LES MILLE ET UNE FANTAISIES d'ODY SABAN.
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L’œuvre d’ody Saban, née en Turquie, est un carrefour de cultures, de mentalités ; une histoire iconoclaste où sont évoquées, construites et détruites en une monstrueuse gigantomachie, les civilisations/religions chrétienne-juive-musulmane : utilisant la calligraphie, la broderie, les gestuelles des unes, elle y intègre des personnages, des êtres de légendes appartenant aux autres… Elle invente de nouveaux mystères, des façons neuves d’appréhender son ancien monde qui la rattache à ses racines, et le nouveau qui l’en écarte.
Plusieurs constantes s’imposent dans cette œuvre très colorée, foisonnante : si le mot existait, il faudrait avant tout évoquer la gigognité de ses créations où apparaissent, soulignés, une tête, un corps, un couple, un oiseau… puis la tête dans la tête, le sexe dans l’œil, le corps dans le sein, le bateau dans le crâne, la mer dans la bouche, le poisson dans la jambe… Il faudrait en citer encore, analyser ce va-et-vient du macrocosme au microscopique petit coin peaufiné, à la multiplicité créée à travers un kaléidoscope, du fil suivant le labyrinthe à la pieuvre lançant par-dessus la plus infime partie du tableau, ses innombrables tentacules.
Aucune géométrie dans ces déploiements d’énergie, cette explosion de rythmes brisés sitôt nés. Néanmoins, la composition en est évidente. S’y côtoient individus, mandragores, monstres d’un étrange bestiaire, mosaïque où s’imposent de façon obsessionnelle le visage et les yeux énormes : c’est qu’Ody Saban vient d’un pays où, privée du droit à la parole, la femme n’a que le regard pour s’exprimer, refléter sa mémoire, sa réalité, son passé et son futur, l’intérieur et l’extérieur qui se conjuguent sur chaque pouce du territoire de l’artiste ; son voyeurisme aussi, cette façon qu’elle a de regarder par le trou de la serrure ce qui se passe dans son harem !
Et il faut alors évoquer l’érotisme multiple des créations d’Ody Saban : il va des attouchements innocents allumant le regard attendri de la mère vers sa petite fille, aux yeux amoureux d’un couple… Les enlacements des corps de femmes mènent aux entrelacs de lettres brodées qui, dans les villages de son enfance, situent géographiquement la femme.
Car l’œuvre d’Ody Saban est très souvent autobiographique. Elle peint la mer. Enfin, l’eau fascinante et dangereuse, symbole de gestation, de poésie, de la féminité revendiquée par une artiste fondamentalement féministe : après avoir, en 1977, exposé à la Jeune Peinture avec six autres femmes, sous le label Singulières, Plurielles, elle fonde en 1978, Art et Regard des femmes. En 1982, elle rejoint Art Cloche, mouvement néo-dada.
Au fil des années, elle s’éloigne de cette démarche collective. Désormais entourée de ses soleils, de ses lunes, des scintillements de sa nouvelle Caverne d’Ali-Baba, elle crée des œuvres lumineuses, belles de refuser réalisme et esthétisme, résolument contemporaines, jalons optimistes posés vers l’avènement du XXIe siècle !
Jeanine Rivais.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS IDEART N° 40 de DECEMBRE 1994.