DANIELLE JACQUI et LA MAISON DE “CELLE QUI PEINT”
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Définir Danielle Jacqui sur le papier est à peu près aussi facile qu’enfermer dans une bouteille un Djinn malin ; ou vouloir effacer des ailes d’un papillon en vol, les ocelles colorées ! Dire qu’elle est peintre équivaut à affirmer d’un homme-orchestre qu’il joue de l’harmonica! Car elle est à elle seule le Djinn, le papillon, l’orchestre.
Bien sûr, elle signe ses oeuvres « Celle qui peint », mais il semble que, dans son esprit, le mot définisse l’idée de couleur, d’ambiance et non l’idée de technique. Tenter, face à la pluralité de son travail, de séparer sculpture, peinture, collage, broderie, couture est illusoire : des peintures en relief, des sculptures peintes, des broderies devenues robes, des poupées aux grands yeux étonnés, des cailloux humanoïdes... ramènent à l’unique réalité : l’univers coloré de Danielle Jacqui, UN et INDIVISIBLE !
Sa poésie, également, cette manière qu’elle a d’exprimer sans sophistication ses souhaits de bienvenue en décorant la façade de sa maison : danseuses “slaves”, “Indiens” emplumés, dragons et diablotins adressent leurs clins d’yeux au passant, l’air de dire “Entrez donc voir les merveilles que nous gardons!” Il est logique d’apprendre que Danielle Jacqui fut brocanteuse : sa maison est foisonnement, objets personnalisés, meubles devenus sous ses doigts somptueusement “exotiques” ; un lieu privilégié où l’on a envie de fouiner, s’attarder, rêver, toucher du doigt les perles de l’armoire, s’exclamer ou rester coi devant un groupe cueillant des cerises au dossier d’une chaise, ou un tigre bâillant férocement au plafond d’une chambre !... Car elle aborde avec le même délire contes, légendes, poèmes, adapte chacun à son gré, recrée des émotions, transcende son environnement. Et, s’il est une catégorie à laquelle elle appartient, c’est celle des Bâtisseurs de l’Imaginaire, les Tatin, les Picassiette... Comme eux, elle a un jour éprouvé le besoin irrépressible de rompre avec la banalité, embellir son cadre de vie, rendre à sa façon si personnelle et talentueuse, la culture qu’elle a glanée aux hasards de sa vie, tout en gardant à ce cadre, une dimension humaine !
Par voie de conséquence, il n’est pas étonnant qu’aucun musée ne l’ait exposée** ! Il faudrait la cerner, la classer, la “reconnaître”! Ce serait rassurant. Or, Danielle Jacqui n’est ni cernable, ni rassurante. Pire, au lieu de composer avec les prudents, les peureux, les soucieux d’académisme, elle transmue LA MAISON DE CELLE QUI PEINT en musée ouvert à tous les amoureux de l’art total, crée dans son village un festival d’Art Singulier, assume parmi les médias nouvellement conquis sa stature d’”excentrique” s’exprimant hors du temps et hors des modes !
Bref, l’orchestre joue bien à l’unisson, le papillon emporte bien vers les cimes ses ocelles vibrantes de couleurs, la bouteille est bien vide, car à travers le monde, court le Djinn...
Jeanine Rivais
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 54 DE FEVRIER 1995 DU BULLETIN DE L’ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.
** Ce texte a donc 15 ans ! Si, côtés démarche et imaginaire de l’artiste, il reste toujours d’actualité, Danielle Jacqui a néanmoins, depuis, exposé ses œuvres dans des lieux prestigieux. Actuellement, elle projette de couvrir de ses sculptures polychromes, la façade de la gare d’Aubagne. Espérons qu’un tel projet pharaonique sera réalisé !