"Fa", voilà un pseudonyme qui claque comme un coup de fouet, et témoigne du fait que l'artiste ne perd pas de temps, qu'il fonce avec ses œuvres originales, tour à tour ludiques ou graves, humoristiques ou dramatiques, irraisonnables et d’un imaginaire débridé, des œuvres éminemment insolites. D'autant que, né dans une famille d'artistes, il a prouvé depuis toujours que ce sentiment d'urgence remonte à son enfance, puisque sa première sculpture date de ses dix ans ! 

 

          Quel qu'ait pu être le cheminement de cet autodidacte devenu sculpteur, ses œuvres actuelles sont conçues en un matériau qui ne lui simplifie pas la vie : la cire. Qu'il aime travailler pour sa finesse et sa capacité à saisir l'essence de la forme humaine et de la nature ; pour sa malléabilité et le fait qu'elle ne se rétracte pas ; et malgré qu'elle reste fragile, qu'elle soit moins plastique que la terre. "J’ai voulu", dit-il, "travailler sur les aspérités de l’âme, mettre à jour l’intériorité humaine, les failles, les manques, les douleurs".

Autre sujet d'étonnement, Fa affirme qu'il s'agit de marionnettes dont chacun sait que, depuis l'Antiquité, elles exercent une véritable fascination sur les spectateurs, qu'elles peuvent exprimer tous les sentiments humains. Et pour prouver ses dires, il leur met bâtonnets et ficelles. Mais le tout au repos au-dessus de leurs têtes ! D'où le visiteur conclut, les voyant accrochées sur leur support, grimpées dans les arbres, se bécotant dans une alcôve… qu'il a devant lui d'authentiques humains, et observe ce qu'exprime chacun, à tour de rôle. 

Très vite, face à ces anatomies tellement réalistes, il prend conscience qu'elles vont le ramener dans un lointain passé et ressent un mélange de gêne et d'humilité à les examiner : Suspendues ou accrochées, toutes ces "personnes" ont des visages anguleux, têtes de morts aux bouches étrécies en de douloureux rictus ou béantes sur leurs cris. Leurs orbites dures sont vides de leurs yeux. Et les arêtes de leurs nez busqués dardent entre leurs pommettes creuses ; leurs cuirs chevelus sont disparus. Masculines ou féminines, elles sont recroquevillées, tordues ou étirées le long de l'unique plot qui leur sert de support. Leurs corps à la peau quasi-disparue comme chez les vraies momies, sont racornis comme par des années de dessèchement. 

 

          Les femmes ont des seins nus, leur corps drapé dans quelque oripeau, caché sous une jupette rose, voire se rafraîchissant au moyen d'un éventail incongru. Ces femmes désincarnées n'ont aucune chance de parvenir à "prendre", à "se tendre" vers l’extérieur, leurs bras pendant sans force, de chaque côté de leur buste, leurs jambes ratatinées pour s'empêcher de tomber. D'emblée, elles véhiculent une si lourde charge psychologique, qu’il est impossible de ne les juger qu’esthétiquement. Ce spectateur arrêté devant elles comme il le serait au fond de catacombes, ressent crescendo semblable sensation d'oppression et d'angoisse, en vient à se projeter dans leur mal-être existentiel évident ; à chercher quelque rémanence de la femme naguère vivante, deviner la souffrance, l’angoisse qui se plaquent derrière ces visages et ces corps osseux. Et comme chaque fois qu'il est confronté à la Mort, lui vient la sensation victorieuse d'être bien vivant, la certitude que même si, à travers ces œuvres, il lui faut admettre le caractère inéluctable de son destin, pour lui, à ce moment précis, triomphe la vie ! Peut-être, d'ailleurs, est-ce pour le rassurer, -se rassurer, car il ne sort certainement pas indemne d'une telle création- que Fa a placé sur plusieurs œuvres, une colombe blanche dont chacun sait qu'elle est symbole d'espérance et d'amour ?

 

          Totalement nus, les hommes sont conçus d’une sobriété absolue, tous différents, chacun présentant un petit quelque chose qui en fait un être unique. Ils tendent leurs mains osseuses aux doigts crispés sur le vide ou tiennent une croix. Quelle que soit leur apparence, il semble bien que Fa n’oublie jamais qu’en tous temps, en toutes civilisations, les reliques n’ont pas été conçues pour être belles, mais pour être révérées. Néanmoins, l’étrangeté de ses créations, leur beauté justement incontournable, la recherche particulière et l’imaginaire à la fois répétitif et individualisé qui ont accompagné leur gestation ; le soin et le talent avec lesquels il leur donne "vie" dans la mort, font que ce spectateur, sensible à la puissance qui en sourd et force intuitivement le respect, a le sentiment de vivre un moment authentiquement mystique.

 

          Complètement différentes, les œuvres de Fa qui ne sont pas suspendues, respirent la vie ! Mais en les montrant perchées dans les arbres, ne les ramène-t-il pas à quelque lointaine préhistoire ? Quoi qu'il en soit, il semble alors que ces individus aient tous un petit air de famille : râblés, larges d'épaules, dos musculeux, torse bombé, pour les hommes ; poitrines plates pour les femmes vêtues de drapés jusqu'aux pieds ; visages poupins pour les enfants ; crânes chauves pour tous. Des couples se forment ; des filiations apparaissent. Pères ou mères tiennent leurs enfants contre leurs corps, pour les protéger. Ces personnages expriment la tendresse, mais leur nudité et l'absence de toute suggestion d'abri hormis les branches d'arbres, témoignent de leur dénuement. 

             Ainsi … Mêlant esthétisme et originalité, Fa se débat-il ; joue-t-il parmi ses créatures mi-humaines, mi-fantasmagoriques ; en une démarche où rôde la mort ? Où vaillamment se défend la vie. Où le matériau de prédilection est transcendé. Où la poésie jaillit de partout. Confirmant par les conjonctions de ces éléments disparates, qu’il possède une grande maîtrise de l’infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une austérité remarquables ; qu’il est en somme un ethnologue talentueux dont les vestiges transportent entre vie et mort, le visiteur en son ballet singulier d'un baroquisme, d’une somptuosité, d’une si délirante facture, qu’elles pourraient avoir été empruntées à un Cabinet de curiosités. Il corrobore également que la sculpture en cire -ainsi qu'il l'avait affirmé- est plus qu’une technique ; qu'elle est un langage artistique. Elle traverse les cultures et les époques. Chaque œuvre en cire de Fa en est un témoignage.

Jeanine RIVAIS