Sidération ! Le mot n'est pas trop fort, lorsqu'en entrant dans la salle, le visiteur se trouve face à face avec les personnages grandeur nature de l'invitée d'honneur, ANNE BOTHUON ! Il faut dire que cette sculptrice uniquement préoccupée de l'humain, ne fait pas dans la dentelle ! Ses créatures sont conçues avec de la ouate, de la gaze de tarlatane qui leur donne leur couleur blanc grisâtre, divers tissus… Tels la plupart des créateurs de personnages en terre, elle commence par les pieds, tasse la ouate pour former les jambes aux mollets bien esquissés, compacte ainsi le matériau afin que l'être en construction s'érige et se tienne vertical. Elle noue, pique et repique, zigzague, entrelace des fils de toutes couleurs, crée ainsi une apparence de vaisseaux sanguins irriguant des pieds à la tête son personnage. Lace, reprise, traverse, sillonne… Car il faut que ces investigations disparates deviennent un tout, qu'explose une sorte de puissance latente qui engloberait tous les possibles. Bientôt, c'est fait : l'infinie précision se retrouve désormais dans la pliure d'un coude, la saillie d'un genou, le creux d'un dos, les rondeurs d'un ventre, le repli ou la protubérance d'un sexe, l'attitude déjetée, gymnique, triomphale, passive… du personnage unique toujours vu à hauteur des yeux de la créatrice. Les plis du visage combinent toutes les expressions possibles d'un faciès humain. Ce visage maigre, épanoui, saillant, hâve… sur lequel est parfois tendue ce qui ressemble à une peau mal tannée, vieille, sans attrait ; ou au contraire -rarement, comme si ces êtres étaient tenus d'avoir un lourd passif derrière eux- lisse, avenante. Le nez est proéminent, les yeux globuleux francs, directs, rusés, doucereux… ! Les cheveux sont ras ou en savant désordre. La bouche close sur ses mystères ou béante hurlant à pleins poumons…

          Groupés, tous ces individus ont un petit air de famille : râblés, larges d'épaules et bombant le torse, toujours nus, sans aucun bijou susceptible d'atténuer cette nudité. Bref, hormis leur âge et leur attitude, rien ne laisse supposer qu'il existe des classes sociales dans le monde d'Anne Bothuon. Leur point commun pourrait finalement être ce petit air suranné qui les place hors d'un temps déterminé, d'un lieu particulier. Tous différents, néanmoins, chacun présentant un petit quelque chose qui en fait un être unique. 

          On pourrait à l'infini déterminer les traits complémentaires, opposés, similaires, personnalisés… de ces individus et se demander en quelle école de la vie cette artiste a pu apprendre à connaître si bien le caractère humain ! Subséquemment, face à cette foule massée en un même lieu, il est impossible de donner une définition rédhibitoire des créations d'Anne Bothuon.

 

          Remis de sa surprise, le visiteur peut alors admirer les toiles bifaces de l'artiste, corps suspendus surplombant les êtres évoqués ci-dessus. Revenues en deux dimensions, toutes des femmes vêtues de robes rouges, largement décolletées, la tête d'un gris cendré, les pieds nus posés ou plongeant dans une sorte de matière noir-grisâtre. Voir encore sur la scène, les femmes en noir, assises sur des chaises banales, arrogantes ou affaissées jambes allongées, repliées le long du buste… 

          Ainsi, la création d'Anne Bothuon est-elle incontestablement protéiforme. Tout en restant une et reconnaissable entre toutes. Il apparaît cependant, à l'évidence, que la partie maîtresse de cette création sont ses étranges compagnes et compagnons de ouate qui ont fait d'elle une figure de proue de l'Art textile dans le monde.

Jeanine RIVAIS