LES CREATURES DE METAL DE HAUDE BERNABE, sculpteur
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Née à Brest, Haude Bernabé a gardé le souvenir du bleu du vêtement des marins ; du rouge des poissons frétillant sur le pont du bateau ; du vert des barques ou de la mer démontée ; de la patine dure des épaves ramassées sur les grèves au long de son enfance.
Un jour, elle a commencé à découper dans d’épaisses plaques de métal rigide, des petits personnages très ludiques : qui à cloche-pied ; qui jouant (littéralement) à chat perché, à la marelle... un autre se nommant P’tit Zeff, comme le moussaillon de naguère... Les jambes sont de simples tiges arrondies et toronnées ; mais repliées, tendues, déséquilibrées... ; les bras sans mains ou terminés de temps à autre par trois doigts largement écartés. La tête est toute ronde, un peu penchée, l’air pensif ; aux grands yeux bleus, capables de pleurer, comme ceux de La Femme du marin. Parfois, elle est faite d’une serpe, la bouche en “o” ; ou bien carrée aux cheveux-clous hirsutes, dents terribles, pour montrer que ce P’tit Zeff n’était décidément pas facile à vivre! Les corps-vêtements triangulaires comme dans les dessins d’enfants, martelés, surlignés de losanges ou d’étoiles, peints des couleurs fétiches de Haude Bernabé, ont la fraîcheur amidonnée des robes d’antan, lorsqu’il était important d’être “bien habillé”...
Ainsi, l’artiste erre-t-elle dans son enfance, anecdotique sans devenir narrative ; sautillant comme ses personnages, d’une réminiscence à l’autre... au point que pour chaque composition nouvelle, le titre génère l’oeuvre ; sans qu’elle en ressente le côté directif ; car, s’il implique le souvenir, il laisse la forme en devenir, et Haude Bernabé libre d’en jouer à son gré...
Récemment, elle a décidé de “grandir”, s’arracher à sa mémoire ; se créer un monde nouveau, adulte. Pour ce faire, elle s’est mise à ramasser dans les caniveaux rondelles et fils de fer... traquer le long des voies ferrées boulons et morceaux de métaux ; extirper chez les ferrailleurs les éléments des carcasses de voitures ayant, à ses yeux, des formes préexistantes qui l’inspirent. De ce bric-à-brac, elle arrache des personnages grandeur nature, ici un
Ermite, là un Marcheur... Pas d’esthétisme, dans ces assemblages. Mais, (comme, d’ailleurs, dans les oeuvres précédentes), un grand sens de “l’évidence” la poussant à “unir” telles pièces dont les bosselures, les couleurs résiduelles les lient dans son esprit ; une raideur des personnages frustes, à peine ébauchés, comme au stade de la genèse. Seul élément répétitif, une “colonne vertébrale” qui oblige à rester “debout”, ces créatures humanoïdes aux bords mal équarris, parce que le sculpteur préserve les accidents du découpage, la gestuelle des ciseaux. Bifaces, asymétriques, elles donnent envie de les toucher, vérifier d’une pichenette si elles se laisseront culbuter ? Le curieux constate alors que leur déséquilibre n’est qu’apparent, qu’elles sont bien là, solides et déjà matures, sérieuses comme des “grandes”, toisant de leur haut, leurs minuscules aînés.
Peu à peu, Haude Bernabé en est venue à de nouvelles créations lui donneront plus de fil à retordre (!) que ses gentils petits personnages, compagnons du passé !
En même temps, autodidacte, devenue créatrice parce que poussée par une obligation intérieure, une grande quête de vie, cette nouvelle recherche la rapproche des artistes hors-les-normes, trouvant dans les poubelles les éléments de leur création. Néanmoins, comme beaucoup d’entre eux -les authentiques, bien sûr!- appartenant à la génération trentenaire, sincères et ancrés dans leur besoin de “dire”, mais arrivés trop tard pour avoir vécu l’aventure de l’Art brut et de l’Art singulier, elle est incapable de se prononcer sur son appartenance à une quelconque mouvance : elle crée, tout simplement, éminemment solitaire ! Peut-être est-ce là la Nouvelle Singularité ?
Jeanine Rivais.
Haude Bernabé : Prix du Jeune Public 1996 de Champigny-sur-Marne.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES CREATURES DE METAL DE HAUDE BERNABE" : IDEART N° 54 DE SEPTEMBRE 1997. ET BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 61 DE NOVEMBRE 1997 ; ET N° 74 TOME 2 DE JUILLET 2004 : "L'ART SINGULIER A SAINT-JEAN-AUX-BOIS.