LE MANEGE DE PETIT PIERRE

A LA FABULOSERIE

PAR LE THEATRE DE LA TETE NOIRE DE SARRAN

Création et mise en scène : PATRICE DOUCET ; Comédiens : SEBASTIEN PINON et ISABELLE MELNOUX

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          Très conviviale soirée, ce 19 mai 1995, autour de la Fabuloserie, même si en raison du temps incertain, la représentation prévue sur le site, a dû être transférée dans une salle des fêtes proche. 

          L'œuvre présentée ce soir-là (et qui fait le tour de la France), est une fiction. Elle met en scène deux personnages réagissant "en pendule" : l'un réel, Petit Pierre ; l'autre imaginaire ; une adolescente. La jeune fille symbolise le monde moderne, cruel, brutal, aux préoccupations uniquement matérielles, clinquant et falbala. Elle pleure, hurle, s'embellit, s'enlaidit, essaie en vain de lutter contre l'ennui, la stérilité d'un monde déshumanisé.  De l'autre côté, dans son univers de ferrailles, de boîtes, son bric-à-brac composé de mille riens, évolue Petit Pierre dont les mains déformées, la pauvre tête infirme, créent dans la solitude fleurs, jouets, animaux découpés, objets disparates… les assemblent pour en faire des groupes pleins de sens et d'humour, du rêve plein la tête. 

Cette jeune fille quasi-hystérique pourrait-elle être le fantasme le plus fou du sage et gentil Petit Pierre ? C'est peu probable ! Serait-elle sa conception de la "vraie vie" dont il a dû avoir bien peur, lui si mal adapté à la brutalité du monde ? C'est peu probable. Alors, son faire-valoir, son clown blanc destiné à mettre en relief une originalité poétique aux antipodes de ses disgrâces physiques ? En tout cas, dès l'abord, évoluent en parallèle, deux huis clos qui n'ont aucune chance de s'ouvrir l'un vers l'autre. 

Le décor de la pièce de théâtre
Le décor de la pièce de théâtre

          Et il faut, à ce stade, faire un reproche au metteur en scène. Si les deux acteurs sont séparément parfaits dans leur rôle, et si, dans leur relation, Petit Pierre est vulnérable et introverti comme l'était certainement le véritable Petit Pierre Avezard, en revanche, la démesure de l'actrice atteint un tel paroxysme qu'elle fait converger vers elle toute l'attention. Elle la détourne trop longtemps du sujet premier, au point que le spectateur a du mal à oublier ses "périodes hallucinées" ; à se dégager de sa violence pour revenir à la sagesse de son vis-à-vis, Petit Pierre, dont, avant tout, c'est l'histoire.  Néanmoins, (et il faut que le talent de Sébastien Pinon soit immense pour rendre la suite crédible), c'est lui qui, en une valse échevelée, reprend les choses en main et permet que, lentement, s'accomplisse le miracle : le lien prétexte est une tête de poupée, jetée avec colère par la jeune fille et que ramasse le jeune homme. Symbole d'innocence reniée, cette tête brisée est le premier élément à franchir le "mur" qui sépare les deux protagonistes. Dès lors, se créent des occasions de rencontres au bord d'une fontaine, le garçon fait, d'un morceau de bois dont la jeune fille ne peut voir l'intérêt, un bateau voguant sur l'eau…Petit à petit, elle se calme, il devient moins farouche. Les symboles se multiplient : elle lui offre un gâteau (acheté dans un magasin), il la remercie d'une fleur découpée (de ses mains) dans un morceau de tôle… Moments émouvants, où, comme dans la Belle et la Bête, les deux êtres apprennent à accepter leurs différences. 

 

Puis surgit la nuit, la mort de Petit Pierre. Apparaît la deuxième erreur de scénario, car logiquement, la pièce est terminée sur un grand moment de tristesse. Mais, pour prolonger la mémoire, l'auteur a fait ce que faisaient naguère au théâtre, les acteurs de one-man shows : quand, au bout de trois-quarts d'heure, ils étaient à court d'imagination, ils disaient au public : "Maintenant, je vais vous raconter une histoire"… De même, Patrice Doucet projette-t-il un court-métrage sur la vie de Pierre Avezard. Et, bien que ce film soit d'une infinie poésie, avec ses allées claires au bout desquelles le vieil homme nous quitte, de dos, dans un orbe lumineux, cette projection n'a pas, dans ce contexte, sa raison d'être. 

 

Mais peut-être faut-il être indulgent pour un jeune auteur qui s'est lancé à corps perdu dans une histoire de bruit et de silence ? Sa sincérité et son amour ne sauraient être mis en doute. Et il restait en chaque spectateur beaucoup d'émotion lorsque, revenu au milieu de la nuit à la Fabuloserie il s'est, en regardant tourner le manège, émerveillé une fois de plus de la créativité de Petit Pierre, de ce regard d'enfance par lequel il a mis en mouvement cent petites pattes, découpé mille fleurs, donné une vie à tant de métaux rejetés, créé une harmonie dont l'intensité rémanente a subsisté longtemps après le délicieux vin chaud qui clôturait la soirée ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 55 (p. 204) DE JUILLET 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

 

VOIR AUSSI "LE MANEGE DE PETIT PIERRE" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART BRUT (BIOGRAPHIE)

 

Les images proposées sont extraites du live : "LE FABULEUx MANEGE DE PETIT PIERRE" publié par LA FABULOSERIE (Editions Albin Michel)