GUSTAVE MOREAU : peintre, graveur, dessinateur, épris de mysticisme.. Professeur, ses élèves sont entre autres Adolphe Beaufrère, Henri Matisse, Albert Marquer, Georges Rouault... qu’il influence durablement. Il fait de nombreux voyages en Italie, pour copier les œuvres du Titien et les fresques de Léonard de Vinci. Dessinateur prolixe, il possède à la fin de sa vie de nombreux dessins, photographies, livres illustrés... Il lègue à la ville de Paris sa maison/atelier (devenue l’actuel musée) ; ainsi que l’ensemble des œuvres qui s’y trouvent : un legs de 850 peintures ou cartons ; 150 aquarelles ; plus de 13000 dessins et calques. "Je lègue ma maison... avec tout ce qu’elle contient... un travail de cinquante années, à condition expresse de garder toujours ou au moins aussi longtemps que possible, cette collection, en lui conservant son caractère d’ensemble qui permette toujours de constater la somme de travail et d’efforts de l’artiste pendant sa vie..."
Le 13 janvier 1903, le Musée Gustave Moreau est ouvert au public.
JORIS-KARL HUYSMANS : Ecrivain français, critique d’art. Un roman et un article sur "L’Assommoir" lui valent l’amitié de Zola. Il participe au recueil collectif "Les soirées de Médan", véritable manifeste du naturalisme.
"A Rebours" rompt avec cette démarche.
L’écrivain traverse une période satanique où se mêlent occultisme et sensualité ; puis il se convertit à la foi chrétienne liée à ses préoccupations esthétiques. Il effectue de nombreux séjours dans des monastères. Atteint d’un cancer à la mâchoire, il refuse de se soigner et meurt dans d’atroces douleurs.
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Sans doute, Huysmans découvre-t-il les œuvres de Gustave Moreau au Salon de 1876 ? Le peintre, violemment critiqué par la plupart des journalistes, suscite l’enthousiasme de l’écrivain : "Que l’on aime ou que l’on n’aime pas ces féeries écloses dans le cerveau d’un mangeur d’opium, il faut bien avouer que M. Moreau est un grand artiste et qu’il domine aujourd’hui de toute la tête, la banale cohue des peintres d’histoire... Sans ascendant véritable, sans descendants possibles, il demeure, dans l’art contemporain, unique".
Une véritable communion d’idées esthétiques lie alors les deux hommes. Pourtant, ils n’auront que des rapports très épisodiques. Ils ne se rencontreront qu’une fois, le 6 juin 1885, à l’initiative de Jean Lorrain.
L’exposition actuelle, organisée à l’occasion du centenaire de la mort de Huysmans, est la première depuis l’ouverture du musée. Elle est conçue autour des liens qui ont uni les deux artistes. Elle propose 70 œuvres de Gustave Moreau, et les contreparties écrites de J-K Huysmans. L’écrivain/critique a largement contribué à faire connaître le peintre, en particulier les Salomé. Peu de réactions du peintre permettent de savoir ce qu’il pensait des interprétations huysmansiennes, sauf quelques phrases telles que : "Vous les (ses modestes inventions) avez comme créées à nouveau de votre merveilleux et incomparable outil".
GUSTAVE MOREAU, CREATEUR MULTIFORME.
"Etre moderne ne consiste pas à chercher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait. Il ne s’agit au contraire que de coordonner tout ce que les âges précédents nous ont apporté pour faire voir comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en use". Cette phrase de Gustave Moreau éclaire son œuvre qui fut largement influencée par celles du Moyen-âge, mais surtout de la Renaissance (les coloris des peintures vénitiennes ; les fonds rocheux de Léonard de Vinci ou les figures endormies de Michel-Ange...). Mais il ne faut pas négliger les influences exotiques (Trésors et photographies rapportés d’Egypte ; exposition du Musée oriental en 1869...).
Etranger à tout réalisme, et désireux de se couper du naturalisme, Gustave Moreau fut l’un des artistes phares du Symbolisme qui a marqué tout le XIXe siècle. Faisant surgir son propre univers à partir de rêves, de souvenirs, de poésies ou d’idées mythiques, d’allégories, de spiritualisme, etc. ; s’efforçant de traduire "les éclairs intérieurs" qui sont en lui, il a créé un univers tellement fantasmagorique, qu’il a influencé des gens aussi divers qu’Oscar Wilde, Marcel Proust, et bien sûr les Surréalistes qui, à leur tour, ont contribué à sa renommée.
L’œuvre de Gustave Moreau ne comporte pas beaucoup de paysages, mais l’artiste qui se définissait comme "un ouvrier assembleur de rêves" peignit, à partir de 1870, de nombreuses compositions de paysages imaginaires, où les décors mi-fabuleux, mi-oniriques, l’eau, les roches avec des falaises, les pics infranchissables et les horizons clairs contribuent largement à cette définition. Toujours, Gustave Moreau sut patiemment accumuler dans sa peinture des détails empreints de mystères, de symboles et de passions cachées.
