Jeanine Rivais : Valérie Métras, vous avez commencé un jour à vous préoccuper de couleurs, et vous avez créé un atelier que vous avez baptisé "le jardin des plantes à couleurs". Qu'est-ce qui vous a amenée à vous lancer dans ce genre d'occupation ?
Valérie Métras : J'ai fait des études d'arts appliqués, du stylisme. J'étais passionnée de plantes, et quand j'ai découvert que certaines produisaient de la couleurs, j'ai réuni mes deux passions.
JR : C'est toute une étude de savoir quelle plante donne telle couleur ! On s'y habitue facilement ? Ou il faut vraiment faire des recherches ?
VM : Des recherches. Car c'est un peu empirique. Et puis, au bout d'un moment, j'ai voulu apprendre à fixer les couleurs. J'ai rencontré un maître teinturier qui m'a appris les couleurs végétales. Et quand j'ai vu toutes les couleurs que l'on pouvait utiliser, que l'on pouvait réaliser surtout, je me suis lancée dans l'aventure. Et depuis, après avoir imprimé des tissus, je fabrique des tableaux, etc.
JR : Nous en reparlerons tout à l'heure. Pour le moment, parlons du jardin. Votre jardin est en fait l'illustration de tout ce que vous avez appris ?
VM : Oui. Ce qui m'intéressait, c'étaient surtout des plantes en train de disparaître, des plantes que l'on ne connaît plus, comme la garance, la gaude… et puis d'autres que l'on connaît mais que l'on appelle souvent des "mauvaises herbes", et qui sont très utiles pour les couleurs végétales.
JR : Et ce jardin s'est-il vraiment adapté à votre concept, parce que beaucoup de plantes sont sensibles à telle terre mais pas à telle autre ? Avez-vous réellement réalisé le jardin de vos rêves ?
VM : Oui. Oui, le jardin de mes rêves. Mais surtout le jardin-souvenir de mon enfance. J'avais une tante qui avait un jardin-labyrinthe. Je m'amusais beaucoup avec ma sœur à jouer à cache-cache dans ce jardin. Et j'ai voulu reproduire un peu l'esprit de ce lieu. J'ai vraiment mélangé toutes les plantes. J'ai voulu recréer l'impression que personne ne les avait plantées, qu'elles avaient poussé spontanément.
JR : Il est vrai qu'il n'y a pas d'itinéraire dans votre jardin. On flâne, on se retrouve dans une petite allée, une autre qui ne va pas forcément à l'endroit que votre œil avait visé…
VM : Oui, c'est comme un labyrinthe. Je voulais un jardin poétique, avec des endroits un peu cachés, d'autres où l'on puisse s'asseoir sur un banc… Tout cela au milieu de l'odeur des roses anciennes. Car le fameux jardin de cette tante renfermait beaucoup de rosiers anciens. Et la première année où les miens ont fleuri, j'ai dit à Alain, mon compagnon : "C'est cela ! C'est bien cela que je veux" ! C'était l'odeur que je cherchais depuis des années ! En somme, j'avais retrouvé ma madeleine de Proust !
JR : Un jour, vous décidez de faire visiter votre jardin. Depuis lors, que dites-vous à vos visiteurs ?
VM : Je leur transmets déjà ma passion. Je veux la leur faire partager. Puis, je leur montre ces fameuses plantes, je leur décris leur utilisation : pour certaines, on utilise les racines, pour d'autres les fleurs ou les feuilles. Je leur parle de leur histoire, car ces plantes ont une histoire. Car la garance vient du Lubéron, le pastel de la région de Toulouse… Et puis, j'ai un nuancier grâce auquel je leur montre toutes les couleurs. D'autre part, si les plantes sont en fleurs, je leur fais profiter de toutes ces variétés, car j'en ai actuellement plus d'une centaine. Je leur montre la couleur, à côté de la plante.
JR : Et vous avez fait beaucoup d'émules, de gens qui ont décidé de faire la même chose ? Ou bien ce sont des visiteurs qui admirent en passant et qui passent à autre chose ?
