VOYAGES IMAGINAIRES ? JARDINS D'EDEN ? CIYILISATIONS INCONNUES ? LES OEUVRES d'EVELYNE POSTIC, peintre
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S'agit-il, pour Evelyne Postic, de s'évader d'un quotidien contraignant? Ou, ayant gardé son âme d'enfant, aime-t-elle se raconter des histoires ? Ou bien encore, est-elle l'ethnologue imaginative de peuplades dont les autochtones ont la faculté de s'adapter pour survivre, à leur environnement : des mutants, en somme ? Chacune de ses oeuvres est en tout cas la peinture d'un monde très stylisé, entièrement inventé sans souci de réalisme ; un monde végétal, fantasmagorique et exubérant, où n'existe aucune frontière entre le milieu aquatique et le milieu terrestre, où les "habitants" sont paradoxalement en lévitation, alors qu'ils ont l'air de prendre appui sur le sol par des ramifications arborescentes. Conçus à la verticale, ces êtres très esthétiques, dressent vers des ciels azuréens leurs corps filiformes, néanmoins très nettement différenciés : les "femmes" ont des seins latéraux, plantés comme des bras supplémentaires, mais idéalement galbés ; le sexe des "hommes" est minuscule, mais sans ambiguïté. Et, sauf dans certaines "ethnies" "vivant" de façon grégaire en bouquet dans une même vasque où ils ne sont que corps-bâtons surmontés d'une tête négroïde, aux bras-feuilles épineux, aux jambes uniques plongeant directement dans un substrat bleu comme les fonds sous-marins ; sauf -et il s'agit alors d'une société uniquement féminine- pour celles qui sont à la fois personnages et immeubles, corps et étages, jupes et fenêtres, femmes-buildings, en somme, solidement posées sur des bases élargies ; sortes d'hommage à leur éternelle et universelle résistance ; et de dénonciation dérisoire aux tabous auxquels elles se heurtent en tous lieux ; les autres groupes ont des visages oblongs aux traits accusés, des crânes démesurés d'où émergent des bouquets floraux ou feuillus, ou des couronnes étoilées dardant leurs pointes à tous les horizons !
De ces allochtones aquatico-terriens, s'échappe, autre paradoxe par rapport à la fragilité de leurs anatomies, une grande énergie : Ils semblent toujours en route "vers", nul ne saurait dire quel "ailleurs", mais apparemment -si ce ne sont pas des villes aux dédales inconnus dissimulés entre leurs toits pentus- il s'agit de montagnes élançant vers le ciel leurs cimes aiguës et découpées, hérissées d'arbres triangulaires comme des pointes de lances ; nimbées d'astéroïdes, d'étoiles et de lunes au-dessus desquels volent de grands oiseaux eux aussi filiformes. Ces nomades, aux corps parfois tatoués de peintures tribales, semblent éprouver pour ces hauteurs inhospitalières une sorte de peur puisqu'ils leur tournent toujours le dos : mais peut-être est-ce parce que les abords en sont gardés par d'immenses totems aux longs cheveux-serpents, parsemés de membres-monstres aux gueules béantes et aux dents menaçantes, auxquels ils font face, avec de grands gestes incantatoires ou des immobilités idolâtres... ?
D'ailleurs, une fois dépassé le charme de ces couleurs de feu et d'eau, de ces luminosités intenses et nuancées virant progressivement à des teintes denses ; de ces rouges saisissants, de ces verts glauques et de ces bleus profonds, le spectateur prend conscience qu'une sourde angoisse se dégage de cet univers peut-être pas, après tout, aussi idyllique qu'il a semblé de prime abord ? N'ont-ils donc pas "inventé" le rire, ces homomorphes dont les lèvres lippues sont tirées aux commissures ? Sont-ils aussi irréels qu'il y paraît, sous leurs physiques de personnages de contes de fées, quand les évidences soulevées par leurs attitudes et leurs interrelations sont si proches de celles des humains ? Même s'ils ont l'air de voyageurs bien décidés à parvenir quelque part, vont-ils loin lorsque, à leurs pieds, vibrent des herbes-flammes ou que leur barque semble prise dans l'enchevêtrement des bras d'une rivière ?... Autant de questions qui restent sans véritables réponses ; ce qui, accentuant le mystère, est l'un des charmes du travail d'Evelyne Postic !
Il semble, finalement, que pour ses populations imaginaires, mises en scène dans ses oeuvres éclatantes malgré la sobriété des moyens déployés ; l'impression de liberté ne soit qu'illusoire, et qu'elles véhiculent en fait, de bien lourdes peurs ataviques ; que ces êtres soient, en dépit de leurs airs exotiques suggestifs d'insouciance, conscients de périls latents ! Peut-être cette sensation mal définie est-elle à l’origine de l'impression qu'il pourrait bien s'agir-là de fragments plus ou moins importants d'une autobiographie largement perturbée, compensée par un imaginaire débridé ? Une seule qualité optimiste ne peut en ce sens, leur être déniée: leur originalité née de la totale harmonie entre eux et leur "génitrice" et de la grande bouffée de tendresse qu'elle leur apporte, avec son talent de peintre et de coloriste !
Jeanine Rivais.
Ce texte a été publié dans le N° 67 de Janvier 2000, dans le BULLETIN DE L’ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : MUTATIONS CHEZ LES ALLOCHTONES D'EVELYNE Postic ?" : http://jeaninerivais.fr Rubrique ART CONTEMPORAIN.
Et UNIVERS SINGULIERS : "THYRARD ET POSTIC"