Présentés simultanément, le mouvement d'avant-garde hollandais De Stijl (Le Style) et Mondrian qui fut le mentor de ce groupe, ont fait l'objet d'une grande exposition au Centre Pompidou, au cours de l'hiver 2010 2011. C'était la première rétrospective importante, dédiée à l'artiste, à Paris, depuis 1969. "Figure emblématique de la scène artistique du XXe siècle, Piet Mondrian défend une esthétique universelle à travers la mise en oeuvre d'une plastique élémentaire"*.
Qui est donc Mondrian, qui est reconnu mondialement comme l'un des pionniers de l'abstraction ? De son vrai nom Pieter Cornelis Mondriaan, il est appelé Piet Mondrian à partir de 1912. Il était né le 7 mars 1872 à Amersfoort aux Pays-Bas. Il est mort le 1er février 1944 à New-York aux États-Unis.
A vingt ans, il arrive à Amsterdam pour y étudier l'art. La fin du XIXe siècle est marquée par un groupe de peintres dont les œuvres sont mal appréciées, souvent dénigrées : les Impressionnistes. Malgré le déni de cette vague nouvelle, ces Impressionnistes, tels Monet, Cézanne ; et avec eux "les Fauves", Van Gogh, Matisse, Van Dongen… imposent une ligne de création totalement différente des grands tableaux historiques qui ont précédé.
Penser à Mondrian, c'est immédiatement évoquer son oeuvre abstraite. Pourtant, influencé par les mouvements évoqués ci-dessus, il a longtemps été un peintre figuratif, peignant sur le motif, s'acharnant sur des natures mortes…
Toutefois, il a toujours essayé d'avoir un style très personnel et déjà, il est fasciné par les lignes : lignes entremêlées des arbres ("Etude d'arbres 2", 1913), des vêtements pendant sur un fil ("Ferme avec corde à linge", 1897), d'un clocher qui se détache sur l'horizon ("Eglise Saint-Jacob", 1898), etc. Et la plupart du temps, les couleurs choisies sont un peu sombres.
Mais, peu à peu, à l'instar de son compatriote Van Dongen, il cesse de reproduire la réalité, décide d'utiliser ses couleurs sorties du tube, sans mélange : "J'abandonnai la couleur naturelle pour la couleur pure. J'avais désormais le sentiment que les couleurs de la nature ne pouvaient pas être reproduites sur ma toile. Instinctivement, je sentais que la peinture devait trouver un moyen nouveau d'exprimer la beauté de la nature"*. Il cherche, il expérimente, jette des taches tourmentées sur la toile, fragmente les couleurs, comme dans "Moulin Winkel au soleil" ; ou au contraire, supprime tous les détails intermédiaires, crée un élément massif, presque monochrome, se détachant sur un fond travaillé dans le même esprit ("Moulin rouge").
En 1911, s'étant rapproché de ses compatriotes, il organise à Amsterdam, une exposition destinée "à présenter les tendances les plus récentes de la peinture"*. Il se rend à Paris… et découvre les Cubistes Braque, Picasso… ! Il y passe les deux années suivantes, et "fait un pas décisif dans son oeuvre"*. Trois toiles illustrent cette avancée : dans "Nature morte au pot de gingembre 1", les objets sont reconnaissables ; mais dans "Nature morte au pot de gingembre 2", seul le pot reste reconnaissable, les autres objets sont remplacés par des compositions parallélépipédiques, triangulaires, etc. Enfin, dans "Composition dans l'ovale avec plans de couleurs 2", le visiteur n'a plus que son imagination personnelle pour deviner (peut-être ?), ici un immeuble, là des éclairages ou des panneaux publicitaires, les deux lettres UB placées en bas à droite, laissant supposer qu'il peut s'agir d'une partie de "KUB" c'est-à-dire "Cubisme" ?
Désormais, à partir de 1914 et jusqu'à sa mort, voilà Mondrian peintre abstrait. Devenu également théosophe, il veut sans cesse dépasser la simple réalité qui l'entoure et s'intéresser aux lois qui structurent l'univers, comme l'opposition entre le vertical (la vie spirituelle) et l'horizontal (la vie matérielle), "les deux indispensables à l'équilibre du monde"*. Il a trouvé les bases de sa démarche nouvelle.
Jusqu'en 1920, Mondrian cherche, tâtonne, se rapprochant de plus en plus des principes qui deviendront immuables et l'accompagneront au fil des décennies : plus de vert, couleur de la nature ! Ne plus utiliser que les trois couleurs primaires (bleu, rouge et jaune) et trois valeurs (noir, gris et blanc) et que des lignes verticales et horizontales. Ses compositions abstraites s'inscrivent dans la recherche d'un équilibre absolu lié à une utopie sociale. "Tout se compose par relation et réciprocité. La couleur n'existe que par l'autre couleur, la dimension par l'autre dimension, il n'y a de position que par opposition à une autre position"*, a-t-il écrit au sujet de sa création ! Fin, donc, de toute signification dans les toiles, de tout symbolisme, simplement une recherche d'harmonie dans les agencements de formes et de couleurs. Des oeuvres de plus en plus dépouillées, où l'artiste supprime volontairement toute impression de profondeur, toute idée même de perspective ; totalement détachée, donc, de toute réalité. Où rien n'est symétrique, mais où tout est parfaitement équilibré : un art de "déconstruire la peinture" en ne présentant plus qu'une abstraction géométrique.
