En 1981, Stani Nitkowski était venu d’Angers à Paris, présenter ses œuvres à Cérès Franco (à une époque où vraisemblablement, personne d’autre n’aurait pris le risque d’exposer des créations qui étaient déjà très violentes, grandes éclaboussures de couleurs autour de visages tourmentés.
En 1999, Stani Nitkowski exposait à la Galerie des Filles du Calvaire à Paris, un nombre important de peintures et dessins. Œuvres terribles, où déjà rôdait la mort. A cette occasion, j’avais écrit ce texte qui, m’avait-il téléphoné, l’avait "fait pleurer", en l’amenant trop violemment à comprendre que, désormais, son mal n’était plus seulement dans son corps, mais qu’il était aussi inexorablement dans sa peinture. (Et pourtant, il y était depuis si longtemps !)
Trop de souffrance ? Trop de conscience de la souffrance ? La cause occasionnelle en a-t-elle été la mort de son fils, au début de l’année ? Le 2 avril 2001, Stani Nitkowski s’est suicidé.
"CECI EST MON CORPS"**, ou STANI NITKOWSKI peintre
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Il y a bien longtemps, le corps de Stani Nitkowski l'a trahi. Depuis lors, il rage, tempête dans la souffrance !... Comme une compensation, peut-être, comme un moyen de supporter l'insupportable, comme une vengeance de l'esprit indomptable sur ce corps, l'homme s'est mis à peindre. Et chaque toile créée a été -est- oeuvre de chair et de sang !
De colère, aussi, à l'origine, où il créait des tableaux très colorés sur lesquels des visages intriqués en tous sens, plaqués de rouges violents et de jaunes, se débattaient comme en quelque creuset infernal... Conscient apparemment que la vie n'est qu'une farce dont il vaut mieux rire, Stani Nitkowski faisait ricaner des faces édentées, hurler des yeux serrés d'égarement, des regards menaçants ou sardoniques, terribles à soutenir ! Ces têtes étaient de véritables boules de cri, non pas d'angoisse, mais de révolte, mais d'existence ! Et dans cette lutte, les rires confinant à la folie, étaient grinçants comme si, obsédé par cette autre farce -ultime cette fois- qu'est la mort, l'artiste allait chercher dans l'au-delà ces ombres d'humains ; transférait sur sa toile, les hallucinations de son esprit tourmenté ! Il y avait dans ce chaos fait de grandes projections, éclaboussures, coulures... qui éclataient à l'entour de ces gnomes, comme une émergence violente et prégnante de la matière viscérale ! Mais la bouffonnerie a des relents de tragédie, car s'y côtoient la peur et le comique. Une expressivité trop grande peut-elle éternellement durer ? Cette fascination de la mort fantasmatique et baroque a-t-elle paru trop "extérieure" à Stani Nitkowski ? Ou bien a-t-il un jour estimé que la couleur émoussait la force de l'image, qu'elle n'avait qu'une signification secondaire ?
Aujourd'hui, les cris anarchiques se sont tus. Entre les lèvres toujours ouvertes, le silence ! L'aspect charnel des visages a disparu, devenu masques grimaçants et squelettes. Désormais muets, les corps se sont lovés sur une vie qui leur est torture perpétuelle. Ils ne sont plus qu'ombres fondues dans des limbes bruns dont les clairs-obscurs tronquent l'intégrité ; des entités, des images incertaines dont la sobriété subjugue le regard. Et Stani Nitkowski semble au bord d'un nouvel abîme dont aurait changé la connotation mais dont le nom serait toujours la mort, vertigineuse et fascinante ! Plus que les représentations délirantes de naguère, ces oeuvres totalement introverties, ces sortes d'hallucinations rentrées générées par l'acuité des fragments de vie émergeant des espaces figés ; le mystère stagnant dans ce magma originel au-delà des éléments directement déchiffrables ; l'utilisation parcimonieuse des couleurs -quelques dégradés de bruns tachetant le noir-, ont sur le spectateur un impact immédiat si puissant, qu'il lutte, pris au dépourvu, contre une grosse boule d'angoisse -Sa propre angoisse face à la réalisation de l'imminence de SA propre mort-, qu'il déchiffre par le truchement des Chairs déshabillées, du Purgatoire, de la quasi-indiscernable Avorteuse... de l'Autoportrait sur lequel hurle, sans un son, mais plus fort que jamais, de toutes ses dents luisant dans l'ombre, Stani Nitkowski !
Pourtant, celui-ci n'en a pas fini avec les émotions paroxysmales auxquelles il soumet son entourage ! Restent les dessins à l'encre, perdus au milieu de la page blanche comme autant de minuscules îlots de martyre noyés dans un orbe de silence ! Et si jamais l'expression "ne tenir qu'à un fil" a pris tout son sens, c'est bien sur ces oeuvres réalisées d'un trait si ténu qu'un souffle pourrait le briser, interrompre l'existence de ces corps éphémères dont la matérialité consiste en taches appuyées sporadiquement du bout des doigts comme autant de traces d'identité appliquées sur les membres déchirés, sur les visages illisibles autrement que par la douleur s'échappant de leurs bouches qui crient !...
Comment, dans ces conditions, se libérer des terribles témoignages que donne de son agonie physique, Stani Nitkowski ? En se disant, peut-être, que pour le sauver, il possède le bonheur inouï de l'action de peindre devenue rite sacrificiel ! Qu'avec chacun de ses témoignages autobiographiques déposés sur la toile comme autant de batailles gagnées sur la mort, il offre à la vie un magnifique exemple de créativité libératoire portée par un immense talent et imprégnée de conscience artistique contemporaine !
Jeanine Rivais.
** Titre d'une oeuvre de Stani Nitkowski.
*** En juin 2001, Dominique Polad-Hardouin, fille de Cérès Franco, inaugurait dans l’ancienne galerie "L’Œil-de-Bœuf" rebaptisée "Idées d’artistes", une exposition-hommage des œuvres récentes de Stani Nitkowski.
"CECI EST MON CORPS" A ETE PUBLIE DANS IDEART N° 63 DE DECEMBRE 1999. Et DANS LE N° 70 DE JANVIER 2002 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.