“Oeil de triton, orteil de reinette...
Huile d’aspic, jus de crapaud...
Mêlons, touillons...” (¹)
Sans aller jusqu’à la magie noire, ou au rendez-vous dans une clairière, par une nuit sans lune, qui n’a, un jour, “rêvé” d’occire son pire ennemi en le matérialisant sous forme d’une poupée jetée rituellement au feu avec force incantations ? Faut-il penser que ce sont là les fantasmes les plus intimes de Francisco Alcantu ? Ou bien a-t-il dans ses gênes de lointains ancêtres africains qui auraient sculpté ces merveilleuses statuettes trop souvent brûlées par les missionnaires, portant dans la poitrine un reliquaire rempli d’herbes maléfiques ? A-t-il tout simplement ressenti dans son cœur et au bout de ses doigts, le besoin de créer ses petits êtres, tous féminins à coup sûr, si poétiquement inquiétants ; soigneusement dissimulés pendant vingt ans et, au grand plaisir du spectateur qui les a découverts tardivement, révélés pour accompagner une pièce de théâtre écrite par son fils ?
Quelle que soit la réponse, l’artiste réalise de petites beautés féticheuses, enjuponnées de tissus veloutés à longues traînes, coquettement parées de massives boucles d’oreilles de métal, coiffées de capelines aux longs becs d’oiseaux... ou plus primitives, culottées de peaux, vêtues de crins et de plumes. Les crins, accentuant la connotation maléfique, reviennent maintes fois dans les créations de Francisco Alcantu ; drapés sur la poitrine, bouffant autour des hanches, plantés perpendiculairement sur les crânes et retombant, raides et gonflés, plus bas que les épaules... De même, les plumes, longues rémiges formant des ailes et “ovalisant” les sorcières, tels des cocons, d’où n’émergent que des têtes cornues et des pieds fins et fourchus ou patauds et griffus!
De ces pelages, de ces pilosités, saillent des côtes véritables, d’authentiques clavicules... se lovent dans les échancrures, des seins, des cœurs et des sexes ventraux faits de matériaux récupérés par l’artiste qui en intègre les rythmes et les couleurs à la silhouette en gestation !
Les têtes, dont les yeux-boutons tout ronds, ou aux contraire étrécis comme chez les félins, jettent leurs lueurs troublantes ; tendent vers le visiteur leurs nez pointus d’où sortent parfois incongrues, voire obscènes, des langues multiples et démesurées.
La touche finale tient au fétichisme exsudé par ces sorcières tenant entre leurs mains acérées de petits réticules de cuir (quels talismans peuvent-ils bien enfermer ?) ; et à la superstition populaire inhérente aux chauves-souris-vampires, conçues par Francisco Alcantu avec des ailes de tissus arachnéens dont la légèreté est aussitôt démentie par des doigts-faucilles fouissant quelque squelette de chouette !
Un seul regret dans cette rencontre avec ces petites magiciennes aux visages chafouins, c’est la présentation trop circonspecte qu’en propose le sculpteur : que ne les met-il en scène, dansant sous les frondaisons d’un bosquet, autour de quelque chaudron ; scandant leurs litanies en y plongeant
"Oeil de triton, orteil de reinette...”
: surprises en somme dans les postures les plus orgiaques de leurs bacchanales ? Alors seulement, pris sans résistance possible dans les rets de leurs sortilèges, le spectateur irait-il mentalement au bout de ses propres fantasmes ; de toutes les fantaisies mortifères que font naître en lui ces poupées à la fois attirantes et effrayantes, fascinantes en somme !
JEANINE RIVAIS
(¹) Shakespeare : Macbeth
LES SORCIERES DE FRANCISCO ALCANTU ETAIENT PRESENTEES AU FESTIVAL DE ROQUEVAIRE 1996.
CE TEXTE, ECRIT EN 1996 A ETE PUBLIE DANS LE N° 60 DE JUIN 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.