J'ai rencontré Mikhaël Romadin en février 1991, par –25°, dans les rues enneigées de Moscou. D'emblée, la chaleur de son accueil a compensé le froid extérieur. Passer sans transition de la grisaille moscovite à l'univers coloré de son grand atelier a, pour moi, été un choc ! Dans ce lieu, point de repos pour l'œil. Partout, des formes et des couleurs en vibrations ; mais surtout, l'invraisemblable série des Présidents soviétiques. Ils étaient là, sur le mur du fond, exposés "sous leur angle le plus photogénique", de Lénine à Gorbatchev, frappants de ressemblance. Pourtant, aucun de leurs traits n'était dessiné : leurs "bustes" étaient constitués de tous les symboles de leurs règnes : usines, Marx, ouvriers, roubles, épis de maïs, etc. Le tout s'entassant, s'entrelaçant, se chevauchant, sans qu'il soit possible de discerner la plus petite place vide. Une série portant jusqu'à l'absurde l'obsession du remplissage ; un "pentaptyque" dont l'humour noir implique une concentration créatrice aux confins de la folie !
C'est qu'il n'a pas dû être toujours facile pour Mikhaïl Romadin de créer sans se couler dans le moule du "réalisme socialiste", de côtoyer au fil des années, avec son épouse, d'autres créateurs plutôt marginaux, de théâtre ou de cinéma, comme Tarkovsky, Kontchalowsky… d'aller à travers son pays à la recherche d'espaces ou de paysages "différents" : la Perestroïka survenant, la dérision implicite de ces portraits totalement "remplis", a peut-être été pour lui, paradoxalement, le moyen de souffler enfin librement !
Tous ses autres tableaux, créés à la même époque aux quatre coins du globe, "Instruments de musique", "Feuilles d'automne", coquillages de "La Baie du Bengale", ou foule se dirigeant vers un champignon atomique, témoignent de la même horreur du vide : minéraux, végétaux ou humains sont étroitement imbriqués, comme figés dans une danse brutalement interrompue.
De nombreuses œuvres traduisent des sortes de "Ruées vers…". Scènes de batailles ou de rues, la compacité de ces foules conditionne l'approche du visiteur ; au premier regard, seule prévaut l'impression de moutonnement, mais soudain, l'œil est accroché par un détail ; ici un autoportrait, là la Joconde, ailleurs Marylin Monroe… Immédiatement, ce clin d'œil crée la complicité ; le malaise sur le point de naître fait place à l'humour, le spectateur "entre" dans l'œuvre.
Mikhaïl Romadin était venu en France en 1986, pour une exposition à la galerie Basmadjian. Il a présenté, en 1989, plusieurs expositions aux Etats-Unis, puis il est rentré en URSS où ses œuvres ont figuré sur les cimaises des plus grands musées. Il est venu résider en France quelques mois après notre rencontre.
Après une exposition presque confidentielle à la Maison de l'Union Soviétique, il est entré dans le monde artistique international par la grande porte, avec une très importante série d'œuvres exposées à Paris, à l'UNESCO : Avait-il enfin trouvé l'apaisement ? Les œuvres présentées étaient des aquarelles. Ces paysages de villes américaines (d'où il venait de rentrer), au dessin toujours incisif, traduisaient une force créatrice restée infiniment vivace, mais il s'en dégageait une sorte d'humour calme, de sérénité. L'angoisse latente ou évidente en avait disparu. Le voyageur semblait avoir posé ses bagages, s'être enfin assis au bord de la route.
Souhaitons que Mikhaïl Romadin reste longtemps parmi nous. Sa récente exposition à Saint-Jean-Cap-Ferrat semble indiquer qu'il va planter son chevalet aux quatre coins de l'hexagone. Acceptons-en l'augure !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995 ET PUBLIE DANS LE N° 9 DE 1995 DE LA REVUE LE CRI D'OS APRES LES EXPOSITIONS DE L'ARTISTE A PARIS.
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I met Mikhaïl Romadin in February 1991, in the snowy streets of Moscow, by 25° below. His warm welcome made right away up for the outside cold. Walking without any transition from the moscovite greyness to the coloured universe of his large studio, was a great shock to me ! No rest for the eye in that place ! Everywhere vibrations of forms and colours ; but, above all, the incredible series of the Sovietic Presidents. There they were, on the back wall, exhibited under their "most photographic profiles", from Lenine to Gorbatchev, the resemblance to their living models quite stricking ! Yet, none of their outlines had been drawn ! Their "busts" were made of all the symbols of their "reigns" : Factories, Marx, workmen, roubles, ears of Indian corn, etc. All that huddled, intertwined, overlapped without any possibility of detecting the tinest empty place : A series lifting ad absurdum the obsession for overloading ; a "pentaptyc" in which black humour involved a creative concentration on the very brinks of madness !
For, it was probably not easy for Mikhaïl Romadin to create without creeping into the mould of "Socialistic Realism" ; to keep with his wife, close relation with other rather marginal artists from theatre or movies, such as Tarkovsky, Kontchalowsky… ; to travel all over his country in search of different spaces or lanscapes. Perestroika happenin, the implicite derision of those wholly "filled" portraits, may paradoxically, have been for him, a means to breathe freely at last !!
All the other pictures created at he same period all over the globe, "Music instruments", "Autumn leaves", shells from "the Bay of Bengali"… or crowds moving towards an atomic mushroom, bear witness of a similar abhoration of vacuum ! Minerals, vegetals or humans are tightly imbricated, like if they were spellbound in a brutally interrupted dance…
A lot of Romadin's works express such "rushes towards…". Battles or street scenes, the closeness of these crowds determines the terms of the visitor's access : at first glance, alone prevails the impression of "wave-motion" ; but the eye suddenly catches a detail : here, a self-portrait ; there, Mona Lisa, elsewhere Marylin Monroe… Immediately, this wink creates a complicity ; the queerness almost born gives place to humour ; the spectator "enters" the work !
Mikhaïl Romadin came to France in 1986, for an exhibition at Basmadjian's gallery. In 1989, he presented several exhibitions in USA ; then he returned to USSR where his works appeared on the walls of the most famous museums. He came to live in France a few months after our encounter.
An almost confidential exhibition at the House of the Soviet Union, then he entered the international artistic world through the main door, with a most important series of works exhibited in UNESCO (Paris) : Had he finally found apeasement ? The works he presented were water-colours. These landscapes of American cities (where he had just come from), with their ever equally incisive drawing, showed a creative strength remained extremely vivacious ; but out of them came a kind of quiet humour, of serenity : the latent or evident anguish was gone ! It looked as if the traveller hat let his luggage down, was at last able to sit along the road !
Let's wish Mikhaïl Romadin will remain a long time among us : his recent exhibition in Saint-Jean-Cap-Ferrat seems to give token that he is going to settle his easel all over the Hexagone ! A good omen, indeed.
J.R.
THIS TEXT WAS WRITTEN IN 1995 AND PUBLISHED IN NUMBER 9 OF "THE CRI D'OS" MAGAZINE.