UKEO, biographie et texte
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« Je suis née le 13 décembre 1941 dans la ville papale d'Avignon, en pleine guerre, naissance programmée pour tenter de remplacer mon frère mort un an auparavant. Années sombres, premiers souvenirs faits de sirènes hurlantes, bruits de bombes et... gribouillages au crayon noir sur les pages du Larousse Universel familial.
J'ai longtemps habité des lieux minuscules. L’une parmi les autres raisons expliquant mon goût pour un monde miniaturisé que j'assemble ou fractionne en histoires, qu'enfant jamais vieillie, je continue à me raconter.
Dessiner. Tout a commencé très tôt, le long des journées étirées d'hiver dans l'isolement où me tenait ma santé fragile. Eternelle apprentie j'ai hanté l'école des Beaux-Arts, les ateliers de décoration, de gravure et plus récemment de mosaïque... jamais rassasiée.
Je vis entre vignes et pinèdes, dans la splendeur de la campagne aixoise.
L'atelier est le lieu où le temps est suspendu et si sur mon chemin le hasard bienveillant m'amène des regards amis : c'est le bonheur assuré du partage ». UKEO
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Ukéo est née en 1941. Elle appartient donc aux générations qui, chaque soir, à l’école, terminaient la journée par une frise, dans leur « cahier du jour » ! Petit travail entre deux lignes, fait de traits obliques, verticaux, horizontaux… pour ceux qui n’avaient pas une imagination débordante ; composée de petits modèles répétitifs sur toute la traversée de la page pour ceux qui étaient « forts en dessin » ; et imagée de petits éléments disparates pour ceux chez qui se conjuguaient imagination et talent ! Voilà sans doute une raison pour laquelle la frise est récurrente dans ses œuvres. Mais celle qu’elle donne comme la plus importante est l’exiguïté des lieux où elle a vécu et l’empêchait -l’empêche- de voir grand !
Il faut croire que l’imagination d’Ukéo est infinie, parce que cette frise peut être quasi-inexistante, cerner complètement l’œuvre, être au milieu du support générant ainsi deux vies ou groupes de vies, etc. Mais quelle que soit la formulation, son importance est capitale, et elle assure l’équilibre et la diversité de chaque création.
Est-elle presque inexistante, un large espace blanc subsiste autour du tableau qui comprend, perdu au milieu de ce blanc (ou gris, d’ailleurs), un personnage serré entre deux spatules médicinales (ce qui donne au visiteur la taille du tableau et crée un léger relief) ! ce personnage sur fond rouge vif peut être stylisé, donnant à la « femme » l’aspect d’une Alien, ou au contraire être presque réaliste, et elle est vêtue d’un costume folklorique et coiffée d’un képi. Mais ce sont alors les spatules qui garantissent la richesse de l’œuvre, peintes en noir, découpées en cases de tailles variées, dans lesquelles tentent de s’agiter (tentent car leur espace est réduit) d’autres personnages, des diables, un homme tenant une rose sous la lune, deux têtes prises en une querelle manifeste, un singe recroquevillé, que sais-je encore ?
Parfois, les spatules passent derrière le support verticalement ou transversalement, et l’imaginaire d’Ukéo entre en jeu, mêlant le stylisé au réaliste, l’humain taille humaine (!) sur fond rouge, petit gilet beige et pantalon rayé, bouille ronde, yeux cernés d’un lourd cercle noir, et paire de cornes sur la tête, écrasant un nain nu (!), côtoyant des amorces de femmes multiples, gens des deux sexes, nains, géants, difformes, réduits à la tête, animaux marchant à la verticale… Ou bien couple bizarre lui aussi sur fond rouge (d’ailleurs, pour éviter des répétitions, il est bon de dire que les personnages principaux d’Ukéo, quelle que soit sa mise en scène, sont tous sur fond rouge !) criant (ou chantant) au milieu d’oiseaux ; tandis que sur la barre verticale pour l’un, transversale pour l’autre, des petits couples ou des solitaires, toujours nus, regardent le visiteur.
Lasse peut-être du rouge, Ukéo chamboule tout (mais un chamboule-tout bien ordonné), le fond devient noir, la frise réduite à la portion congrue se résume à deux tirets d’un joli vert ou disparue complètement, cet ensemble formant un agglomérat de bâtonnets ou de spatules de couleurs différentes, sur lesquelles elle peint une surabondance surprenante de « foules » d’individus longilignes tassés les uns contre les autres, ne se regardant jamais mais fixant le visiteur ; tellement serrés que celui-ci se demande s’ils ne sont pas privés d’espace vital ; en tout cas, comment, avec des traits des visages aussi rudimentaires, une telle raideur des personnages, une telle incomplétude des membres… l'artiste peut faire surgir une telle absence collective de sentiments ?
Plus nombreuses sont les peintures où la frise est verticalement médiane. Selon toute apparence, l’artiste sépare des couples d’origines très diverses : les uns, à en juger par leur vêtement, sont de descendance égyptienne ; d’autres, sont « toutes reines », affirme Ukeo ; et en effet elles sont royalement couronnées et pourraient être grecques ; d’autres encore arrivent à coup sûr tout droit du cosmos avec leurs têtes disproportionnées, leurs corps biseautés, mais ce sont des matheux, car leur entour est constellé de signes d’opérations, plus, moins, multiplié…, zéros et racines carrées, etc. Et bien sûr, la frise offre une multitude de possibilités graphiques variables à l’infini.
Et puis, il y a celles qui « ont tout », les frises, les spatules, les bâtonnets, les couleurs, les cases, les fonds rouges ou pas, les personnages vêtus ou nus, les animaux étranges… Ajoutons qu’il y aurait assurément d’autres variantes imaginées par Ukéo sur ses minuscules supports ; et qu’elle est une vraie coloriste, bien que ne jouant que d’un nombre très réduit de couleurs !
En somme, tour à tour ludique, humoristique, raisonnable ou d’un imaginaire débridé, l'ensemble de cette œuvre est éminemment imaginatif et insolite… Mêlant esthétisme et originalité, Ukéo est la créatrice d’un travail d’où jaillit la poésie. Elle possède une grande maîtrise de l’infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une sobriété remarquables ; elle est en somme une talentueuse auteure d’un monde infiniment petit en train de trouver sa place dans le vaste univers !
Jeanine RIVAIS