vivre et de peindre ou sculpter après le labeur.  Ils deviennent des artistes à temps complet, le mouvement se disloque. Les cinq majeurs, Louisiane Saint-Florant, Prospère Pierre-Louis, Levoy Exil, Denis Smith et Dieuseul se séparent de Tiga et font une exposition intitulée Les cinq Soleils ".

En 1987 est construit un atelier-musée à Soissons-la-Montagne. En 1988, ils participent à l’exposition au Grand Palais à Paris, sous le titre " Art naïf, Art vaudou " organisée par Jean-Marie Drot. "

(Documentation Musée du Tremblay.)  

 

Richard Antilhomme
Richard Antilhomme

Extrait de l’entretien de Jeanine Rivais avec Reynald Lally, directeur de la galerie Bourbon-Lally à Port-au-Prince, qui avait prêté des œuvres lors de l’exposition " Haïti, anges et démons " à la Halle Saint-Pierre, à Paris. (Entretien paru dans un précédent Bulletin…)

          " Je pense à des artistes comme Antilhomme qui malheureusement souffre de la maladie de Parkinson, et dont la main gauche doit tenir la main droite pour qu’il puisse continuer de peindre : il est tellement content quand on lui achète un tableau, non pour sa valeur marchande, mais parce que l’on aime son oeuvre... Pour moi ce sont ces artistes-là qui sont le coeur d’Haïti…

          Saint-Soleil a commencé par hasard : un artiste contemporain du nom de Tiga avait eu une opération au poumon, et il avait dû monter vivre dans les montagnes. Il a là-bas distribué des toiles, des pinceaux, des couleurs, et tout le village a commencé à peindre. Il a aussi encouragé le théâtre, la musique, mais après toutes ces années, c’est la peinture qui a persisté, et des artistes de cette école sont devenus très connus, Prospère Pierre-Louis... 

          Je crois que ce qui a beaucoup aidé ce groupe, c’est la venue d’André Malraux. Lorsqu’il a vu tous ces tableaux, il a déclaré qu’un jour les artistes de Saint-Soleil seraient au Louvre, à côté de Mona Lisa ! Il était très impressionné par ce groupe de paysans. Ce que je trouve incroyable, c’est que certains soient restés très attachés à leur terre. Mais d’autres ont connu un très grand succès financier, par exemple Levoy Exil qui est à la fois maçon, paysan et analphabète : il se situait tout à fait au bas de l’échelle sociale. Mais, avec l’argent de ses tableaux, il a pu envoyer ses enfants à l’école, de sorte que deux d’entre eux sont docteurs ! C’est une ascension tout à fait inhabituelle dans l’île !... " 

 (Richard Antilhomme est mort en novembre 2002, à Pétionville, où il vivait avec sa famille.)

 

Nombreuses, les sculptures de métal ornaient une large partie des cimaises! 

 

Les bidons dans lesquels seront sculptées les oeuvres
Les bidons dans lesquels seront sculptées les oeuvres

          Puis le visiteur en vient à l’Art vaudou africain, avec ses magnifiques sculptures fétichistes : "… Tout commence, à en croire la légende, en la ville de Sado, par les amours fantastiques d’une femme de la tribu des Adjas, et d’une panthère. Un fils est né de cette union, demi-homme, demi-fauve, qui eut lui-même un fils dont la lignée se mit à adorer Agassou la panthère fabuleuse. 

Après de multiples querelles, la horde proscrite va par la force ou la ruse s’étendre comme une tache d’huile, dépasser les frontières et fonder un empire, en employant un moyen d’une redoutable efficacité : intégrer dans son panthéon les dieux des tribus vaincues… Pour se débarrasser de ces tribus ou des récalcitrants, elle va, parvenue aux côtes, entrer en contact avec les négriers et leur vendre les gêneurs.

          Ainsi, des tribus entières parviennent-elles en Haïti, conservant leur culte alors qu’il a disparu du Bénin, adaptant au nouveau contexte, leurs expressions créatrices… "

(Document extrait du catalogue de l’exposition.)

 

          Quoi d’étonnant alors que cette statuaire soit si lourdement chargée d’ethnologie, de psychologie, et d’une infinité de signes magiques qui se déchargent inconsciemment dans l’esprit du "regardeur" et le font frissonner, aussi détaché soit-il !Moins directement en prise avec la spiritualité ; plus " folkloriques " ; souvent très colorées, jalonnées de signes cabalistiques plus directement visibles sans être forcément interprétables, les peintures sont davantage les truchements de la vie quotidienne, villageoise, forestière… Sauf peut-être celles de Cyprien Tokoudagba, dont les personnages sont conçus hors de tout contexte, au point qu’ils semblent flotter au centre du tableau, et véhiculent une connotation plus fantastique. 

Fétiche avec crâne (Fon Bénin) Petit fétiche avec enfant et cadenas (Fon, Bénin) Statue assise (Fon, Bénin)
Fétiche avec crâne (Fon Bénin) Petit fétiche avec enfant et cadenas (Fon, Bénin) Statue assise (Fon, Bénin)
Notable Fon au milieu du XXe siècle
Notable Fon au milieu du XXe siècle
Frantz Zéphirin   Ilia   Jacques Enguerrand Gourgue   Cyprien Tokoudagba
Frantz Zéphirin Ilia Jacques Enguerrand Gourgue Cyprien Tokoudagba

   Ainsi, cette exposition proposant des œuvres anonymes mais devenues des « classiques » culturels et cultuels ; et des peintures et sculptures d’artistes dont la renommée, trois décennies plus tard, a franchi les océans, comme celle des « Saint-Soleil » fait-elle passer le visiteur du mysticisme et la sobriété des statues africaines à l’exubérance paradoxale des peintures ; de la raideur, la lourdeur des sculptures métalliques haïtiennes pourtant finement ciselées, à la magie de la peinture. Unissant une fois encore en une véritable osmose ces deux cultures lointaines ! Deux civilisations des mythes et des rites, fondues en un art tellement “différent” que, pour des yeux occidentaux, chaque œuvre apparaît, même arrachée à son contexte, comme un conte de fées qui, presque toujours, se termine “mal” ! Une expression déroutante, où se ressent, bien sûr, le poids des millénaires. Une vision multiforme d’un « ailleurs » qui s’est sans doute édulcoré, a souvent fait place à un « vaudou pour touristes », mais est demeuré pourtant vivant et coloré, très narratif de coutumes locales et religieuses mais dont il serait présomptueux de prétendre, au-delà du sentiment d’en saisir la démonstration discursive, en pénétrer l’esprit caché !  

Costume de féticheur      3 costumes de revenants
Costume de féticheur 3 costumes de revenants

Jeanine RIVAIS

 

Photos Régine Groux et Adeline Girard, Musée du Tremblay ; et Jeanine Rivais.

Centre Régional d’Art Contemporain. Château du Tremblay. 89520 FONTENOY ; Tel : 03.86.44.02.18.             

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 75 TOME 2 DE SEPTEMBRE 2004 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.