VM : Ce sont des gens qui viennent faire des stages de teintures végétales. Certains continuent pour leur plaisir. Mais il y a avant tout la découverte d'une curiosité !
JR : Vous leur dites que vous faites des teintures : leur donnez-vous vos recettes ?
VM : Dans les stages, oui. Parce qu'il faut faire bouillir certaines, d'autres sont traitées en décoctions… Il y a donc des techniques à apprendre ! Par exemple, toutes celles qui sont à base d'indigo, qui donnent donc des bleus, sont très particulières au niveau de la technique.
Sinon, lors des visites, j'explique succinctement les différences, je raconte des anecdotes autour des plantes… Il y a parfois des histoires amusantes, ludiques !
JR : Racontez m'en une ?
VM : Eh bien, la garance par exemple. Il y a la "garance cultivée" et la "garance voyageuse". Pourquoi l'appelle-t-on ainsi ? Parce qu'après la floraison, la plante se couvre de petites boules. Et ces petites boules s'accrochaient à la laine des moutons qui paissaient dans le pré où poussaient ces plantes. C'étaient donc les moutons qui les ressemaient en se déplaçant. D'où son nom !
JR : Un jour, vous décidez d'organiser une exposition annuelle sur un thème qui tourne autour de cette vie des plantes.
VM : C'est toujours en résonance avec les "Rendez-vous au jardin". Chaque année, il y a une journée où tous les jardins de France sont ouverts. Je suis toujours en lien avec eux. Par exemple, cette année, ils ont choisi "Flower power" (Le pouvoir des fleurs) et je suis sur le thème de la couleur. Donc, cela va bien ensemble.
JR : Vous n'avez jamais de problème pour trouver des artistes qui peuvent mettre leurs sculptures dehors ?
VM : Non ! Il y a même des habitués qui travaillent en vue de cette exposition. Certains me demandent même de les tenir au courant afin qu'ils aient le temps de faire des recherches pour illustrer le nouveau thème.
JR : Et vous connaissez ce thème longtemps à l'avance ?
VM : En général, je le connais au mois de septembre.
JR : Vos stages, et visites du jardin sont organisés de mi-mai à fin septembre. Combien avez-vous à peu près de visiteurs ?
VM : En général, et selon la météo, il vient environ 1500 personnes.
JR : C'est donc largement fréquenté !
VM : Oui, enfants, adultes, la fréquentation est régulière.
JR : Par ailleurs, vous teignez des tissus, ce qui est une autre démarche. Comment procédez-vous pour teindre un morceau de soie, de coton, etc.
VM : Je précise que je veux suivre toutes les étapes, depuis la culture de la plante, jusqu'à la couleur et la création. Quand j'ai commencé, je n'avais pas les plantes, celles que j'avais ne donnaient pas les couleurs auxquelles je pensais. J'ai donc œuvré pour avoir un "cru", comme on parle d'un cru de vin. J'en suis donc venue à avoir mes plantes du terroir. Il était important pour moi de cultiver les plantes. Et après, j'en suis venue à les utiliser pour la couleur.
Pour la teinture, c'est simple. C'est toujours à base d'eau. Soit on fait bouillir, soit on procède en décoction. C'est juste la préparation avant que l'on appelle le "mordançage" qui est délicate. Il faut créer le "mordant", pour accrocher les couleurs dans le tissu. Il y a l'expression "mordre les couleurs". En général, il est préparé à base de tanin, d'alun…, et avec ces produits, la couleur est vraiment fixée. En somme, le mordant est le fixateur.
JR : Lorsque vous fixez les couleurs sur le tissu, est-ce toujours de l'uni ? Ou bien faites-vous des nuances ?
VM : C'est variable. Je peux même avoir des soies en relief. Je peux créer des points, des rayures… Je peux aussi faire des nuances, suivant le temps que je laisse le tissu dans la teinture. Je procède de même pour créer mes tableaux. J'incruste aussi du feutre ou de la laine. En fait, je teins la soie, la laine… tout ce qui est matière naturelle, le sisal, etc. Je place devant moi mon panier à tissus, je commence à coudre à la main certains morceaux. Je compose ainsi mon tableau.
