J'ai assisté à tous les prix de 1971 à 1987.

• **** 1993 / 1994 / 1998 / 1899 : Voir textes http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART CONTEMPORAIN

 

• Les Grands Prix de l’humour noir ont été créés en 1954 par Tristan Maya afin de récompenser des artistes exprimant de façon plaisante une pensée désespérée. D’abord décerné aux seuls écrivains (Grand Prix Xavier-Forneret), le Grand Prix de l’humour noir est devenu pluriel en s’étendant aux arts graphiques (Grand Prix Grandville) et au spectacle (Grand Prix du spectacle). Un Grand Prix du disque fut remis pendant quelques années.

• La cérémonie d’attribution se déroule, le plus souvent le jour de Mardi-Gras, dans les salons du "Procope", à Paris. Les lauréats reçoivent, selon la tradition, les condoléances du jury ainsi que des écharpes funéraires libellées à leur nom. Une dotation "en liquide", sous forme de vin de Saumur, est également assurée par nos amis de la maison Bouvet-Ladubay (voir http://www.bouvet-ladubay.fr/.)

• Parmi les anciens jurés, citons Pierre Dac, Raymond Queneau, Hervé Bazin, Eugène Ionesco, Sylvie Joly ou encore Bernard Haller.

• Je suis, depuis plusieurs années, le président du jury dont l’actuelle composition est la suivante: Franz Bartelt, Patrice Delbourg, Eric Dussert, Yves Frémion, Dominique Noguez, Barbara Pascarel, Patrick Rambaud, Jacques Vallet et Christian Zeimert.

 

QUELQUES ESSAIS DE DEFINITIONS :

          Jean L'Anselme : L'humour noir, on le sait, est né d'une réflexion d'André Breton lorsqu'en 1940, il a rassemblé des auteurs de toutes nationalités, sous le titre "Anthologie de l'humour noir". A la lecture de sa préface, il est difficile d'en donner une définition. L'auteur disserte et philosophe sur l'humour en général.

   Quant à l'humour noir, il en fixe les contours en disant qu'il est "l'ennemi mortel de la sensibilité sur fond bleu et d'une certaine fantaisie à court terme ; qu'il est borné par la bêtise, l'ironie sceptique, la plaisanterie sans gravité".

  Il le caractérise surtout par des exemples, désignant Swift comme son véritable initiateur. Mais viennent ensuite des personnages aussi inattendus et divers que Lautréamont, Rimbaud, Baudelaire, Nietzsche, Villiers de l'Isle-Adam, etc. La présence de Vaché, Roussel et Rigaud permet, en revanche, de supposer que l'humour noir entretient une certaine complicité malsaine et perverse avec la mort et l'absurde, et se pose comme un défi à la morale.

          Je crois que l'humour noir a trouvé par la suite, ses meilleures définitions sous la plume de Chris Marker qui l'assimila à "la politesse du désespoir" et de Jacques-Henri Lévêque qui le considère comme "une mécanique qui, en général avec le sourire, mais souvent en grimaçant et quelquefois sinistrement, détruit la vision conventionnelle du monde".

          Michel Ragon, par ailleurs, assure "qu'il y a autant d'humours que de rires" et donne pour correspondance à l'humour noir," le rire jaune et grinçant".

 

D’OU VIENT L'HUMOUR NOIR ?(Extrait d'une interview de Bertrand Beyern)(Recueilli par Geoffrey Le Guilcher)

Bertrand Beyern – Vous savez, c'est récent l'humour noir. Ça apparaît avec la mort de Dieu, c'est Nietzsche. Il y a bien eu Swift (Jonathan) qui suggérait en 1729 de trouver un remède à la famine en Irlande en mangeant les enfants. Mais l'humour noir naît véritablement à partir de la fin du XIXe siècle, en Europe occidentale chez les orphelins de Dieu. On est parti de là.

Cet humour a-t-il été théorisé ?

