"Aole battante" Eau forte et aquatinte
"Aole battante" Eau forte et aquatinte

          Le hasard fait bien les choses, qui pousse un jour Sylvaine Pruvot vers un atelier de gravure, après plusieurs années d’études susceptibles de l’amener aux Arts Décoratifs ! Le sentiment que cette forme d’expression va la conduire à ce qu’elle cherche lui permet de franchir toutes les étapes ardues, austères d’un long apprentissage. Très vite, elle sait que pour satisfaire sa quête de la lumière par l’ombre, il lui faut rester en noir et blanc.                Ces certitudes “techniques” acquises, elle s’investit totalement dans l’expression de paysages fantomatiques, villages perdus dans le brouillard ou baignés dans la froideur d’un clair de lune ; corps erratiques sinuant leurs anatomies fugaces... Et l’eau, omniprésente dans le calme frissonnant d’une bambouseraie, les reflets d’une côte sablonneuse ou le déchaînement de ses colères marines... 

"Marche nuptiale" Eau forte et aquatinte
"Marche nuptiale" Eau forte et aquatinte

          Les contrastes violents de ces paysages emmènent comme en écho le spectateur vers les peurs ataviques de l’individu pour ce qui est inexpliqué : Ainsi, devant "Nébuleuse", confronté à cette grande vague dont les antennes déferlantes semblent partir à l’assaut de la lune, redevient-il l’Homme préhistorique cherchant à percer le mystère de cet astre glacé découpé implacablement sur un noir d’ébène ! Ou bien se laisse-t-il aller à un brin de nostalgie face à ces grandes migrations d’oiseaux éperdus , à bout de cris, ailes déployées dans le tourbillon des vents, comme accrochés aux nuages dont l’ombre se projette sur un village tapi parmi les dunes, au fond de l’horizon. Les émotions primales qu’il ignorait enfouies en lui et qu’il retrouve transcrites et magnifiées sur le papier, jaillissent avec la force de la vague, réveillent ses angoisses inhérentes à la nuit, tourbillonnent à l’unisson de ces grands mouvements de matières qui sont la caractéristique essentielle de l’oeuvre de Sylvaine Pruvot. 

"Lumière de pierre" Aquatinte
"Lumière de pierre" Aquatinte

          Essaie-t-il, pour se rassurer, de s’accrocher aux titres ? Le voilà de nouveau déconcerté. Car eux aussi semblent “poussés”, “décalés” par rapport au “sujet” : loin d’être des redondances de ces grands élans psycho-paysagés, ils apportent à l’image une composante artistique, impliquent l’ampleur, l’ouverture des états d’âme de l’artiste, élargissent l’aura de la scène gravée : un bouquet de chardons s’intitule "Constellation" car les vibrations des antennes et des boules autour d’un noeud, suggèrent un grand tournoiement cosmique s’éloignant progressivement vers le noir sidéral ! De même ne dit-elle pas “Migration”, mais "Transhumance", l’étymologie du mot impliquant alors un passage forcé “vers” l’inconnu. "Veille" suggère que le village engourdi comme pétrifié dans les ombres profondes ou les rayons crus de la lune, peut être lieu de vie, mais aussi orbe de mort ; etc. Néanmoins, au fil du temps, à mesure que Sylvaine Pruvot conquiert et amplifie son discours pictural ; que se précisent et s’affinent ses motivations et ses buts ; ces titres disparaissent.         

          Et dans cette progression, elle a si bien dompté les jeux de noirs, de blancs et de gris infinis, de granités ou de veloutés, que chaque scène parle d’elle-même ; oblige sans littérature ni psychologie, le spectateur à suivre l’imaginaire du graveur dans ses “voyages lointains” ; à travers les arcanes de son monde de ténèbres et de lumières ; caché bien au-delà de la réalité !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996. ET PUBLIE DANS LE N° 49 D'OCTOBRE 1996  DE LA REVUE IDEART