Longtemps, Dominique Lardeux a peint sur toile, des personnages enfermés dans des cadres, à la fois dans et hors décor : tendus vers l'avant comme pour échapper à leur solitude, émerger telles des sculptures, dans la troisième dimension. Des êtres graciles, mais toujours sculpturaux. Certains, écorchés, dépouillés de leur protection naturelle, jouaient de leurs muscles noueux, comme si, en plus de l'élan des corps, l'artiste avait, pour traduire la violence, la vitalité irrépressibles de ses créatures, besoin de cette précision anatomique !
Un jour, lui est venue la sensation d'user sa force en tombant dans un système ! Pour la conjurer, l'artiste a essayé d'utiliser d'autres enduits, d'explorer d'autres pistes. Mais une rupture plus définitive s'est avérée nécessaire : changement de support (de la toile au carton), de type de peinture (de l'huile à l'acrylique), de décor (des "cadres" à un travail sur les épaisseurs). Mais surtout, les corps sont désormais énormes, immenses, hypertrophiés, couverts de protubérances, sarcoïdes ou viscères efflorescents. Les membres sont terminés en crochets, bras-araignées, crânes minuscules dont les orbites n'offrent qu'un regard totalement introverti.
A l'inverse de la précédente démarche, la préoccupation primordiale de Dominique Lardeux concerne l'aspect des peaux de ses personnages. Pour les satiner jusqu'à donner envie de les toucher, une longue gestation est nécessaire : il passe des enduits sur certains points (aléatoires) du carton ; peint dessus des "bandes" de toile, puis les personnages. Le carton vierge "boit" la peinture et s'assombrit. Les passages enduits la refusent et restent très lumineux. Les bandes sont à mi-chemin entre les ombres et les transparences ainsi provoquées. Avec la brosse, l'artiste accentue les nuances, multiplie les épaisseurs, les petites touches superposées : travail rapide, démarche inexorable. Il faut donc accepter l'accident, en jouer, prolonger les effets provoqués par la trame, la teinte, les qualités originelles du carton. En même temps, l'artiste se cantonne volontairement dans une gamme de quatre ou cinq couleurs, mais des couleurs chaudes, des jaunes d'ocres, marron-rouges, dont les variations génèrent une aura de douceur, une intensité lumineuse, une intimité chatoyante autour de ces êtres douloureux.
La progression de ce travail fascinant rend profondément humaines ses créatures et fait de Dominique Lardeux un maître du "soyeux" et de l'"intime".
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994.