Cela part de Jacques Rigaut ou Jacques Vaché, des types qui se firent sauter la cervelle à 25 ans. Ils vont accéder à une sorte de notoriété avec André Breton qui les évoque dans son Anthologie de l'humour noir. Son texte paraît en 1939 et se trouve censuré par Vichy. Ce bouquin présente une trentaine de grands noms majoritairement du début du XXe siècle. Pour la première fois, il y a dans un titre ce concept d'humour noir. Après, on peut discuter pendant des mois, on tombera toujours sur la phrase de Desproges : "On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui".

Quand débute le Grand Prix de l'humour noir ? 

Dans l'effervescence du Paris de l'après-guerre, Tristan Maya a l'idée de créer les Grand Prix de l'humour noir. Ce jeune libraire et poète d'Orléans définissait cet humour comme "la riposte des acculés". Maya lance le premier prix en 1954. A l'époque, il n'y a pas la pléthore de prix que l'on trouve aujourd'hui, il y avait le Goncourt, le Femina, le Renaudot. Le succès a été immédiat d'après les articles de presse, cela déplaçait des foules. Aujourd'hui, le prix n'est connu que des poètes et des initiés. Ce prix de l'humour noir se veut un prix un peu en marge, il s'intéresse à toutes les petites poussières logées dans la rainure du parquet, celles qui dérangent, qui grattent. Il se veut abrasif. Dans son jury, il y eut des gens comme Raymond Queneau, Pierre Dac, Eugène Ionesco... Il y a quand même une caution littéraire qui récompense d'ailleurs une œuvre littéraire avec le prix Xavier Forneret, un poète du XIXe Siècle. Le prix Grandville distingue quant à lui un dessinateur ou un peintre. Il y a aussi le prix du spectacle. Le prix du disque ne se justifie plus, il a disparu.

Sur quels critères délibère votre jury ?

C'est une sorte de conglomérat libertaire qui s'étripe à chaque réunion pour donner sa définition de l'humour noir. Il y a une chose sur laquelle on est tous d'accord, c'est qu'on n'est pas là pour remettre le prix du truc qui nous a tous fait marrer. On cherche quelque chose qui va à contre-courant, qui met quelque chose dans la balance, qui prend des risques. C'est très très difficile de trouver ça aujourd'hui. On en est de plus en plus à couronner des parcours, des types qui ont de la bouteille. On se dit : "C'est peut-être pas son meilleur livre mais pour tout ce qu'il a fait, il mérite un coup de chapeau".

Pourquoi est-ce plus difficile qu'hier de trouver une perle ?

Il y a un conformisme assez grand. C'est rare que nos âmes s'exaltent. C'est aussi le miroir d'un monde qui est moins littéraire. En 1957, le jury a ajouté un prix graphique : dessins, peinture, bande dessinée, c'est le prix Grandville. L'un des premiers couronnés a été Siné. Les palmarès sont la richesse du prix. Il y a très peu de prix artistiques dont le palmarès tient la route. Notre prix est honorifique, il n'y a pas de chèque à la clef, il est difficile de faire pression sur le jury. Il y a plusieurs lauréats qui ont dit "je déteste les prix mais c'est le seul que je voulais". Quand il l'a reçu, le Belge Noël Godin (dit 'l'Entarteur – ndlr) est venu s'auto-entarter. Ces mecs-là fuient les institutions.

Que leur remettez-vous ?

On remet une écharpe funéraire que je fais faire chez le fleuriste d'en face : "A notre regretté lauréat" et puis son nom en-dessous. On a par exemple couronné Brigitte Fontaine pour l'ensemble de son œuvre. Le seul truc qu'elle a demandé avant de venir a été "Est-ce qu'il y aura à boire ?" On est encouragés par des amis de Saumur, alors on remet à chaque fois une grande bouteille, du Saumur pétillant de la maison Bouvet-Ladubay. Les derniers lauréats du prix littéraire, on ne va plus les chercher chez les gros éditeurs. Vous en avez un exemple quand on récompense Martial Leiter (2010), peintre et dessinateur suisse. Mais on a aussi remis le prix à Woody Allen ou encore en 1975 à Patricia Highsmith qui est venue elle-même chercher son prix. Mais le plus grand, celui qui fait l'unanimité, c'est Topor. Roland Topor. Né en 1938, il a eu le prix en 1961 (la même année que le réalisateur Luis Buñuel, ndlr). Ce type avait dix mille idées à l'heure, il travaillait dans l'urgence, il avait défini son credo, je cite : “Illustrer sans complexe le sang, la merde et le sexe.” Il a fait un long métrage en dessin animé où le marquis de Sade s'adresse à son sexe. Il a fait Téléchat, Palace, Merci Bernard… Nous l'avions salué à 23 ans.