L’image de la femme fut obsessionnelle chez Gustave Moreau. Certes, il peignit Œdipe, Hercule ou Saint Sébastien..., mais la femme y fut de tout temps omniprésente : héroïne mythologique, biblique, antique... toujours issue du passé (ce qui a permis à l’artiste de la peindre parfois presque nue, alors que, fût-elle anonyme, ses œuvres auraient soulevé une levée de boucliers de la part de la bourgeoisie bien pensante de l’époque). La femme généralement porteuse de mort, de malédiction, elle-même maudite. Ainsi peignit-il Sainte Cécile, Bethsabée, Galatée, Hélène, etc. Mais son thème favori, repris à plusieurs époques, fut Salomé. Salomé à propos de qui J-K Huysmans écrivait : "Elle vivait, plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise ; elle réveillait plus énergiquement les sens en léthargie de l’homme, ensorcelait, domptait plus sûrement ses volontés, avec son charme de grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des serres impies...". Empruntant à Rembrandt l’expression des clairs-obscurs et à Delacroix la couleur pour donner à son tableau tout son mystère, Gustave Moreau peignit son tableau dans des rouges sombres et des dorés. Ce qui fit écrire à Huysmans que l’œuvre "était chargée d’effluves lourds de parfums". Truffée de symboles là encore, (une panthère noire ne s’est-elle tapie dans un coin du tableau, parce que le peintre voulait faire de Salomé une allégorie de la cruauté ?...). Une œuvre extrêmement décorative, beaucoup plus subversive que toutes les représentations de ce même thème par d’autres artistes.
Au moment de l’ouverture du musée, en 1903, les responsables de l’exécution testamentaire et le public furent surpris du grand nombre d’ébauches jamais terminées par Gustave Moreau, ce qui amena un critique à dénoncer "la maladie actuelle de l’esquisse et de l’inachevé". Il faudra attendre 1960 pour que l’on commence à s’intéresser à ces ébauches. Le fait est que, de son vivant, l’artiste n’a jamais montré nombre d’aquarelles aujourd'hui qualifiées d’"abstraites". Il n’a donné, non plus, aucune explication les concernant, de sorte que leur interprétation demeure tout à fait mystérieuse.
Néanmoins, précurseur sans le savoir d’un nouveau cycle de l’art, Gustave Moreau affirme, au terme de sa vie, son bonheur de s’être enfin émancipé de l’opinion du public : "N’étant plus en goût ni de me défendre, ni de rien vouloir prouver à qui que ce soit, j’en suis arrivé à cet état bienfaisant d’une humilité délicieuse vis-à-vis de mes vieux maîtres du passé et de cette unique joie de pouvoir m’exprimer librement et en dehors de toute juridiction". Il ose même une interprétation "tachiste" de certains oeuvres, sans toutefois se détacher des thèmes propres à la peinture d’histoire. Ainsi "La tentation de Saint Antoine" illustre-t-elle cette nouvelle démarche. Un artiste donc, de la plus grande originalité, d’un infini talent ; un génie du détail dans l’art ; décrié ou encensé par ses contemporains, difficile encore aujourd’hui à analyser. Un créateur qui, ne détestant rien tant que "l’art de marchand de vin" donna en toute plénitude à son art une dimension spirituelle. Un être dont la vie d’ermite fut l’absolu contre- pied de son œuvre multiforme à propos de laquelle Huysmans écrivit encore : "Jamais, à aucune époque, l’aquarelle n’avait pu atteindre cet éclat de coloris ; jamais la pauvreté des couleurs chimiques n’avait ainsi fait jaillir sur le papier des coruscations semblables de pierres, des lueurs pareilles de vitraux frappés de rais de soleil, des fastes aussi fabuleux, aussi aveuglants de tissus et de chairs".
Pour conclure voici une dernière citation de Huysmans -qui pourrait être en même temps,une sorte d’autoportrait, et qui ramène à la proximité d’idées esthétiques des deux hommes- : "C’est une nature d’exceptions, tracteur de joies voluptueuses et de douleurs... L’œuvre de Moreau est indépendante du temps…". Acceptons-en l’augure.
Jeanine RIVAIS
Musée Gustave Moreau 14 rue de la Rochefoucault 75009 Paris.
Tél : 01.48.74.38.50 Tlj. Sauf mardi, 10h/12h45 et 14h/17hl5. Métro Trinité. Bus 67, 68, 74, 32, 43, 49.
Entrée 7 euros / Réduit 5 euros info @musee-moreau.fr
Un magnifique catalogue très documenté accompagne l’exposition (20 euros ).Jusqu’au 14 janvier 2008.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 58 DU 4E TRIMESTRE 2007 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE