Est-ce de ses multiples déracinements vers des pays aux civilisations éclatantes que Gudrun Morel a tiré son talent pour des peintures à connotation exotique, aux végétations profuses, suggestives de vies insoupçonnées ?
D’inquiétudes latentes, aussi, car de cette luxuriance immédiatement perceptible, aux hampes raides cernant tels de puissants becs d’oiseaux les personnages, sourd peu à peu une obscure menace. De leur densité polychrome et échevelée, ou au contraire de leur strict ordonnancement en formes répétitives aux couleurs froides, naît chez le spectateur une sensation de malaise imprécis : comme si les forts contrastes d’ombres opaques et de lumières en grandes masses vibrantes ; les passages de la légèreté et du foisonnement à une concentration austère... créaient des milieux paradoxaux qui se voudraient paradisiaques, mais sont de véritables huis clos ! Car les créations de Gudrun Morel, œuvres d’exploration, de fouissage, aux symbolismes souvent forts, générés par ces motifs très décoratifs, ne sont pas de celles où l’on entre aisément.
Certes, il semble facile de cerner la femme lascivement étendue dans l’eau lactescente de quelque "Paradis" lagunaire ; suivre du doigt les formes généreuses et les seins idéalement galbés de la "Penseuse de Tizayuca", les courbes exacerbées de la rêveuse de "Nopalès" ou les muscles cuivrés de la vahiné des "Tropiques"... ; rouler sur sa langue, dans la complicité de circumnavigations aux échos poétiques, des titres pleins de rêve, comme "Recuerdos de Jabali", "Mystère de Colima", "Playa rosa"... ; se laisser entraîner par des rythmes picturaux nés de transparences, d’opacités précieuses, posées autour de corps solitaires ou de couples serrés, “sertis” comme dans des écrins très ouvragés ("Un jour la vie", "Chicas"...).
Mais il faut bientôt se rendre à l’évidence : ici, une femme a les mains liées en signe de "Soumission" ; ailleurs, ses vêtements situent celle au "Regard lointain" dans un folklore étriqué ; les corps nus –tous féminins-- longuement élaborés, ne sont qu’objets prisonniers de l’image du plaisir que donne leur perfection. Et les sylves tropicales explosent en réalité autour de ces personnages, en un orbe impénétrable ("Un jour la vie", Rêveuse"...) Prenant conscience de cet enfermement, l’artiste essaie alors de “se” rééquilibrer en déséquilibrant son tableau, en passant de cette flore omniprésente à un tracé à peine réaliste, devenu non-signifiant. D’autres fois, tellement -trop- puissamment prise dans cet enchevêtrement, elle laisse un espace blanc qui “flotte” à l’acmé psychologique de la scène comme, après un chorus déchirant, flotterait un épais silence ! Mais, si -comme elle l’affirme- Gudrun Morel trouve dans ce “vide” un répit, se ménage une sortie ; à ce moment-là, le spectateur la “perd” un peu, car ce “lieu” est bel et bien clos, lui aussi !
Et les couples, dans cet univers à la fois spontané et longuement échafaudé ; conçu avec un sens aigu d’une dramaturgie picturale ? Très préoccupée à l’évidence de l’idée de communication, l’artiste les “met en scène”, en gros plan, enlacés, embrassés... à l’avant du décor. Les titres, alors, se veulent rassurants : "Connivence", "Plénitude", etc. Mais il semble bien que là encore, prédomine l’angoisse ; que chaque étreinte soit un étouffement ; que le grand orbe de "Brûlure de la passion" ressemble à s’y méprendre à l’enfer ; que le corps de la femme, porté par l’homme dans "Bouquet final", ne soit fait que d’ombres creuses, les têtes des deux protagonistes devenant fleur vénéneuse ; et l’homme, enfin, vêtu de noir, agrippant le corps nu et réticent de la femme dans "Incompréhension", rappelle étrangement la mort.
Que deviennent donc les pérégrinations idylliques proposées par Gudrun Morel ? Comme ces voyages au cours desquels s’accumulent des impondérables, ses oeuvres se détournent de l’itinéraire prévu, pour devenir réflexions sur la solitude, la difficulté d’être, sur le précaire équilibre qui lie les êtres... Il n’est pas surprenant alors que, chaleureuse et si conviviale, elle abandonne ses sombres dédales psychologiques pour l’intimité d’une table ornée d’un vase, d’une fleur étrange aux teintes douces... par besoin peut-être de personnaliser un petit coin de vie, oublieux des lointains tropiques ?
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999.