HYMNE A LA VIE CHEZ SYLVIA KATUSZEWSKI, sculpteur.
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Quitter de vieilles amies qui, depuis plus de vingt ans, sont nées de votre cœur et de vos mains, ne se fait pas sans souffrances ! Se remettre totalement en cause ; abandonner des sécurités récurrentes, lorsqu’on parvient à la moitié descendante de la cinquantaine n’est pas non plus facile ! C’est pourtant ce qu’a fait Sylvia Katuszewski lorsqu’elle s’est aperçue que son savoir-faire risquait d’engloutir sa créativité. Bien sûr, ce "changement" n’a pas été le fruit d’une froide décision. Comme lors d’une maladie qui "couve" en vous sans se déclarer, l’artiste a connu des angoisses dénuées de raisons, des questionnements ne recevant aucune réponse définitive… Elle s’est accrochée à ses "Mater Dolorosa", sculptures féminines, blanches ou polychromes, sorte de saga dans laquelle elle exprimait depuis tant d’années ses difficultés existentielles et ses paradoxes liés à de possibles souvenirs d’enfance, à des paradis terrestres explorés puis oubliés… Mais désormais, le doute persistait, l’obligeant à s’en éloigner.
Alors, elle a réalisé une multitude d’aquarelles qui, à ce moment-là, lui ont paru –et sans doute l’étaient-elles- primordiales : où des petits personnages évoluaient dans des jardins d’Eden ; où des enfants devenaient fleurs ou oiseaux… un monde idyllique, en somme, l’éternel hymne à la vie de cette artiste qui, parlant d’elle-même, dit : "Je suis née de la cendre…"
Il semble, rétrospectivement, que ces œuvres légères qui la ramenaient à deux dimensions, aient été autant d’escales où Sylvia Katuszewski reprenait son souffle, regroupait ses forces, tel le vent qui soudain s’arrête avant de repartir de plus belle ! Et c’est bien ce qui s’est produit car un jour a ressurgi son incoercible envie de plonger ses mains dans la terre. Cette nouvelle démarche à la fois liée à la précédente et complètement différente, la laisse encore dubitative, car elle s’impose sans que l’artiste puisse en saisir tous les tenants et les aboutissants. Mais d’ores et déjà, pour le visiteur, certains chemins apparaissent à l’évidence :
D’abord, elle qui donnait à ses œuvres des tonalités éclatantes, a choisi le raku, cette manière de cuisson de la terre aussi vieille que l’Homme, comme en un besoin de revenir à des techniques originelles. Ce choix ne s’est pas opéré au hasard, mais pour la symbolique qu’il véhicule : naturel et sobriété ; détachement, intériorisation et simplicité des sentiments. Terres cuites de façon à obtenir des grès rugueux, gris et noirs avec par endroits des flamboiements rentrés de rouges sombres ou de bleus froids ; et des nuances apportées par des glaçures plombeuses, épaisses et brillantes, creusées d’infimes dépressions.
Les formes, elles aussi, ainsi que leur chronologie, sont hautement symboliques :
Des galets, d’abord, qu’elle a triturés, chantournés… jusqu’à leur donner l’air d’avoir échappé au Chaos universel ! Et sur lesquels sont couchés côte à côte de petits personnages peints, aux bustes conçus en une ligne unique, expressive sans être réaliste, tandis que le bas des corps est informel, voire inexistant : les origines de l’Homme, en somme !
Et puis, par un besoin de structurer ces bouleversement cataclysmiques, l’artiste a commencé à réaliser des " plaques ", aux contours raboteux certes, mais incontestablement quadrangulaires : et, dessus, elle a gravé de nouveaux personnages tronqués par des enchevêtrements de végétations ou de rocs : l’Homme se levant, émergeant des éléments pour devenir lui-même…
Et Sylvia Katuszewski, dans cette promenade au fil des millénaires ? Il semble bien qu’ayant coupé le cordon ombilical qui la rattachait à ses précédentes créations, elle ne soit pas encore capable, comme il est dit ci-dessus, de s’affirmer haut et fort. Mais qu’elle se cherche ; qui mieux est, qu’elle cherche SA forme dans ce nouvel infini déjà si personnel : après les plaques où elle a tenté de faire surgir ces minuscules Golems, elle a, en effet, commencé une série de masques aux bords irréguliers évoquant des cercles, des rectangles, des triangles…
Sachant que depuis toujours et en toutes civilisations, les masques permettent d’explorer le tréfonds de l’âme humaine et à leur auteur d’affirmer différemment son identité psychologique et culturelle, faut-il s’étonner qu’elle ait -de même que l’enfant derrière son masque "se change" en fantôme ou en sorcier- tenté avec les siens de faciliter sa mutation, se changer en l’auteure d’une nouvelle génération d’individus naissant dans des espaces dont la définition s’affine peu à peu ?
Epais et lourds, ces objets cérémoniels portent des scarifications ou des reliefs, des motifs décoratifs… ou, à la place des joues, de petits médaillons aux visages découpés comme des camées, et à peine rehaussés de fins cheveux d’or jaune, situés à proximité d’une bouche béante, hurlant son cri primal. Porteurs d’une sorte de magie mimétique, ces masques ont apparemment permis à la créatrice -et ce mot prend ici sa force littérale- de réactiver son mythe fondateur et de créer une sorte de sculpture redevenue tridimensionnelle où, dans les plissements d’un magma figé pour l’éternité, émergent de petits individus encore incomplets, aux traits tout de douceur, aux grands yeux ronds, "beaux" de l’innocence originelle ; mais déjà soudés les uns aux autres, en une amorce de "vie" sociale…
Aucun doute n’est possible : Sylvia Katuszewski est parvenue à un point de non-retour. Sur des voies qu'il lui reste à rendre définitives, elle chemine déjà, déposant au long de son parcours des témoignages qui lui permettent de redevenir elle-même, d’être "elle chez elle", tout en étant autre et ailleurs ! N’est-ce pas là le rêve de tout artiste ?
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 73 TOME 1 DE MARS 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.