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La SOCIETE DES ARTISTES FRANÇAIS qui fait remonter ses origines à 1663, fut fondée le 15 juin 1882 et se définit depuis ce temps par son salon annuel. Ce salon est "ouvert à toutes les expressions", bien qu'il ait récemment réduit le nombre de ses participants.
Beaucoup plus jeune, puisqu'il fut fondé en 1978 par Mirabelle Dors, Maurice Rapin et Yak Rivais, FIGURATION CRITIQUE "vise à investir le choix figuratif comme l'une des voies d'accès au discours social…".
Sous cette double bannière, s'est effectué à la mi-septembre, la rentrée artistique parisienne au Grand Palais.
Chaque SALON DES ARTISTES FRANÇAIS présente l'œuvre d'un peintre ou d'un sculpteur célèbre. Les visiteurs ont pu, cette année, admirer le Miserere de Georges Rouault. Cet ensemble de cinquante-huit eaux-fortes et de quelques peintures a constitué le Grand Testament du peintre : œuvre de visionnaire, torturée, chargée de tristesse, d'un lyrisme issu des entrailles et qui, comme l'œuvre de Jawlenski ou du Greco, va droit au cœur des visiteurs.
"Il faut plusieurs jours", écrivait le 8 mars 1837, Théophile Gautier, "avant d'avoir trouvé entre les deux cents cadres qui encombrent les murailles du Louvre, les vingt ou trente tableaux qui en valent la peine que l'on s'y arrête et que l'on y revienne". Cette citation me paraît, concernant les Artistes français, toujours d'actualité. Il est bon que tous les artistes puissent montrer leurs œuvres dans des lieux prestigieux ; mais passer des heures devant des murs couverts d'œuvres qui n'ont rien en commun, se chevauchent, se contrarient, s'entassent dans le plus petit recoin sans que leur technique ou leur originalité justifient leur présence, relève de la performance. Combien de bouquets de tournesols ? de sous-X ou Y ? Car, même si certaines œuvres sont bien exécutées, elles sont toujours "à la manière de…" : Ainsi, les belles sculptures d'Helen Powles ressemblent à s'y méprendre à celles de Jeanclos ; La Broderie de Le Guerm Péraud cherche Jérôme Bosch, La Colline de Koïchi Suzuki a vu le Douanier Rousseau…
Aussi, le visiteur est-il tout étonné quand, las de ces "amateurs", il se trouve en face des "professionnels" ! Sont-ils là par amitié ; fidélité au salon qui leur a offert ses cimaises à une époque où ils étaient encore inconnus ? En tout cas, ces artistes au talent certain, à l'imagination créatrice, redonnent un peu d'énergie au visiteur épuisé. Je citerai les sculptures morbidement belles de Marie-Christine Crepo ; les rythmes musico-fictionnels d'Azik dont les couleurs ocre-rouge ne se démentent jamais ; le splendide espace très structuré constitué par Les Sportifs, sortes de personnages issus peut-être d'ordinateurs, de Richard Bayle ; le défilé des marins de Jean-Pierre Stora ; le "Charlie Chaplin"-arlequin-ouvrier des "Temps modernes" -enchaîné dans ses citations picturales, de Jean-Michel Guinebault ; deux bas-reliefs en métal ardoisé représentant l'un Un accident de la gare, l'autre Un flirt sur un banc dont je n'ai pu trouver l'auteur ; le piano-violon de Jean-Pierre Hénault ; les bateleurs d'Abadie ; pour terminer sur une note d'humour, le globe de Jean Bailly pour lequel, à la place du traditionnel bouquet de fleurs d'orangers, émerge une mariée entre un valet-à-tête-de-chouette et un Mari au plumage d'ara ! Et l'invraisemblable collection de Marianne de Pierre Bonte, dont la plus inoubliable est certainement La Gueuse !
Plus vivant, situé dans la créativité et la modernité, FIGURATION CRITIQUE anime "le kilomètre culturel" du balcon du Grand Palais.