L'humour noir se raréfie ?

Nous ne sommes plus dans un monde qui rit, qui sourit. C'est surement lié à l'individualisme, aux techniques. Chacun peut s'isoler, choisir sa chaîne, sa musique, cela fait qu'on n'est pas forcément attentif à ce qui se passe autour. C'est là qu'on se rend compte que l'humour noir est en train de déserter. Est-ce à cause des nouveaux médias où toutes les paroles se valent ? Ajoutez-y la "déculturation" et la méconnaissance de la langue. L'humour noir n'est plus sur scène car l'ambition des jeunes comiques c'est de devenir chroniqueurs à la télé. On n'en peut plus des sketchs qui commencent par “je ne sais pas si vous avez remarqué mais…”.

Desproges venait bien de la télévision...

Quand Desproges est monté sur scène en 1984, c'était l'événement. Un type découvert par la télé qui n'avait fait que ça. Il disait lui-même “Je ne suis pas comédien.” Cela correspondait aussi à un moment de sa carrière où il ne voulait plus forcément “rire avec n'importe qui”. Aujourd'hui, vous voyez Arthur, Guy Carlier, Julien Courbet… On a banalisé le fait de monter sur scène. C'est très difficile de trouver quelque chose d'élevé. Côté dessin de presse, les dessinateurs sont quand même aux ordres. Il y a peut-être tout de même un endroit où s'est réfugié l'humour noir…

Lequel ?

Ce sont les arts plastiques ! C'est là que ça se passe. Car vous ne vous adressez pas à n'importe qui et ce n'est pas la première chose qu'on va aller chercher sur Internet. Il y a un foisonnement et une création dans ce domaine-là. A tel point que Yak Rivais, ancien président du Grand Prix de l'humour noir, a écrit un livre sur le sujet : L'art H.O.P. L'humour noir (éditions Broché). Et il donne la plus belle définition selon moi : “L’humour noir est le ricanement existentiel que l'orphelin de Dieu inflige par leur représaille aux valeurs des autres". Yak Rivais c'est le type qui dit “La télé ce ne sera pas possible". Il était l'un des seuls à s'opposer à ce que l'on couronne Groland (Grand Prix de l'humour noir en 2005 – ndlr) par exemple. Est-ce que la subversion est sur Canal+ ? De moins en moins.

Le niveau de perception du public serait aussi un indicateur au rouge ?

J'ai fait récemment travailler deux cents étudiants en communication. Et pour eux, l'humour noir c'est Canal, l'esprit même de la chaîne. Evidemment s'ils n'ont pas eu une initiation à la littérature, à la chose écrite... La langue et l'art oratoire vont revenir, on ne va pas vivre dans le monde de Kev Adams. Les deux cents gamins à qui je suis allé parler d'humour noir pendant deux heures, je leur ai dit : “Nabilla viendra à vous de toute façon. Elle est bien venue jusqu'à moi... Vous n'êtes pas sûrs d'avoir une vie longue, mais vous pouvez avoir une vie large”. La vie humaine n'est pas une durée, c'est une consistance, une densité. Et c'est nous qui nous la fabriquons. Depuis la phrase de Patrick Le Lay (ancien patron de TF1) sur le temps de cerveau disponible pour vendre du Coca, tout est fait pour la vie soit de moins en moins large, pour nous empêcher de penser. Internet a accéléré les vies de manière incroyable et a donné la parole à tout le monde. A n'importe qui et comme on ne peut pas donner la parole à n'importe qui, l'humour a glissé. Alors on s'accroche, l'humour noir est un humour de résistance !

 

(Résumé conçu en février 2021).