Une démarche tellement intransigeante que Mondrian se fâche, en 1920, avec son ami du groupe De Stijl, Théo Von Duisbourg qui a utilisé des diagonales ! Des écrits théoriques accompagnent son avancée picturale. Car, chez Mondrian, la théorie et le discours sont indissociables de l’oeuvre. "Sans eux, le tableau est inachevé et disparaît"*.
Ainsi, à la mi-XXe siècle, Mondrian est-il, avec les Russes Vassili Kandinsky et Kasimir Malevitch, l'un des premiers peintres à s’être exprimé en utilisant un langage purement abstrait.
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La première partie de l'exposition de Beaubourg suit pas à pas cette évolution de Mondrian, du Cubisme au Néoplasticisme, (nom sous lequel est connue la philosophie qui inspire ses tableaux). L'exposition propose une centaine de peintures et dessins réalisés à Paris de 1912 à 1938.
La seconde partie explique le mouvement "DE STIJL-LE STYLE".
En 1917, Mondrian et ses amis dont les plus connus sont Théo Van Doesburg et Gerrit Rietveld, créent le mouvement "De Stijl". Le but de ce mouvement est de contribuer au développement d’une nouvelle pensée esthétique, qui réunirait art et architecture. Les textes évoquent une société future parfaitement équilibrée où chaque élément trouve sa justification ; son utopie architecturale, basée sur une fusion généralisée (de la maison avec la rue, de la rue avec la ville…), va dans le même sens. Ils publient des manifestes, enseignent leurs nouvelles recherches dans des écoles d’art, fréquentent le Bauhaus.
Van Doesburg est peintre, architecte, éditeur, polémiste, et c'est aussi un militant infatigable : par ses voyages, ses contacts, il fait circuler leurs idées nouvelles dans le monde entier. Sa démarche en particulier et celle de Mondrian, inspirent grandement plusieurs générations d’architectes par la rigoureuse discipline de leur langage. D'autant qu'ils appliquent leurs théories avec, en 1920, quelques réalisations et de nombreux projets d’urbanisme dans lesquels sont évidentes les compositions de Mondrian avec leur disposition caractéristique de surfaces et de lignes : angles droits et couleurs primaires, façades plates divisées en compartiments géométriques qui intègrent portes et fenêtres, se retrouvent dans ces constructions.
Ainsi, les membres du mouvement De Stijl appliquent-ils les principes de l’abstraction géométrique à tous les domaines de la création qu’ils investissent, passant des arts plastiques aux arts appliqués. Cette même influence se retrouve dans les créations du design industriel, ne montrant que la forme épurée des objets et des constructions qui marquent encore les formes d’aujourd’hui.
Mais bientôt, adviennent des querelles, et le groupe se sépare. Cette seconde partie de l'exposition comporte bien sûr des oeuvres de Mondrian, mais aussi les photographies de son fameux atelier du 26 rue du Départ à Montparnasse (Paris) prises par de grands photographes de l'époque comme André Kertész ; des dessins et photographies des créateurs de "De Stijl". Parmi les artistes exposés, on trouve les peintres Georges Vantongerloo, Bart van der Leck et Vilmos Huszar, les architectes Gerrit T.Rietveld, Cornelis van Eesteren, J.J.P. Oud et Robert Van't Hoff ou encore le poète Anthony Kok.
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UNE EXPOSITION, UNE REVUE
"Dada" est une revue mensuelle d'initiation à l'art, créée en 1991. Chaque numéro traite d'un artiste, d'un courant ou d'un thème artistique, des origines de l'art à nos jours. Aujourd'hui sous-titrée "la première revue d'art", Dada s'adresse d'abord à un public jeune, et de manière générale à tous ceux qui désirent avoir une première approche de l'art.
Le N° 161 de janvier 2011 est entièrement consacré à Mondrian, à travers l'exposition rétrospective de Beaubourg. La rédaction résume ainsi son approche du peintre : "Entrez dans l’univers de l’artiste qui a changé la face de l’art, laissez-vous aller à observer ce qui vous entoure avec un nouveau regard... Du peintre académique d’Amsterdam à l’artiste abstrait de New-York, bienvenue dans l’oeuvre de Mondrian. Tout a changé mais n’ayez pas peur, ouvrez les yeux !
Surpris, déroutés, vous êtes happés par ces arbres aux branches tentaculaires, ces villes labyrinthiques au tracé mécanique, et il ne vous reste bientôt plus beaucoup de couleurs : du rouge, du bleu, du jaune et du noir. Votre monde ne tient plus qu’à une ligne".*
Très pédagogique, la revue reprend le parcours de l'exposition, passe par l'atelier de l'artiste, explique en termes simples les buts du mouvement "De Stijl"…, plonge dans son monde architectural. Crée même un petit dictionnaire consacré à l'artiste et à "De Stijl".
Enfin, pour le lecteur qui aurait de jeunes enfants ou petits-enfants, la Revue propose des jeux autour de l'abstraction, des constructions (boîtes, legos, etc.)… Une page BD… Et même, en conclusion, une fiche pédagogique/ jeu à partir d'un tableau du Douanier Rousseau, qui pourrait, par la folie créatrice et la densité de son contenu, être l'antithèse parfaite de l'oeuvre de Mondrian.
A explorer avec de grands yeux ! Bonne lecture !
Jeanine RIVAIS.
Dada : N° 161. En vente dans les kiosques : 7,50 €
* Les citations en italiques sont extraites de la Revue Dada ou du résumé du musée Pompidou.
L'exposition s'est terminée en mars, mais la Revue Dada continue à être en vente.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 65 DE JUIN 2011 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.