En 2022, nous a quittés Alain Lacoste, un artiste talentueux et prolifique, puisqu’il laissait à ses sœurs héritières, trois maisons pleines de ses œuvres. Depuis, ces dames essaient par tous les moyens de faire résonner au plus fort, la renommée de leur artiste de frère. Entre autres, elles ont chargé Roman Petroff, écrivain qui a publié des romans et des ouvrages sur les peintres, de réaliser une « biographie d’Alain Lacoste », en un « portrait subjectif d’un artiste aux mille visages ». Et Michel Leroux, amateur d’Art brut et apparentés, ami de toujours de l’artiste.
Le résultat est un ouvrage que voudront se procurer tous les amateurs d’arts marginaux : Le résumé d’une vie qu’Alain Lacoste concluait par la phrase « J’ai tout dit" ! » A ces amateurs de s’en assurer !!
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"Animé du désir de peindre et d’écrire depuis sa jeunesse, fasciné par l’art pariétal et l’art roman, Alain Lacoste va, sur les conseils de Robert Tatin et de Jean Dubuffet, développer une œuvre personnelle d’envergure. Expert dans le monde de l’art et auteur de différents ouvrages, Roman Petroff propose ici, à partir de documents familiaux inédits, la première biographie de référence."
Ces deux phrases semblent résumer le livre posthume, consacré à l’artiste, selon le désir de la famille et signé Roman Petroff.
Une biographie qui occupe les deux-tiers du livre retrace la vie familiale d’Alain Lacoste, sa petite enfance, les péripéties de sa scolarité, les déménagements successifs et les réactions aux différentes possibilités nouvelles, les aléas et déboires de la vie conjugale, le déplaisir de l’enseignement et le honnissement du travail de bureau, la terrible Verrière et l’enfermement contre son gré d’un être dont le seul tort était d’être « si intérieurement écorché, si viscéralement impliqué dans les sujets traités, qu’il lui était difficile, sinon impossible, d’aborder ces questions sans que le côté colérique et violent de sa personnalité surgisse à nouveau » ; les bienfaits de son retour aux sources dans la Mayenne, et la stabilité venue intérieurement dans son foyer et extérieurement avec la rencontre des Tatin, de Stani Nitkowski, de Dubuffet, de Gérard Sendrey, d’autres…
Toutes ces variantes, ces évolutions développées longuement dans l’ouvrage un quart de siècle plus tard, rappellent que toujours Alain Lacoste fut un penseur, un philosophe, un rebelle, un touche-à-tout. D’ailleurs, ces éléments ont été de tout temps évidents chez lui, puisque, lorsque je l’ai découvert en 2003 au « Printemps des Singuliers », j’écrivais : « Sortes de bas-reliefs constitués de “peintures en saillie”, ou de “sculptures presque plates”… quelle que soit la définition qu’en donne leur auteur, les œuvres d’Alain Lacoste le situent dans une dissidence par rapport à toute classification dans un genre ! » : puis, dans un long entretien que j’avais réalisé avec lui en 2005 à la Tremblaie, il disait : « … Bien sûr, cette recherche est intimement liée à tout ce qui a été important dans ma vie : mon enfance, mon éducation, mes parents… Tout cela m’a profondément marqué… A mesure que j’avance en âge, je me dégage peu à peu de cette influence… ».
Roman Petroff traite ce même thème, insistant sur la religion que l’artiste n’avait pas évoquée dans notre entretien : « Il est difficile de mesurer à quel point il fut intérieurement marqué dans son enfance par l’éducation religieuse reçue dans sa famille. Quelle fut l’étendue de la foi qu’il lui accorda dans sa prime jeunesse ». Il décrit longuement le côté dissident d’Alain Lacoste : « Au-delà des opinions formulées à l’emporte-pièce sur l’histoire de la peinture et ses représentants ; et quels que soient les avis manifestés dans ses aphorismes, ses partis-pris ont permis au peintre de prendre conscience de ce qu’il rejetait. Alain Lacoste est un homme qui pense toujours ‘contre’ ; et c’est en fustigeant inlassablement ses ennemis réels ou supposés, qu’il est parvenu à se définir lui-même ». Et il dépeint l’aspect vital incontournable qu’était la création pour l’artiste : « Considérant le caractère vital de sa création pour son relatif équilibre psychologique, il est loisible d’affirmer qu’Alain Lacoste … est mort lorsqu’il a été dans l’incapacité de poursuivre sa geste créatrice… C’est en toute vérité qu’il confessait : ‘J’écris et je dessine comme je respire ; et quand j’arrête de créer, instantanément je ne suis plus rien’».
Là où j’avais vu ses premiers tableaux « très statiques, très calmes, non expressifs. Et tout à coup, vous êtes passé à une création vivante, narrative, chaque tableau proposant une anecdote ? Ce petit monde stylisé, d'apparence lourde et solide, aux membres raides mais aux allures paradoxalement mobiles, souvent cul par-dessus tête dans ses expressions paroxysmiques de joie, de danger… génère une création vivante, tonique et généreuse, pleine d'humour, épisodique et bon enfant qui, au fil des années, n'a pas pris une ride » ; Roman Petroff voit des œuvres « toujours brutes voire brutales, lesdites couleurs jailliss(ant) de leur support, qu’il soit en relief ou plan, un uppercut visuel. Alain Lacoste ne connaît que les teintes sans nuances, sans dégradés, au maximum de leur saturation, qu’il juxtapose pour obtenir des effets très voyants. Sa palette ignore la tendresse ». Mais sans doute le peintre/sculpteur a-t-il grandement évolué en ce quart de siècle qui sépare mes (modestes) écrits et cette étude globaliste et fournie, richement illustrée qui plus est, qui a abordé tous les aspects d’un Alain Lacoste homme ou/et créateur : son cadre embrasse l’universalité des possibilités offertes. Peut-être étais-je la poésie, l’humanité et Roman Petroff est-il la science, l’humanisme ?
