Maurice Pontana a-t-il réellement voyagé de par le monde ? Ou bien possède-t-il dans ses gênes de lointains ancêtres qui l’emmèneraient depuis des décennies en des endroits de fantaisie où sa curiosité, son imagination et son talent l’ont poussé à re/créer des "ethnies" bien à lui, une civilisation humanoïde pour laquelle il collectionne toutes sortes d’objets arrachés aux rebuts d’autrui : oripeaux gardant parfois la trace des corps, crânes blanchis par le soleil, coquillages, pierres et bois dont les formes burinées par le temps ont conquis son œil, métaux très "civilisés" comme ce pantographe emperlé ou ces tubulures aux parois élégamment gondolées ; ou au contraire ressorts mangés de rouille, vieux pans de véhicules, etc. ? Toujours est-il qu’il est l’auteur, en une très abondante œuvre sculptée, d’un foisonnement d’individus qui emmènent ses visiteurs vers de possibles Indiens emplumés de longues rémiges couvrant leurs vêtements ou dominant leur chevelure à la manière d’une tiare ; vers de vénérables chefs de tribus africaines gonflés d’importance dans leur boubou immaculé, plus loin encore vers des allochtones aux anatomies inattendues, ou aux postures les plus fantaisistes.
Quelle que soit leur " provenance ", ils sont alignés sur des étagères, figés sans mise en scène, dans les moindres recoins, leurs bouches en O et leurs grands yeux tristes ou durs fixés sur l’"étranger" qui vient rompre leur quiétude ! Car, contrairement à nombre de créateurs d’Art-Récup’, il ne semble y avoir de la part de Maurice Pontana, aucune volonté ludique : sérieux, graves, dubitatifs ou dominateurs, ses personnages sont là, serrés comme par instinct grégaire, témoins à la fois multiformes et conçus avec une grande unité, des associations inopinées surgies de l’imaginaire de l’artiste, et de près d’un demi-siècle de recherches formelles et de fantasmagories poétiques !
Autres témoignages du souci récurrent de Maurice Pontana pour la présence homomorphe, ses peintures. Œuvres conçues de manière différente selon les aléas qui ont jalonné sa propre vie. Les plus anciennes semblaient accorder à l’homme une certaine harmonie, une complicité des regards et des attitudes même stylisées, depuis les temps reculés où il rampait à quatre pattes, à ceux où il commença à se dresser, jusqu’au stade final où, grandi et dominateur, il couvrit, de ses bras immenses, cette ascension pyramidale, symbolisant les millions d’années de son évolution ! Quelque chose s’est-il détraqué dans l’existence de l’artiste ? Soudain voilà l’homme enfermé dans de petits espaces clos, strictement géométriques, tableautins dans le tableau, séparés par des fonds pâles couverts de ratures ou d’enchaînements spiralés. Sa silhouette s’y réduit jusqu’à n’être plus qu’un pictogramme parmi d’autres, larves, simples flèches ou écritures rappelant encore, comme avec l’énergie du désespoir, ses pérégrinations passées : "Shok ", " Fang ", etc.
Et puis, les œuvres plus récentes, complètement déstructurées, lourdes coulures de peinture surlignant verticalement les magmas de formes incertaines où ne se "lisent" plus que quelques triangles, et enfin la vie ramenée à des géométries détruites, flottant sur des fonds picotés de points ou de vibrisses, par-dessus lesquels encore, tragiques et terrifiants s’imposent les quadrillages de "grillages" peints qui enferment complètement l’œuvre !
Comment, dans ces conditions de tension optimale, le spectateur pourrait-il trouver dans les œuvres de Maurice Pontana le moindre optimisme ? Il est par contre tout à fait déconcerté, entre ces petits êtres austères certes, mais toujours porteurs de mythologies ancestrales ou cosmiques ; et cette création ombreuse à la fois belle, et inquiétante de suggérer que peut-être Maurice Pontana a quitté peut-être ses vagabondages oniriques pour des lieux plus secrets et sans doute plus désespérés
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000.