Dix ans de peintures et de dessins hyperréalistes ont profondément marqué Jean-Jacques Pierrel. Ce travail de commande à destination d’ouvriers analphabètes n’a pourtant pas été inutile, car il a exigé une technique sans défaillance avec en arrière-plan -comme les sculpteurs gravant pour le peuple, dans la pierre des cathédrales, des images évocatrices- le sentiment que sous la précision requise, se profilait la pédagogie. 

 

 

         Tout de même cette démarche était frustrante, qui plaçait le talent au service de la seule société de consommation et ne laissait qu’une place minime à la créativité de l’artiste : Jean-Jacques Pierrel a donc renoncé au pensum pour libérer l’imaginaire. Pas facile, au début, de cadrer sur la toile des scènes “non-dictées”, “non-obligatoires” ! Pour s’essayer à cette liberté toute neuve, l’artiste a peint une série de sportifs très influencée par Andy Warhol, avec des couleurs crues, des personnages déshumanisés, aussi froids peut-être que les machines de l’époque précédente ! Ajoutons que, dans sa mutation, il ne s’est pas facilité la tâche, choisissant d’emblée de très grands formats qui ne lui donnaient aucun droit à l’erreur !     Néanmoins, le besoin d’exprimer un quotidien plus chaleureux a peu à peu pris le dessus. Certes, le réalisme n’a pas disparu, mais il a changé d’objectif : Tels Doisneau ou Henri Guérard, Jean-Jacques Pierrel est parti, l’appareil-photos à la main, à la recherche de son quartier, de ses voisins, de scènes de rues, de terrasses de cafés où il a enfin “trouvé” la vie ! De l’anonymat, de la froideur de naguère, a émergé la convivialité du thème et de la palette. Il crée désormais des scènes de grande intimité, rapprochant sur la toile des personnages photographiés séparément, refaisant en somme des “accordées de village”, des “parties de cartes”... toutes scènes dans lesquelles des gens heureux prennent plaisir à la rencontre ! La démarche anecdotique de Jean-Jacques Pierrel donne des visages “vrais”, des moues, des tics... parfaitement identifiables, même si la personnalité de l’artiste les a transformés. Sa recherche d’une ambiance chaleureuse est rendue par des bruns, ocres, clairs obscurs en droite ligne de Latour et Le Nain, modernisés, peints à coups de brosse large, jusqu’à ce que leur côtoiement engendre un orbe de lumière douce, apaisante, le sentiment que les protagonistes sont au repos et l’artiste en harmonie avec lui-même. 

 

 

        La toile est partagée en deux parties pratiquement égales : la partie basse, “vivante”, où sont mis en scène les personnages, est résolument figurative ; tandis que le “fond”, abstrait, est travaillé de proche en proche dans des nuances voisines. Et Jean-Jacques Pierrel a si bien trouvé ses rythmes vitaux, les atmosphères dont il rêvait, que l’on peut tourner et retourner la toile, elle est toujours équilibrée... comme la boule translucide qui revient souvent dans les tableaux et symbolise peut-être le microcosme dans lequel l’homme et le peintre ont réalisé leur propre équilibre. 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994.