LES PETITS BONSHOMMES /TETES DE FRANCOIS CHAUVET, peintre
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Sachant qu'il a peint ses premiers petits bonshommes à vingt-sept ans, et qu'il est maintenant septuagénaire, à combien d'individus s'élèvent les populations de François Chauvet ? Le plus drôle étant, qu'à travers le temps, ils ont tous un air de famille !
Quelle que soit la réponse, ils sont là, côte à côte, tête à tête, leurs yeux ronds fixés sur le spectateur. Est-ce l’instinct grégaire qui les place ainsi de façon tellement dense, couvrant de leurs bonnes bouilles de multiples toiles (ou tout autre matériau, d'ailleurs, car François Chauvet les peint sur tout ce qui lui tombe sous la main !) ? Sont-ils, néanmoins, si égocentriques qu’aucune place n’est dévolue à d’autres, dans leur cadre ? Sont-ils de purs esprits, que nulle connotation sociale, géographique, temporelle… ne permette de les situer, d’imaginer pour eux la moindre vie hors de ce cadre ; ni entre eux la moindre relation car ils ne se regardent jamais ? Sont-ils tous égaux, bien que physiquement, certaines têtes soient plus grosses que d'autres, puisque aucune perspective ne suggère que certains pourraient être plus "importants" que leurs voisins ; qu’il puisse y avoir des dominants et des dominés ?… Ont-ils le sentiment d’être universels, que leur regard sur leur vis-à-vis de chair et d’os soit tellement direct, presque provocateur ? Sont-ils, en somme, les mille facettes subjectives d’un unique individu qui serait, pourquoi pas, leur géniteur : François Chauvet et ses milliers de protéiformes (mais combien "similaires") alter ego ?
Ainsi, comme il est dit plus haut, clef de voûte de cette iconographie, ces petits êtres sont toujours dépourvus de corps. Comme si, pour le peintre, seules comptaient les têtes ; ce qui expliquerait pourquoi elles sont généralement posées solidement sur une amorce de cou. Ou, si l'amorce est inexistante, (comme c'est souvent le cas), elles se tiennent néanmoins bien droites sur leur base. Conçues, en dépit de tous les questionnements, avec tant de certitude, que chacune est chantournée sans hésitation d’un unique trait de pinceau ; sans qu’il soit possible d’en déterminer le point de départ : arrondissant ou rentrant l’ovale des joues ; affirmant leur assurance avec leur menton carré ; gominant les maigres chevelures brunes, blondes ou rousses… Pas d'oreilles, de peur de rompre la linéarité de leur contour, peut-être ; ou comme si le visage en gestation devait naître centré sur lui-même, n’avoir pas vocation à "écouter" l’extérieur (ce que contredisent les yeux, d’où un paradoxe a priori). Et puis, presque rien, sauf les yeux justement, dotés d'une seule possibilité directionnelle… Un nez, parfois filiforme, en V inversé, en triangle inachevé, quasi-réaliste parfois… Et la bouche, petite, aux commissures toujours relevées pour affirmer que tous sont réjouis, qu'au pire ils réfléchissent et la bouche est alors parfaitement horizontale ! Car il s’agit chaque fois pour François Chauvet, avec ces traits rudimentaires, cette grande spontanéité ; cette discrétion et cette immutabilité absolues ; cette absence radicale d’effets spectaculaires ou fictifs, de rendre perceptibles à l’instant, leurs états psychologiques.
Mais alors, ces bonshommes/têtes ne sont-ils que d’apparence ? Ce serait mal connaître l’artiste et sa réflexion sur l’Homme. Et il revient au visiteur de découvrir pas à pas, les symboles qui se cachent derrière cette apparente répétitivité : Puisque, par exemple, ses personnages sont dépourvus de troncs, l’absence subséquente de jambes les empêche d’"aller vers…". Puisqu'ils sont dépourvus de bras, il leur est impossible d’appréhender le monde extérieur. Puisqu’ils sont asexués, même si intuitivement, ils sont, pour le visiteur, tous masculins, ils n’ont pas besoin de partenaires… Ils restent donc là, statiques, chacun explorant son monde intérieur.
Parfois, pourtant, -rarement !- François Chauvet les dote d'une amorce de torse, et le croirait-on, ils ont l'air habillés. Ou bien, il leur donne des jambes. Et celles-ci partent directement de la tête, rustiques telles des morceaux de branches arrachées à un tronc ; ou bien simplement raides, sans articulations : s'agit-il alors de mutants ? D'individus d'une civilisation plus avancée, en train de conquérir leur droit de parcourir le monde ?
Fort de ces présences qui l'accompagnent depuis si longtemps; depuis tant d'années qu'il brosse ces petits êtres très équilibrés, placés face au spectateur, l'artiste emplit de couleurs vives, bleues, rouges, violettes… les espaces entre les silhouettes ainsi campées. Et se produit alors un phénomène étrange : ces visages à l'origine blancs ou gris très pâle deviennent pour la moitié, bleu léger, rosée… comme si les couleurs du fond déteignaient dessus ou comme si l'atmosphère qu'ils respirent les imprégnait, se reflétait sur eux ? De sorte que le visiteur se demande si, finalement il est face à des petits bonshommes bleus, rouges, etc. ?
Et puis, il y a les sculptures de François Chauvet. Et, assurément, les petits êtres en trois dimensions qui naissent de la glaise, de la résine, de gousses de graines cueillies ici ou là, ou tous autres matériaux (comme les traces gravées dans la boue séchée après le passage d'un tracteur, par exemple !) appartiennent à la même ethnie que ceux des peintures. Sauf que, lorsqu'il crée un groupe à partir d'un unique socle, surgit immédiatement une impression de famille ! Nombre de fantaisies apparaissent aussi, un personnage debout, de dos, possédant corps, bras et jambes !! Un autre, démantibulé, suspendu à un cadre ; un autre encore en bois et ficelles, prenant des airs de sculpture africaine…
Mais pourquoi faudrait-il s'étonner de la richesse, la variété des œuvres de François Chauvet ? Ne manifeste-t-il pas depuis des décennies avec la plus profonde sincérité, son attachement à cette ethnie si particulière ? Quelqu'un a dit un jour : "Nous avons tous nos fantaisies, bien sûr" ! Comment ne pas s'enthousiasmer lorsque lui prend l'envie de multiplier les apparences de ces petits individus, générant ainsi un monde bien à lui, humain mais non réaliste ? Réalisant de ce fait une oeuvre majeure, un théâtre de la vie ; une création bon enfant et joviale (ce qui est rare de nos jours), profonde, authentique et originale. Subséquemment, une chose est sûre, si tous les gars du monde ressemblaient aux petits bonshommes de François Chauvet, la paix sur terre régnerait sans mélange !
Jeanine RIVAIS
Texte écrit en septembre 2019.