JR : Parlons de vos sculptures, parce qu'elles sont intéressantes, absolument surprenantes, insolites et originales. Qu'est-ce qui vous a amenée à créer ces sortes de masques, allant parfois jusqu'à un corps complet ? Et à les fixer sur une longue bande de tissu étroite, chiffonnée, et monochrome ?
VM : Je suis partie d'une légende que j'ai entendu raconter. En fait, cette bande représente de l'écorce d'arbre. C'est en relief. J'ai entendu dire que chaque arbre a une âme et j'ai décidé de réaliser l'âme de chacun.
JR : Vous partez donc d'une légende, mais elle devient très mystique !
VM : Pour faire ces masques, je mélange toutes mes matières. Cela peut aller jusqu'à de l'écorce. Je les couds, et ensuite je crée les reliefs. J'obtiens ainsi des visages qui nous regardent.
JR : Vous obtenez des masques dont chacun est différent des autres. Sur certains, la texture est compacte ; pour d'autres, vous laissez des passages vides. Est-ce que ces trous ont un sens ou bien font-ils partie des aléas des tissus choisis ?
VM : Oui, ce sont les aléas des tissus choisis. Mais j'aime bien aussi ce côté tantôt avec des pleins, tantôt avec des vides. Cela me permet de créer des contrastes entre les parties épaisses et les autres qui le sont moins.
JR : Depuis bien des années, votre compagnon, Alain Kieffer, qui est d'ailleurs bien connu pour ses sculptures, travaille sur des personnages, et particulièrement sur des masques. Est-ce que cela a été facile de créer des œuvres complètement différentes des siennes, alors qu'il travaille la terre et vous le textile ?
VM : Oui. Je pense que nous nous complétons. Et ce sont en effet des matières complètement différentes. Parfois, nous nous rejoignons par la couleur.
JR : Vous allez exposer ces masques pour la première fois, à Rives, à l'exposition de l'Art partagé. Qu'envisagez-vous comme réaction du public face à vos masques aussi inattendus ?
VM : Je pense que les visiteurs vont être surpris ? Puis je pense que les réactions seront assez partagées, qu'ils aimeront ou non. Je crois que les avis seront très tranchés : On aime ou on n'aime pas !
JR : Même si vous entrez un peu dans des circuits traditionnels, je pense que vous souhaitez rester dans votre domaine. Quels sont vos projets pour les années à venir ?
VM : Oui, tout à fait ! Je vais continuer dans cet esprit.
JR : Mais finalement, la création de ces masques vous emmène ailleurs qu'à la confection de foulards, qui étaient plus utilitaires qu'artistiques ?
VM : Oui, en effet. Mais finalement, maintenant que je maîtrise la couleur depuis des années, il faut que je passe à autre chose. Par exemple, étudier les reliefs. Un tissu en relief est vraiment un autre travail.
JR : Il faut le mouler au moment où il est mouillé ? Pour faire le nez ou les yeux, il vous faut appuyer dans un sens ou dans l'autre sur le tissu mouillé, et ensuite il sèche et votre empreinte subsiste ?
VM : Oui. Pour plus tard, je pense que je vais m'orienter vers des choses grandes. Des personnages plus grands…
JR : Donc plus impressionnants ?
VM : Oui, sans doute.
JR : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
VM : Non. J'ajouterai seulement, pour finir, que j'ai toujours été dans la création. Quand j'ai voulu entrer dans une école d'Arts appliqués, j'ai eu la chance que mes parents acceptent. Et que, depuis, ils m'aient toujours suivie dans mon aventure. Que j'aie toujours été entourée par la famille, les enfants !
ENTRETIEN REALISE LE 22 MAI 2016, DANS L'ATELIER DE L'ARTISTE, A ESSERTINES EN DONZY (42360).