Il arrive qu'un artiste trouve le lieu où ses œuvres exprimeront au maximum les sentiments dont il les a rendus porteurs. Tel était le cas lorsque le visiteur faisait une découverte de hasard dans une ancienne salle blanchie à la chaux d'un vieux presbytère désaffecté. Car elles étaient là, les femmes d'Iziak, en groupe par terre, isolées, accrochées, leurs corps entièrement ocre brun, tacheté de noir, rendant au premier regard le drame de leurs angoisses et de leurs problèmes. 

          Et une évidence s'impose, concernant cette sculptrice : seuls, l'intéressent le corps et l'humain, la "forme" et le "dire". Sans aucun contexte signifiant qui en détournerait l'attention. Les rattacherait à la terre… Car, chaque œuvre, -féminine- n'est qu'un long cri suggérant qu'il est dans la nature humaine de se ronger, de se détruire, de rêver à soi jusqu'à ce que le corps en soit si gravement affecté qu'il parvient à une inexorable maigreur. Dès lors, pour le spectateur, nombre de ses "choix" coulent de source : Telles il imagine, dans la nuit des temps, les premières humaines, souvent nues, au mieux couvertes de vêtements rudimentaires ; telles sont pour Iziak, les femmes d'aujourd'hui, aux réalisations très diverses : maternelle souvent, tantôt dans son intégrité, visage ovale au menton volontaire, yeux qui ont du mal à rester ouverts à cause de la fatigue dont témoignent les cernes qui en noircissent le tour ; cheveux rares hirsutes ; seins flasques ; jambes lourdes aux pieds nus ; assise sur sa chaise au dossier/araignée ; tenant de ses mains aux doigts longs et effilés l'enfant assis sur ses genoux, l'air un peu triste,  ses petites mains posées sur celles de sa mère. Tantôt recroquevillée accrochée au mur, petits seins pointant nus ; son bébé dans son giron les yeux levés vers elle ; ventre creux, tandis que ses jambes disparaissent sous le corps de ce qui semble être un chevreau, à en juger par sa petite tête fine ? 

          Lorsqu'elles sont en groupe, elles sont partiellement réalisées, comme émergeant du tronc d'arbre originel, écorcé mais laissé dans sa rugosité, des moignons de branches portant parfois un petit animal : Il ne s'agit alors que d'un visage sur un buste sans bras, dissimulé sous un foulard croisé ou servant de support à un enfant ; le visage levé au ciel, ou la bouche ouverte en un cri ; ou bien ouvrant deux grands yeux surpris, au-dessus d'un nez épaté, et d'une bouche lippue…

 

          Cette artiste, ne laissant jamais rien au hasard, s'attarde longuement à patiner les épidermes, graver les chairs, buriner les visages, enfoncer quelque clou, densifier à l'extrême les silhouettes. Créant non des anatomies "esthétiques", mais des êtres dont le dépouillement, les rugosités, témoignent du primitivisme de leur existence. Sans pour autant se vouloir hyperréaliste, la précision du moindre détail, la manière bien à elle de délaisser des perspectives lointaines pour donner à ses scénographies l'omniprésence cinématographique des premiers plans… ont communiqué au fil des années à ses créations une telle véracité qu'elles apparaissent comme autant d'authentiques pages d'humanité.

 

          Seules réduites au buste dépourvu de membres, ou groupées, les humaines d'Izia prouvent son talent à lisser le bois, et même si elle semble les situer hors de tous temps, tous lieux, tous contextes sociaux si ce n'est assurément qu'elles sont pauvres et miséreuses, dans son esprit, elles sont actuelles. Personnages intemporels, donc, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité reflétant assurément les états d’âme ou les angoisses de l’artiste.

 

          La seule liberté qu'elle se donne pour les accompagner éventuellement, sont des oiseaux qui ne manquent pas d'inquiéter le visiteur : Blanc, il incruste dans le crâne de la femme/tronc des branches qui deviendront sans doute son nid ou bien, il s'agrippe carrément dans sa chevelure. Pire encore, ce sont des corbeaux, dont les siècles ont fait des oiseaux néfastes ; leurs ailes à demi-éployées, leurs becs noirs entr'ouverts, semblant piqueter le tronc sur lequel ils sont posés ! 

          De sorte que, handicapées ou entières, les œuvres impliquent un imaginaire compassionnel, générant des moments d'émotion pure qui noue une boule dans la gorge du visiteur : Ainsi, Izia crée-t-elle un monde humanoïde, une ethnologie personnelle. Cette réflexion mutagène l'entraîne en un cheminement hors des sentiers battus. Subséquemment, conscient de cette marche de la créatrice vers elle-même, comment le spectateur ne percevrait-il pas le questionnement personnel incessant, la préoccupation qui consiste à "SE" chercher dans les traces de vie primales, avec tant d'intensité qu'elle est l'initiatrice d'une œuvre poétique simple, sans recherche d'effets, bouleversante de sincérité, de souffrance, de spiritualité.

Jeanine RIVAIS

TEXTE 2024