L’UNIVERS PITTORESQUE DES PAYSANS DE PIERRE CARRESSE, peintre

(Pierre Carresse : 1936-2003)

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pierre carresse
pierre carresse

“Bonjour, Pierre Carresse”, disent les paysans du petit village béarnais de Bellocq à l’artiste qui, né parmi eux, est depuis toujours l'un des leurs ; et depuis 1967 les peint avec un amour et un humour rares !

caresse paysan au jambon
caresse paysan au jambon

(Pierre Carresse avait commencé à écrire pour lui-même, bien avant d'être hospitalisé dans un sanatorium. C’est dans l’atelier d’arts plastiques de ce lieu d’angoisse qu’il s'était mis à peindre. Au début, il ne pensait pas à ses compatriotes, bien sûr : il peignait des “écorchés” dans des couleurs violentes, des bleus, des rouges... qui hurlaient sur la toile comme hurlait le malade à l’intérieur de lui...)

carresse l'oncle pêcheur
carresse l'oncle pêcheur

       Guéri, de retour au village, il en commença “la chronique” : Heureux autodidacte, capable de se libérer de tous les canons de l’art pictural ; ignorer la perspective ; faire sans états d’âme se côtoyer plans lointains et gros plans ; ne se soucier d’aucune démarche, d’aucune école ; sans angoisse avancer à tâtons ; commencer par un détail et, au gré de sa fantaisie, de son inspiration, camper un "Facteur à bicyclette", un "Taxi porteur de litres", un "Curé ramené en brouette au presbytère", ou une table de bistrot devant une fenêtre par laquelle le spectateur aperçoit les montagnes béarnaises... façon Carresse : ne cherchant pas, en fait, mais trouvant toujours, dans son style si personnel, l’image juste ! Procédant comme un écrivain qui rédigerait son autobiographie. Car c’est bien d’autobiographie qu’il s’agit ! Une vie aux dimensions d’un village ; un microcosme générateur des fantasmes qui l’ont embellie, de toutes les images dont sa tête est farcie !

carresse l'émile il avait toujours le nez en l'air
carresse l'émile il avait toujours le nez en l'air

Subséquemment, si la source d’inspiration de Pierre Carresse est géographiquement réduite, la truculence avec laquelle il peint ses congénères est tout à fait jubilatoire : il connaît leurs défauts, leurs travers physiques et moraux : leur comportement matois, leur paillardise, leur grivoiserie, leur ivrognerie... Tout cela est sur la toile, sans méchanceté car il a pour eux toutes les indulgences ; mais au contraire avec drôlerie, avec une grande finesse d’observateur amusé et toute la fantaisie d’un artiste qui aime profondément les “sujets” qu’il peint dans des mises en scène qui éclairent, pour chacun, son défaut particulier ! Sans complaisance, par contre, pour les nantis, les bigots, qu’il massacre avec autant de joie qu’il a d’excuses pour le petit peuple !

carresse la brioche avant
carresse la brioche avant

Parfois, un peu las de voir autour de lui les mêmes trognes enluminées, l’artiste décide de “monter à Paris”, d’en peindre les miséreux. Les admirateurs inconditionnels de sa verve paysanne, de sa poésie champêtre l’imaginent alors faisant camper ses gueux au pied de la Tour Eiffel, envoyant ses déshérités se chauffer à la flamme du Soldat Inconnu ! C’est compter sans son honnêteté intellectuelle, sa certitude que, hors de son village, point de salut ! Tout naturellement, les Pauvres-comme-Job de la capitale se retrouvent à l’horizon de ses montagnes, dans l’intimité de ses vallées, car Pierre Carresse leur ouvre son village comme il leur a, depuis longtemps, ouvert son grand cœur !

carresse au nom du pain
carresse au nom du pain

Au bout d'un temps, cet éloignement sentimental réveille-t-il des nostalgies ? Le peintre rentre vite “au bercail”, resserre les liens psychologiques qui l’attachent à ses racines, y revient en une série de “portraits de famille”. Et c’est alors une nouvelle vague réjouissante qui déferle sur ses admirateurs rassurés et ébahis ! Car Pierre Carresse s’y livre à une cuisine goûteuse sur papier de boucherie (!!) qu’il a choisi pour son brillant, son pouvoir inégalement absorbant et les morceaux de paille qui y apparaissent ça et là. Sur ce matériau inattendu, prennent corps l’Emile, l’Albert ou Pierre Maïs... Commence alors une succession d’opérations non moins inattendues : ajouts d’extraits de chicorée, de sauce de soja (celle-là, Pierre Carresse l’emploie beaucoup, à cause des nuances brun-rouge “terribles” qu’elle incruste dans le papier et qui résistent aux rinçages et séchages successifs auxquels l’artiste soumet son support). A chaque nouvelle opération, il ajoute une couleur différente, la délave, en pose une autre : les sous-couches conditionnent les nuances des apports ultérieurs. Les lavages provoquent des chiffonnements qui persistent irrégulièrement lors des divers repassages! Bref, à la fin de ces opérations “ménagères”, le paletot de l’Alphonse est si délavé qu’il a “forcément” été porté pendant des années ; le pied de ferraille de l’Albert resté trois jours entre les lignes franco-allemandes à se faire tirer dessus par les deux camps, est rouillé à point ; les Dentols rient... à belles dents...

carresse pierre maïs crieur public
carresse pierre maïs crieur public

A travers ces chroniques authentiques de la vie rurale, Pierre Carresse est devenu, dans le monde de l’Art singulier, un véritable créateur “populaire”, développant une originalité qui, comme il est dit plus haut, fait fi de la perspective, des proportions, des règles traditionnelles de la peinture. Ce qui l’intéresse EST en gros plan dans son oeuvre, montagne, maison, ou bouille rigolarde ! Ce qu’il ne sait pas trop bien dessiner est peut-être de travers. Ou plutôt ce qu’il ne veut pas s’embêter à dessiner ; car, au fil des années, Pierre Carresse a acquis une solide technique, créant dans ce déséquilibre, un équilibre bien à lui qui, au premier coup d’oeil, campe dans sa définition sociale, chaque personnage. Et, parallèlement à cette technique personnalisée, le moindre de ses mérites n’est pas de trouver pour chaque oeuvre le titre qui accompagne “la scène” et montre à quel point il a intégré l’esprit paysan. Lequel sait frapper si juste lorsqu’il s’agit de trouver le sobriquet capable de coller à la peau de sa victime bien longtemps après sa mort : Alors, que vivent éternellement "Les Dentols", "L’Attrape-mouches", "Le Préfet", "Le Lecturant"… toute une galerie de figures joviales, madrées, égrillardes ou débiles... souvenirs tellement sincères, tellement forts, puisés dans son enfance, lorsqu’il n’était qu’un tout petit bout d’homme coursant "le Candidat-député en tournée électorale", qui parcourait le village à bicyclette !...

                                                                       Jeanine Rivais.

carresse trois coups
carresse trois coups

La plupart des photos sont de Raâk André-Pillois.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 56 DE DECEMBRE 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.