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Les 3 et 4 décembre, I Muvrini se produisent au Zénith de Paris devant une salle comble de cinq mille personnes. Les spectateurs sont subjugués par une présentation de haut niveau. La Corse est à l'honneur. (Intelligentsia)
Sillonnant les routes de Corse, le touriste aperçoit, sur les arbres, des affiches portant la célèbre tête ceinte d'un bandeau, et le nom I Muvrini. Il ne peut qu'imaginer un groupe local de chanteurs, porteurs d'un message populaire.
S'il n'accomplit pas la démarche d'aller l'applaudir, il le regrette lorsque revenu sur le continent, il voit reproduite à l'infini, la même affichette sur les murs du métro.
Alors, il va, cette fois, écouter, voir ces artistes qui ont décidé d'expatrier leur art, de sortir de leur insularité pour porter leur message.
Tout commence, dans une atmosphère bon enfant, face au talent naissant du groupe d'Albinu. Quelques guitares, un message et surtout un chanteur dont la voix grave apporte aux non-initiés la beauté âpre et multiple de l'île.
Lorsque apparaissent I Muvrini sur un fond de falaise, de mer d'un bleu intense, lorsque sont érigées les sculptures de Filitosa, alors la Corse entre en scène et le public entre en religion.
Le groupe parle de l'île, des problèmes auxquels elle est confrontée. Il chante la fraternité, l'amitié et l'amour en transposant ses angoisses dans une autre langue que celle revendiquée.
I Muvrini mettent leurs espérances et leurs frustrations à la portée d'une multitude on ne peut plus cosmopolite. Leur professionnalisme permet de doser à la perfection les moments de quiétude, de confidences, et les phases de délire.
Lorsque, aux sifflets des admirateurs, aux applaudissements frénétiques succèdent des moments de silence poignant, des centaines de petites lumières trouent la salle obscure. Chacun peut se sentir tenu dans l'orbe du chanteur, dans l'aura du groupe parfaitement soudé. François Bernardini évoque alors les débuts des chanteurs. L'époque où, autour de son établi de menuisier, le père-poète apprenait à ses enfants des chants patrimoniaux. Alors, apparaît la distance entre ce qui a dû être des moments de grande intimité et de complicité familiales, de convictions patriotiques, et I Muvrini aujourd'hui. Cette voix déformée par les micros, ces enchaînements musicaux totalement contemporains rendent-ils le vécu des frères Bernardini et des autres ?
A ce moment précis, quiconque est venu chercher l'authenticité, espérant entrer dans la confidence, commence à ressentir un malaise. A réaliser que si les mots sont toujours les mêmes, le message, vulgarisé, sonne faux. Cet immense succès met finalement à découvert une autre évidence : cette foule en délire n'est pas venue partager des malheurs, et compatir à une éthique. Elle est là pour applaudir ce groupe comme elle va applaudir Johnny Halliday, Michaël Jackson ou toute autre manifestation brillante -et bruyante- du show-bizz.
Pourtant, l'enthousiasme du public ne trompe pas. Il est transcendé pendant plus de deux heures trente. On peut dire aujourd'hui que "les petits Mouflons" sont devenus grands. Les voilà ambassadeurs de la culture corse.
En compagnie d'autres grandes voix comme Tino Rossi, Antoine Ciosi, les Polyphonies corses, Petru Guelfucci et bien d'autres.
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN DECEMBRE 1993 ET PUBLIE DANS LE N° 2 DE JANVIER-FEVRIER 1994 DE LA REVUE INTELLIGENTSIA.