Cette année, pas de "lecture" permettant de passer d'un artiste à l'artiste proche par son esprit, ses options figuratives ou sa couleur : des espaces entrecoupés de petits parcours "couverts" par des peintres ayant exposé seulement une à trois œuvres. Le nombre des exposants a considérablement diminué pour permettre la mise au point de cette nouvelle formule, les sculpteurs en particulier qui, par ailleurs, présentent tous des œuvres très petites. Pour autant, certaines sont un vrai régal : personnages tendres et pleins d'humour de Chantal Weirey ; sorcières de Catherine Boulogne-Roussel, tellement laides qu'elles en sont fascinantes et si hideusement ironiques ou méchantes qu'elles provoquent chez le visiteur une intense jubilation ; Sièges impossibles de François Dumont, etc.
Il faudrait écrire un article par artiste pour rendre justice à ces "espaces" ! Je me contenterai de citer ceux qui m'ont surprise, voire éblouie : Jean Jacouton et sa magnifique série-hommage à Arletty : collages, projections de couleurs, feuilles d'or amoureusement placées à la manière des icônes, de façon à encadrer le visage si beau et si fin de la célèbre vedette ; Danielle Le Bricquir à travers ses petits korrigans dansants : Insky de Souza-Lage dont les collages retravaillés ont le charme des daguerréotypes ; Ciris Vell et son travail sur le mouvement et le corps de la femme ; Patrice Guicheteau et ses corps féminins émergeant de drapés ; Jean-François de Bus et ses arches de Noé fourmillantes de vie ; Jean-Pierre Stora, peintre des foules qui sait si bien faire "éclater" ses gris par de minuscules contrepoints colorés : Simone Faïf et ses homuncules dansants sur fond de réflexion yin et yang, abstraits/figuratifs ; Claude Guibert et ses splendides bouquets hyperréalistes ; Colette Fournier et ses personnages obèses, sans visages, peints dans d'inimitables tons de bleus ; Sano dont les couleurs crues cernées de noir sont pleines d'humour ; Gérard Bécarud qui fait hurler avec bonheur les rouges et les jaunes ; Gilles-Murique et ses personnages tout en puissance ; Remo Pintus et ses sculptures quêtant la beauté absolue ; Alain Kleinmann et ses murs porteurs de toute la mémoire du monde…
Et puis, les espaces-couples, peintres-sculpteurs. Pour certains, la relation n'est pas très évidente ; mais quelques artistes ont compris comment leur œuvre pouvait "jouer" avec telle autre. Dans ce cas, la cooptation a créé une véritable "installation" sans hiatus. La première est en fait un trio : Mirabelle Dors dont les Populations d'images tricotent leurs rangées répétitives et très colorées de personnages ou de têtes, de part et d'autre de trois tableaux parmi les meilleurs créés ces dernières années par Maurice Rapin. Porteuses de petits personnages extrêmement humoristiques, ces œuvres sérielles "répondent" à celles de Jocelyne Deblaere bustes gris-bleuté, en train de devenir résolument fétichistes. Ailleurs, décors de bidonvilles et d'usines désaffectées propres aux films noirs de Jane Toussaint exhibent des femmes très érotiques, dans des attitudes de "violence" qui contrastent avec les danseuses métallisées, s'étirant voluptueusement, de Sophie Raine. Plus loin, les murs de Pere Pagès reflètent la lune et les planètes de Jean-Jacques Lamenthe. Enfin, Françoise Granger peintre étale ses "vues" autour des tables et chaises de bars de… Françoise Granger sculptrice !
Cette série ne saurait, bien sûr prétendre être exhaustive. Tout de même, le talent, la créativité, la recherche acharné de modernité font de ces plasticiens des artistes à la pointe de la figuration. En cette fin de XXe siècle où tant de valeurs s'effondrent et de contre-valeurs font florès, nous assistons déjà à un repli vers la figuration où se côtoieront bientôt le pire et le meilleur. Gageons que ces artistes-là seront les garants de la qualité.
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993.