GERARD BECARUD ou L’ART DE FAIRE HURLER LES COULEURS !
*****
Au milieu des gris et des bruns neutres et sans verve de galeries sans inspiration, la surprise absolue vient des oeuvres de Gérard Bécarud. Le mot qui surgit spontanément pour les qualifier est provocation. Encore, se rapportant à une création où tous les défis sont lancés, toutes les références bousculées, est-ce un euphémisme !
Provocation par le choix des couleurs, d’abord ! Comme ce tableau où "l’Artiste" se met en scène vêtu d’un châle bleu, d’un pantalon à rayures noires, jaunes et rouges ; de chaussures moutarde “à la poulaine”, sous lesquelles il écrase un tube marqué “Bécarud”, d’où jaillit une peinture rouge-sang qui s’étale sur un tapis jaune-canari ! Faut-il s’offusquer de ce mélange détonant, tellement contraire aux académismes picturaux ? Ou se laisser séduire par cette permanente transgression ? Quelle que soit sa réaction, le visiteur est immanquablement fasciné, perplexe et surpris, tant l’audace de l’artiste s’accompagne de talent ! Une technique à toute épreuve l’”autorise” à “commettre” les plus extravagantes “narrations”! Et finalement, cerné de tous côtés par cette gouaille si pleine de bonne santé, le “témoin” mi-agacé, mi-amusé, commence à s’investir dans la démarche du peintre ; suivre du doigt les rondeurs d’une baigneuse obèse, et des yeux, le modelé de rayures galbées sur des mollets plantureux... compatir au manque d’inspiration d’un créateur tentant vainement de peindre une... rose rouge, etc.
Car la provocation ne se limite pas aux couleurs. Les thèmes abordés et la dérision étalée sur la toile entrent également en jeu, et surprennent par leur banalité, la quotidienneté des préoccupations d’un Gérard Bécarud (prétendument) désireux de “militer” parmi le tout-venant : ménagère devant son placard à confitures, danseurs de tango, vernissages, romans policiers signés Nestor Burma, etc. Ces productions très figuratives pourraient être d’une mortelle vacuité, sans la réflexion antithétique, le petit grain de sable qui, chaque fois, détraque la machine : Au milieu des appétissants pots de confiture, la ménagère (bossue) a placé des “poisons rouges” ; la "Dame au hénin" est hideuse à souhait ; l’énigme sera résolue par l’affreux roquet Nestor traînant en laisse un Burma manifestement débile...
Tout se passe comme si son sens inné de l’outrance amenait Gérard Bécarud à choisir une scène où rien ne devrait se passer, en extirper la quintessence grotesque, des sortes d’instantanés des fantasmes les plus terre à terre, de la médiocrité et de la laideur exacerbées.
Pour ce faire, sa démarche est double et la toile est souvent, elle-même, porteuse d’ambiguïtés : "L’artiste" (encore lui!), incapable de résoudre la quadrature du cercle, est drapé dans un châle-puzzle ; Nestor, le nez au vent pour mener son enquête, est constitué d’une infinité de petites pièces irrégulières ; "Totoche" est dans la boîte avec "les sardoches" : Bref, l’énigme est dans l’énigme!... Et chaque toile véhicule une telle jubilation maligne qu’elle exsude par tous ses fils, un humour noir au vitriol !
Même les lieux où il expose ses œuvres sont, pour Gérard Bécarud, une manière de prouver son indépendance d’esprit. Soucieux de porter vers des “ailleurs” non-conventionnels, sa bonne parole, il se manifeste dans des lieux tels que l’atelier transformé en galerie associative d’un artisan-tapissier d’Aubervilliers : Là, il offre périodiquement à une morne rue de cette sinistre banlieue, sa grande explosion de joie multicolore et sa hardiesse picturale.
Tout de même, aux dernières nouvelles, il a migré ... vers les Bourgeois de la rue de Seine, à Paris....
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996