Car science et humanisme il y a, dans cette monographie, théorisant tous les aspects de la création lacostienne, mais y mêlant savamment toute l’histoire de l’art. Faisant de ce titre, une somme qui aura sa place dans toutes les bibliothèques artistiques de France et autres…
Beaucoup plus proche du lecteur, est la partie consacrée à Michel Leroux, moins savante mais tellement intimiste qu’il dit ’je’. Il évoque sa découverte d’un Alain Lacoste encore aux prémices de sa création mais déjà bien établi dans ses convictions ; ses approches successives pour connaître les œuvres, apprivoiser l’individu. Il fait le récit des bonheurs et des déconvenues de l’artiste, qui, au fil de ses tentatives de publications, concluait avec son humour caustique habituel : « Ma plus grande fierté sera de démontrer par mon échec, la faillite des décideurs. Mais je ne serai plus là pour en profiter’. Il évoque sa dépression conjugale et le réconfort sans faille qu’il trouvera auprès de Danièle sa seconde épouse dont il dit : « Très attentive à ses productions, Danièle sera la cheville ouvrière de la création d’Alain. C’est aussi elle qui apporte vieux tissus, bois morts et autres cailloux anthropomorphes qui composent les ‘colleries’ d’Alain… L’histoire aurait pu être belle, mais vivre avec un artiste totalement engagé dans sa création, quand cette dernière est une question de survie… l’accompagner peut devenir un calvaire : Danièle a supporté l’insupportable ! ».
Finalement, très tôt compagnon de route, Michel Leroux témoigne de l’importance pour le jeune homme, des rencontres avec des artistes, des écrivains ; du fait que, d’abord attiré par l’écriture, Alain Lacoste commence à dessiner et à peindre de façon assidue au début des années 70, une production artistique singulière, alors que sa vie professionnelle lui est un lourd handicap. Il raconte comment, d’une création que l’on aurait pu dire classique, il en vient à une œuvre foisonnante et bouleversante, en jouant des matériaux de récupération les plus divers, (bois morts, galets, vieux tissus, etc.). « Je joue avec le hasard. Je le cherche. Mon travail est résolument anecdotique. Il est l’équivalent des journaux intimes. Sans trop l’avoir cherché, j’ai raconté toute ma vie. »
D’étonnements en admirations, Michel Leroux parle des notes prémonitoires d’Alain Lacoste concernant sa cécité à venir, ses dernières volontés mortuaires, son désir que ses œuvres reposent dans un musée. Ce faisant, il rejoint sa réponse dans notre entretien de 2005 : « C’est mon grand souci depuis quelque temps. J’aurais voulu créer un musée de mon vivant ; créer un lieu pour l’Art singulier dans l’Ouest, parce qu’il n’y a pas grand-chose. L’exemple de Bègles nous hante tous un peu. Mais ce village est très isolé, je n’ai pas le tempérament d’un organisateur, ni le sens du contact avec les gens. J’ai donc renoncé à cette idée. Il faudrait faire une fondation, mais je n’en ai pas envie. De sorte que par testament, j’ai donné le bâtiment et les œuvres qui sont dedans à la commune de Craon. A la seule condition qu’elles soient montrées, bien sûr ».
En conclusion, depuis le décès de Danièle Lacoste, puis de l’artiste en 2022, Michel Leroux s’investit au maximum de ses possibilités pour défendre cette œuvre. Son action est devenue pour lui une véritable passion. Il s’efforce de montrer l’intérêt posthume que suscite la création d’Alain Lacoste avec l’espoir qu’un jour, elle sera reconnue. Il pense sans ambiguïté que nous sommes en face d’une œuvre majeure dans cette mouvance « hors-les-normes académiques » qui nous anime. Même s’il est bien placé, lui qui a pris en mains les destinées de cet ensemble à lui confié par la famille héritière, pour savoir que des ventes aux enchères ne garantissent pas la réputation et la survie d’une œuvre. Mais, malgré les risques qu’elles représentent, elles ont l’avantage de faire circuler les œuvres, alors qu’il est évident que celles qui n’ont pas d’affidés, voire pas de simples regardeurs sont des œuvres mortes. Et, finalement, que faire devant un tel nombre de peintures, sculptures, écrits, etc., la ville ayant renoncé à créer un musée, sinon tenter expositions, donations, publications… ?)
Peut-être ce livre parviendra-t-il à accroître cette renommée ? Acceptons-en l’augure, même si, dans une courte dernière partie du livre, le neveu d’Alain Lacoste, Laurent Charbonnier, prévient tout optimisme en écrivant : « Pour résumer, l’œuvre d’Alain Lacoste est en vérité la résultante d’un savant héritage entre histoire personnelle et influences culturelles et artistiques, et entre intuition et réflexion, le tout donnant naissance à une œuvre unique, qui n’a pu trouver provisoirement de reconnaissance, malheureusement ou heureusement, qu’au sein des arts singuliers ». A suivre !
Jeanine RIVAIS
« ALAIN LACOSTE » de ROMAN PETROFF Editions Cristel, 238 pages 39 euros
Image 1/ Alain Lacoste dans son atelier. 2005.
Image 2/ L’HA laine de mouton : 1987. Techniques mixtes sur carton.
Image 3/ LE LIERRE QUI CHANTE. 2008. Techniques mixtes sur photographies de presse.
Image 4/ publiée dans Revue TRAKT N° 17 2022.
Image 5/ publiée dans texte de JEANINE RIVAIS 2005.