Lorsque Rastignac lança sa fameuse phrase "A nous deux Paris", pensait-il qu'il générerait autant d'émules ; et que parmi eux se trouverait le jeune François Monchâtre, qui l'aborda modestement à dix-sept ans en entrant à l'Ecole des Beaux-arts, le quitta en 1952 et y revint dans les années 60. Entre temps, il avait pratiqué toutes sortes de métiers, mais surtout, il avait commencé à peindre.
Il faut dire que, orphelin de mère dès sa naissance, tiraillé entre son père et sa grand-mère, le jeune François a, dès sa plus tendre enfance, exercé son imagination à la création de petites machines ; et que, éternel observateur, il a profité ensuite des expériences multiples que lui procuraient les métiers très divers qu'il a exercés, pour aiguiser sa verve, son esprit caustique. Ajoutons que, depuis toujours lecteur assidu, il a ainsi "côtoyé' tous les grands auteurs, s'imprégnant de l'esprit de satire des uns, de la gravité, de la connotation sociale, politique ou religieuse, etc. des autres.
Ces années sont donc pour lui un moment de gestation, où il peaufine ses créations, et déclare : " Ce que j'aurais voulu faire, c'étaient toujours des choses d'imagination. Mon idéal, c'était de pouvoir commencer quelque chose. Mais quoi ? Je ne savais pas ! J’ai commencé par dessiner avec des craies et peindre sur des matériaux que je trouvais. Et ensuite, j’ai essayé de fabriquer des personnages qui ressemblaient à des personnes, des assemblages assez maladroits…".
Euréka ! Depuis l'enfance, il s'intéresse aux machines ; est fasciné par les engrenages… Qu'à cela ne tienne, il va créer des machines qui soient complètement inutiles, voire absurdes, mais sophistiquées, surprenantes d'ingéniosité, et en même temps porteuses de poésie. Il avance d'autant plus dans cette démarche, qu'exposant en 1963, à Paris, il rencontre d'autres artistico-bricoleurs comme lui, Tinguely, Arman, César.
Encouragé par ces créateurs qui, eux non plus, n'en finissent pas d'imagination, il se lance dans de drôles de "machines à rêver". Mais n'oublions pas son goût pour la littérature : il faut donc leur trouver des noms ! Se succèdent, se croisent, se chamboulent se font ironiquement concurrence, des "Monuments funéraires", des "Machines poétiques" ; utilisant du bois, du plomb, des jeux de miroirs, toutes sortes de rouages qui leur donnent l'air de véritables caméras, avions… dont les poignées disséminées rendent mobiles certains éléments. Et voilà les premières "Automaboules" "le mot principal dans le titre c’est maboul. C’est dingue une voiture !". Des "OPNI, des Objets Peints Non Identifiés (qui ne sont pas) "des constructions classiques". Et des "Germanopratines" qui sont, par définition des "femmes allemandes qui étaient jeunes. Et jolies ! Je leur faisais un beau corps".
François Monchâtre consacre donc les années 70 à ces étranges créations. Mais en même temps, il se rapproche d'Alain Bourbonnais, et de l'Atelier Jacob sa galerie parisienne hors-les-normes ; du site de la Création franche ; de ceux de l'Art brut donc. Et le voilà muséifié.
Et il peint. "Mes peintures", dit-il, "c'étaient les gens que je fréquentais. Oui, je les peignais. Mais quand je n'avais plus rien à peindre, je devenais fou" ! Le résultat de cet acharnement, est composé d'œuvres magnifiques, blanches, véritables fines dentelles d'une facture très sophistiquée. Ou des "peintures bavardes" qui lui permettent de créer des personnages, toujours les mêmes : les petits chefs, inconsistants et tyranniques qu'il déteste depuis toujours et dont il a subi la triste insignifiance au fil de ses expériences laborieuses. Définissant ainsi ceux qu'il va désormais appeler "les Crétins", personnages raides de leur pouvoir, toujours de profil, visages taillés à coups de serpe. Tous et toujours vêtus du même uniforme, un pardessus de couleur blanche, avec une ceinture ; manteau qui rappelle celui, terrifiant de la gestapo. Dans la poche est enfoncée la main côté visible, et accrochée à ce bras leur attaché-case symbole de leur "savoir" et de leur toute-puissance. Avançant au pas cadencé, en rangs de façon que pas une tête ne dépasse. Lui qui avait naguère rêvé de créer des boîtes, il va jusqu'en enfermer certains de ces tristes sires sous des cloches de verre de mariées !
Ainsi, François Monchâtre avance-t-il consacrant sa créativité débordante à multiplier ses machines bizarres, intemporelles, pleines d'humour, mais aussi de férocité à l'égard d'une société qui ne lui convient pas ! Générant ainsi un paradoxe entre ces sentiments et le fait de déclarer que ce sont des "machines à rêver" !
Dans le même temps, ses œuvres où s'épanouissent l'humour noir et le rire grinçant se retrouvent dans des musées français et étrangers ; apparaissent dans des expositions importantes, en cette époque où l'Art brut est en train de prendre son essor ; sont publiées dans des revues célèbres.
Les années passent.
Aujourd'hui, âgé de quatre-vingt-quatorze ans, François Monchâtre a pris une retraite bien gagnée. Mais son esprit a conservé toute sa causticité. Et, au visiteur qui lui demande ce qu'il fait de ses journées, il répond, l'œil pétillant : "Je ne sculpte pas, je bricole !". Et, à qui lui demande de résumer sa vie, il répond, insistant sur sa différence, sur la façon dont ses œuvres ont depuis toujours été en marge de la création classique, "Mes travaux ne faisaient pas partie du disque à envoyer à la Kommandantur ! Beaucoup d'artistes que je connaissais et qui faisaient de l'Art populaire, étaient géniaux. Je n'ai jamais été officiel, mais j'aurais voulu l'être ! Puis j'ai compris que je ne le serais jamais, et je me suis dit que c'était bien fait pour moi, que je n'avais pas besoin de ça. Les applaudissements, c'est faux. Car, même s'ils applaudissent, les gens vous laissent tomber ! Alors, je dis : Liberté ! Liberté ! Liberté ! C'est tout ! Etre applaudi, c'est dangereux. Il ne faut pas faire la même chose que tout le monde. Je suis Monchâtre. Mes désirs, mes objectifs commencent à se tasser. Maintenant, j'ai assez travaillé !"
Il n'en reste pas moins que machines et peintures continuent leur chemin, fortes, vivantes, interpellant toujours le visiteur. Tous éléments qui confirment, au fil du temps, qu'il a préservé son identité culturelle, son intense créativité originale, son inspiration … Qu’il a généré, en somme, hors de toute orthodoxie et de tout apport allogène, un univers pictural acide et exubérant. Tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ?
Jeanine RIVAIS
Les phrases en italique sont tirées de l'entretien réalisé le 8 septembre 2022, lors de l'exposition Pauzié-Monchâtre, intitulée "Des bons à rien et des crétins", présentée à la Collégiale de Loudun, mise en scène par Didier Bénesteau.
Lire cet entretien : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique Art brut et populaire.