Il n'est que d'étudier les symboles et explications hautement psychanalytiques des philosophes ; relire les minutes des procès moyenâgeux tenus à l'encontre des bêtes ; revivre les peurs ataviques liées à leur présence ; suivre les arcanes de leurs incursions romanesques dans le monde des humains ; entendre le langage si particulier que créent pour eux les auteurs : sans oublier les caresses; injures et autres mots fleuris dérivés de leurs noms… pour avoir confirmation de l'immense intérêt et la fascination jamais démentie, exercée depuis la nuit des temps par l'animal sur l'homme. Et comprendre la persistance de sa représentation, fidèle, monstrueuse ou provocatrice dans le domaine artistique ! 

          Prouvant par ailleurs que la peinture et la sculpture figuratives sont toujours bien vivantes, notre fin de siècle n'échappe pas à sa règle. Et l'exposition au musée du Tremblay en est une nouvelle preuve qui, hormis les petites figurines pictographiques de M'an Jeanne désormais en permanence sur ses cimaises, propose cette année les œuvres animalières de cinquante-trois artistes ! 

Y sont représentées -sous l'œil impavide du tigre naïf d'un anonyme signant "R.F." choisi pour l'affiche- de multiples variantes naturalistes, humoristiques, fantasmatiques… de ce thème. Accueilli dès la cour par les canards et les crapauds de Ghislaine Morel, en résine colorée à patine de bronze, avec leurs pattes aux quatre doigts tellement… humains ; et les insectes de Jean-Louis Vetter ; les maîtres des lieux.

          Apparaissent ensuite les animaux stylisés de Reinhoud, et Khimoune, , les bêtes-soldats casquées de Sophido… Le visiteur rencontre sous les belles poutres du musée, les ânes du Poitou de Gilles Aillaud brossés à longs traits ; les têtes de moutons et de chèvres de Jean-Jacques Ostier ; les groins de Piotr Wojcik cernés de taches noires projetées sur la toile ; les vaches d'Alphone Alt d'un réalisme quasi-photographique mais dont les pattes s'estompent en une sorte de flou ; celles minuscules de Myriam Boccara peintes sur des couvercles de boîtes de fromages ; celle au contraire de Vincent Decourt immense et disproportionnée parmi les traces de terre, de paille déposées sur la toile comme au beau temps de l'Arte Povera ! Alain de Bourges et ses volatiles, Chan et ses incontournables poulets à la peau grumeleuse aussi vraie que vraie ; le gag de Pascal Bernier qui, par un jeu de miroirs donne l'impression d'entrer dans une soue pleine de porcelets !...

La surprise vient aussi de ce que cette exposition présente des œuvres d'artistes très connus dans les années 60 ! Constater que leur esprit est inchangé est amusant, même s'ils n'ont pas toujours joué le jeu avec des œuvres récentes, comme Semser qui propose un centaure de 1967 ! Ainsi le visiteur croise-t-il Cueco et ses porcs parcourus de lettres dansantes et tronquées ; Antonio Segui créateur d'un énorme éléphant sur fond d'herbe exécutée avec la minutie d'un artiste naïf ; Olivier O. Olivier, ses tortues à étages ou ses serpents préhistoriques évoluant dans des rues envahies par les flots : Hugues Weiss et son éléphant-cathédrale fidèle encore au Surréalisme ; Nikki de Saint-Phalle et son chien fleuri ; Louis Pons et son singe réalisé à partir  de matériaux de récupération ; les morphologies imprévisibles de Joseph Kurhajec et ses personnages totémiques, tous couverts de poils ! Etc.

          D'autres, moins connus mais plus caustiques proposent, à partir d'une image réaliste, un univers très fictionnel, comme Hélène Legrand qui, dans des belles couleurs gris-brun qui la caractérisent, fragmente et chiffonne des scènes où le passant déchiffre la grande tendresse d'un veau tétant sa mère ; ou la violence d'un vol d'urubus aux ailes éployées et caroncules agressives ; Aline Bordereau et son étrange bestiaire où s'interpénètrent râbles à claires-voies ou pelages veloutés, cavités à la fois réalistes et intimes ou queues évanescentes ; Louise Giamari et ses lourds animaux en toile de jute empâtées de terre ocre ; Philippe Judlin, son jeu de l'oie-tortue ou son cavalier finement surjetés dans un décor de naïves maisons de guingois ; Facundo Bo, ses personnages simiesques au corps couvert d'écailles, avec à l'entrejambe deux minuscules têtes humaines, et calés dans des fauteuils précieusement irisés comme la nacre des coquillages… 

Etaient présentés des livres, également : ceux de Nicole Morello avec leurs flamants roses et leurs pingouins découpés ; d'Hugues Fournet, Roseline Granet, Tibor Pataki, Suzanne McCrann, etc. Des gravures enfin : celles de Mordecaï Moreh ; ou, conçues à l'ancienne par Christine Lassara… Les peintures poétiques de Fernand Rolland, aux multiples implications animalières perdues dans les entrelacs de décors presque abstraits…

Et tous les autres qui retiennent l'attention sur ce "chemin" où l'œuvre de l'un côtoie, annonce ou prolonge sans hiatus celle du suivant.

Une belle exposition surprenante par sa chaleur colorée, vivante et diversifiée, conçue et proposée par Caroline Corre longtemps célèbre galeriste parisienne, dans le cadre de ce joli musée qui, bien que perdu au fond de la Puisaye, attire par la qualité de ses manifestations, un public chaque année plus nombreux. 

Jeanine RIVAIS

CENTRE REGIONAL D'ART CONTEMPORAIN : 89520 Château du Tremblay, FONTENOY-EN-PUISAYE (Yonne).

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 A L'OCCASION DE CETTE BELLE EXPOSITION.