Etait-ce lui-même, ou était-ce quelqu’un d’autre, mais toujours le même alter ego que Paul Duhem peignit inlassablement, pendant les années à partir desquelles il fut, à plus de 70 ans, accueilli dans l’ambiance sécurisante de l’atelier de Bruno Gérard, à la Pommeraie, d’Ellignies Sainte-Anne ? Encouragé par l’artiste, il commença une création originale et inattendue qu’il poursuivit jusqu’à sa mort, en 2000. Etait-ce aussi la même maison –celle que, peut-être, il n’a jamais eue- qui revenait de façon récurrente sur ses dessins ? La même porte –qui lui aurait permis d’accéder à cette maison ? La même boîte aux lettres lui apportant des nouvelles du dehors ?
En tout cas, clef de voûte de cette iconographie sans doute très intuitive, il a réalisé des centaines de « portraits » de face, pris en buste à la manière des photos d’identité, tous construits sur un schéma identique : Sur un fond généralement monochrome et foncé appliqué à longs traits du pinceau, se détache un tronc monolithique, supportant sur les épaules sans cou, une tête petite mais lourde, au faciès souvent dissimulé sous une sorte de masque rigide dans une fente duquel n’apparaît qu’une infime partie de la bouche. Lorsque celle-ci est visible elle s’avère être composée d’un minuscule ovale coupé d’un petit trait horizontal. Les oreilles sont en pointe et largement décollées, à l’intérieur desquelles subsiste toujours une petite surface large comme une pastille, où le support est laissé vierge : ce possible orifice impliquait-il que Paul Duhem avait des problèmes d’audition ? Ou au contraire qu’il laissait un espace ouvert pour les bruits du monde ?… Et puis, presque rien, un nez terminé par deux minuscules orifices, des yeux faits de billes rondes avec un petit point noir au milieu, et parfois d’épais sourcils... Enfin, de façon presque récurrente dans chaque coin du haut des tableaux…
Comment, avec des traits aussi rudimentaires, et une telle raideur des personnages, ce créateur parvenait-il à traduire tant de nuances de caractères et d’humeurs, allant de (rarement) petites joies à des expressions (presque toujours) de tristesse ou d’épouvante, d’amour ou d’aversion… ? Cette question n’appelle en fait aucune réponse car cet autodidacte était incapable de se préoccuper du moindre « effet » spectaculaire ou factice : il peignait, tout simplement ! Ainsi a-t-il été l’auteur prolifique d’un travail obsessionnel, dont la répétitivité et l’immutabilité, la charge psychologique sont d’emblée perceptibles ! Cette œuvre, conçue avec une si grande spontanéité, une discrétion tellement marquée, n’a peut-être jamais libéré Paul Duhem de l’angoisse et de la souffrance, nées de la conscience très forte de sa « différence » ; mais elle lui a permis de les accepter sans agressivité. Désormais, l’artiste a disparu, mais face à son évidente honnêteté et sa grande modestie, sa création si talentueuse continue de susciter chez le spectateur, une vive admiration et subséquemment, une intense émotion !
Jeanine Rivais
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 72 tome 1 de FEVRIER 2003, du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.