VIE ET MORT : LES ETRANGES RELIQUES DE CLAUDE PRIVET SCULPTEUR.

*****

lumière des ténèbres
lumière des ténèbres

Comment Claude Privet, dont les tout premiers souvenirs conscients sont ceux des momies du Musée Guimet, aurait-il pu échapper à son « destin », et ne pas devenir sculpteur ? Est-ce bien par hasard si, en cours de route, il a choisi une profession où ses mains s’accoutumaient aux mystères des ossatures humaines ; s’il s’est familiarisé avec les techniques de l’embaumement et du bandelettage ? En tout cas, le voilà l’auteur d’une œuvre encore jeune, mais déjà si particulière, dont l’imagerie se situe en droite ligne de ces souvenirs et de ces apprentissages ; sorte de composition ostéodontokératique de crânes et, récemment, de squelettes ! Où l’implication de l’artiste est d’autant plus forte que, sans se prétendre médium, l’homme est convaincu d’être soutenu, inspiré par la « présence » d’un être cher depuis longtemps décédé, qui dicterait chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sculpturales...

Le sentiment de cette présence occulte revenant du Royaume des Morts pour se pencher par-dessus son épaule, est si fort qu’il a amené Claude Privet à se considérer comme « un passeur ». Un passeur qui ne maîtriserait pas la genèse de ses œuvres, mais vivrait dans un étonnement perpétuel en constatant que ses mains soient chaque fois capables de le surprendre. Le paradoxe reposant sur le fait qu’au lieu d’aider les morts à partir vers l’Inconnu, ce passeur inversé les arracherait à leur suaire pour leur redonner une forme de vie. La vie, le but avoué de l’artiste, face à l’omniprésence de la mort !

maïa
maïa

Forte de tous ces oracles, l’œuvre de Claude Privet qui aurait pu n’être que technique ou esthétique a pris une dimension psycho-ethno-culturelle, elle aussi très personnelle : plus vrais que nature, ses crânes appartiennent a priori, dans l’esprit du spectateur, à des cultures qui ont, depuis toujours, frappé son imaginaire. Mais il lui faut revenir de ses intimes projections. Car, pour l’artiste, s’ils sont incontestablement « arrachés » à la terre ou « exhumés » de quelque « tombe antique », ils ne sauraient se rattacher à aucune civilisation connue. Ni chrétiennes ni païennes, ces créations participent d’une sorte de mystère fantasmatique qui lui est propre ; admettant néanmoins des « questionnements » similaires à ceux des « authentiques » squelettes…

Car, dans le secret de son atelier, Claude Privet joue les démiurges ; modèle les crânes ; teinte les cires, les patine et les lie aux « os » de façon tellement osmotique qu’ils forment bientôt un ensemble indissoluble. Pour lors, il reste à cet étrange thanatopracteur à faire de cet élément encore banal, un objet rituel. Des yeux seront cousus, des piécettes introduites dans la bouche pour garantir au « mort » le passage dans l’au-delà… Apparaissent cauris, poils, épingles, tiges de bois ou tresses d’herbes qui feront figure d’amulettes… A mesure que s’installent ces éléments mythiques, le crâne perd son anonymat, se charge d’un potentiel si puissant qu’il se situe bientôt entre connotations ethnologique et cultuelle.

Petit à petit, depuis près de cinq années que l’artiste se livre à ce ballet singulier entre vie et mort, son atelier est devenu un ossuaire insolite où chaque œuvre « affirme » sa personnalité. D’une sobriété absolue, parfois, où ne subsiste que la peau parcheminée, veinée du fait de la délitescence des muscles ; ou au contraire tendue au bord de la rupture par des nerfs séchés comme des cordes… D’un baroquisme, d’autres fois ; d’une somptuosité conférant à ces « têtes » finement ouvrées, surchargées de symboles, de motifs scripturaires, un caractère imposant qui sied aux chefs. D’une si délirante facture, enfin, qu’elles pourraient avoir été empruntées à un Cabinet de curiosités, etc.

Quelle que soit leur apparence, Claude Privet n’oublie jamais qu’en tous temps, en toutes civilisations, les reliques n’ont pas été conçues « pour » être belles, mais pour être révérées. Néanmoins, l’étrangeté de ses créations, leur beauté justement incontournable, la recherche particulière et l’imaginaire à la fois répétitif et individualisé qui ont accompagné leur gestation ; le soin et le talent avec lesquels il leur donne « vie » dans la mort, font que le spectateur, sensible à la puissance qui en sourd et force intuitivement le respect, a le sentiment de vivre un moment authentiquement mystique, car ces crânes, même factices, lui renvoient l’image de ce qu’il adviendra un jour de lui…

Récemment, l’artiste a commencé à créer des « corps » momifiés… Posés sur leurs couches de bambous ligaturés au moyen de cordelettes de cuir mangé par le temps, s’entremêlent os, lambeaux de bandelettes, pendeloques, réminiscences de dorures, symboles quotidiens (petits os, monnaie, plumes, etc.) Ces créatures fraîchement « exhumées » emmènent quiconque les contemple, bien loin dans le passé mais surtout bien loin en lui-même… Nul doute que du simple crâne au dispositif reliquaire aussi complexe, ces momies vont soulever des tempêtes dans l’esprit des visiteurs. Qu’elles vont grandement élargir l’aura mortifère de leur auteur. Et que la main protectrice posée sur l’épaule de Claude Privet devra se faire plus rassurante pour que sa création persiste à être un hymne à la vie.

                                                                                       Jeanine Rivais.