“Eurêka” a dû, dans les années 60, s’exclamer l’étudiant des Beaux-Arts, Joseph Kurhajec visitant une exposition d’art africain ! Et il avait bien trouvé “sa” solution, puisque trente ans plus tard, il continue, avec une belle persévérance, à réaliser les animaux de son étrange bestiaire.

Parfois, il se révolte contre cette monomanie ; contre l’emprise de ces monstres auxquels ses mains donnent “vie” : il se lance alors dans une exquise série de “déesses-mères” aux formes idéalement rebondies comme celles de la Dame de Brassempouy ; jure que désormais, il restera dans cette voie... Jusqu’au jour où le dos des divinités se couvre d’épines, de poils... D’autres fois, bousculé par les tragédies mondiales, il atteste de son engagement politique en créant d’immondes créatures aux mains brandies vers un invisible ennemi ; aux sexes brutalement érigés comme des bombes : le seul moyen pour lui de libérer sa rage ! L’une et l’autre séries sont des parenthèses excentriques dans son travail. Paradoxalement, les “belles” sculptures paraissent incongrues dans son atelier. Et les gorilles sont tellement hyperréalistes que le visiteur se sent floué de son droit à la rêverie !

Entre ces périodes extrêmes, les sculptures de Kurhajec, bien que déraisonnables et morbides, sont fascinantes : des corps couverts de poils, humanoïdes ou animaux, aux morphologies imprévisibles ou ambiguës ; des têtes squelettiques et cornues ; des personnages totémiques ; toutes élucubrations vers lesquelles, invariablement, le spectateur tend la main pour tirer sur telle ficelle, faire cliqueter tel jeu d’os, faire boucler tel épi de poils raides ! En même temps, il hésite, à cause de la connotation fétichiste de ces extravagances, des grigris dont elles sont couvertes, sans qu’on sache jamais s’ils sont authentiques ou issus des fantasmes de l’artiste ! Des oeuvres plutôt petites, pour que l’on puisse les tenir dans la main ; comme ces statuettes africaines qui servent à appeler sur soi les esprits bénéfiques.

Néanmoins, bien que très proches des sculptures et masques primitifs par leurs ocres patinés, triturés, piquetés, griffés ou peints ; les oeuvres de Joseph Kurhajec, de pure intuition, en diffèrent par la fantaisie personnelle de l’artiste ; cette volonté malgré tout manifeste, de créer sans référents ; d’explorer formes, textures et couleurs ; allier métaux, os vrais ou faux, plumes, crins et ficelles, pierres, raku... ; composer sans relâche son fantasmagorique bestiaire. Ainsi peut-il se livrer à un continuel jeu vers et contre l’attendrissement et la dérision destinés à fusionner les opposés, le dur et le doux, l’organique et l’inorganique, le mystique et le réaliste... ; acquérir la certitude que, rebuté ou convaincu, jamais au grand jamais, le spectateur n’oubliera les créatures de Joseph Kurhajec.

S’il survit, bien sûr... car dans une toute récente accalmie, l’artiste a commencé une série de jouets... Or, les chevaux à bascule et les gentils nounours ont de si longues dents...

                                                 Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 55 DE JUILLET 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

Sometimes, he rebels against this monomania, against the ascendancy upon his mind, of these monsters which his hands give "life" to : He, then, takes up an exquisite series of ideally boxom "mother-goddesses" alike the Lady from Brassempouy ; swears that he will no longer move from that line… until thorns and hair start growing on the goddesses' backs ! At other times, hustled by the world tragedies, he testifies to being politically engaged by creating hideous creatures, with their hands brandished at some invisible foe ; their sexes brutally erected like bombs : his only way to vent his pent up anger ! Both series are odd digressions in his work : Paradoxically, the "beautiful" sculptures seem out of place in his studio. And the gorillas are so hyperrealistic that the visitor feels deprived of his right to dream !

Between these extrems, Joseph Kurhajec's works, though preposterous and morbid, are most fascinating : humanoïd and animal bodies covered with strange hair ; displaying unexpected, ambiguous morphologies : skeletal horned heads ; totemic characters… Towards all these lucubrations, the visitor always holds his hand out to tug at some twine, make such bone-stack rattle, curl such tuft of very stiff hair… ! At the same time, he hesitates because of the fetishist connotation of these extravagances, the greegrees which adorn them, without anyone being ever sure whether they are genuine or born from the artist's phantasms ? Rather small works, by the way, to be held in the hand, like those African statuettes meant to call the benefic spirits upon one's head.

Yet, though very close to primitive sculptures and masks through their patined, rubbed down, dotted, scratched or painted ochres, Kurhajec's works, of pure intuition, differ from them through the artist's personal fancy : this obvious will to create, in spite of his background, without referents ; to explore forms, textures and colours ; to blend metals, genuine or false bones, feathers, hair and twines, stones, raku… ; to compose without any let up, his very private personal original phantasmagoric bestiary. Thus, can he play an everlasting game towards and against the ancestral cultures which generated his vocation ; towards the feeling and derision meant to combine the contraries : hard and soft, organic and inorganic, mythical and realistic… acquire the certainty that whether rebuked or convinced, the spectator will, forever after, remember Joseph Kurhajec's works !

That is, "if" he can stay alive, because on a very recent period of "quiet", the artiste started a series of toys… Now then, the rocking-horses and the gentle Teddy bears have got such long teeth !...

                                                           Jeanine Rivais.