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Ce texte a été écrit lors du concert d'Avapessa, petit village de Balagne. Ce jour-là, ayant voulu sauver des adolescents en train de se noyer au large de la plage de l'Ostricconi, le chanteur avait lui-même vu la mort de très près.
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Tel Méphistophélès surgissant des flammes de l'enfer, Féli bondit sur scène, dans un rougeoiement très psychédélique…
A peine remis de sa surprise, le spectateur se retrouve dans une lumière d'un bleu lunaire, très froide ; revient à la chaleur rassurante d'une lumière jaune ; se retrouve dans un noir presque total : Rien d'étonnant, direz-vous, tous les musiciens se servent de ces effets de lumière ! Dans une époque de si haute technicité, pourquoi les artistes se priveraient-ils de faire jouer sur des claviers, des techniciens capables de réaliser n'importe quels effets ? Et c'est là que le travail de mise en scène pensé pour Féli, me semble intéressant : toute l'équipe a compris qu'user n'est pas abuser. Pas d'effets, ou juste ce qu'il faut pour créer l'émotion. Ce choix délibéré de sobriété, le refus de toute provocation témoignent d'un respect du public qui, à aucun moment, ne se sent violenté par des lumières trop intenses : Il a donc tout loisir de se laisser conquérir par l'omniprésence scénique de ce garçon un peu frêle, si jeune encore, mais qui sait mener avec beaucoup d'autorité et de professionnalisme, une équipe de vingt-cinq personnes. Car, "aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années", écrivait Corneille ! Cette maxime convient parfaitement à Féli dont la belle voix vibrante, bien timbrée, passe de la passion à la colère, de la tendresse à la persuasion, de la roucoulade à la narration. Même l'étranger qui ne comprend pas la langue corse, se laisse emporter par les vibrations de cette voix ardente, encore trop jeune peut-être pour savoir être de velours, mais déjà si prometteuse !
Omniprésent, Féli ? Certes, il sait l'être, servi par des musiciens et des choristes très statiques, dont les instruments et les voix le cernent, l'entourent, savent être efficaces et talentueux, tout en s'effaçant derrière le chanteur.
Méphistophélès, Féli ? En aucun cas ! Il parle dans ses chansons d'amitié, de nostalgie, de son besoin d'affirmer son identité. "Comment rester muet quand la Corse brûle, quand on assassine ses enfants ?" interroge-t-il. Et une fois encore, je me demande si les historiens parviendront jamais à analyser pourquoi et comment la Corse exerce sur ses artistes, une si puissante fascination ? S'ils obtenaient l'indépendance dont ils sculptent, peignent ou chantent les vertus, comment la vivraient-ils ? A quelle échelle promèneraient-ils alors leur nostalgie ? Peut-être serait-ce, après tout, un moyen d'élargir leur cœur, de porter ailleurs leur passion, d'ouvrir leurs yeux sur ce qui se passe dans un monde situé hors de "leurs" frontières ?
Je suis sûre que, la maturité venant, Féli qui sait si bien chanter l'amour, l'absence, son village et son île, saura mettre son incontestable talent au service de tous les affligés du monde !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993.