PEINTURES ET SCULPTURES EROTIQUES ET DOULOUREUSES DE CISKA LALLIER.

(7 mai 1949-6 janvier 1992)

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lallier "fleur ouverte"
lallier "fleur ouverte"

Il semble que Ciska Lallier ait vécu pendant de nombreuses années, une errance à la fois physique et psychologique. Revenue vers ses racines méridionales, elle a conforté une œuvre jusqu’alors à peine ébauchée.

lallier 2
lallier 2

Une oeuvre dont la préoccupation principale est la femme, le corps de la femme ; comme s’il constituait à lui seul l’identité de son être terrestre. Nue la plupart du temps, elle présente un galbe idéal aux longues lignes souples, aux seins idéalement modelés. Mais en même temps elle est conçue de telle sorte qu’il est impossible de dire si elle faite de cristal à travers lequel seraient visibles les éléments anatomiques vitaux ; ou si simplement, de la tête aux pieds, son corps est tatoué, et peut-être alors, faut-il considérer le sens originel de cette mutilation : protéger celle qui se l’inflige ?

lallier 3
lallier 3

Quelle que soit la  réponse, la femme semble entièrement assujettie à ce corps : tantôt, faite de dentelle bizarre, dont la délicatesse, l’élégance mettent d’autant plus en relief la violence à laquelle il est soumis ; tantôt, véritable "Fleur ouverte", elle se présente les deux jambes écartées, dévoilant son sexe-pétale aux lèvres bordées de fleurs. Sa peau n’est alors qu’enchevêtrements, enlacements de fleurs. Elle est là, complètement offerte, sur fond de petites fleurs également, et ses grands yeux largement épanouis en forme d’amande, sa bouche lourdement maquillée disent qu’elle est prête pour l’amour. Mais, antithèse de ce moment qui pourrait n’être qu’un répit érotique heureux dans le cours de sa vie, elle ressent aussitôt le "Désespoir d’être femme" et, sous un soleil rouge-sang plaqué sur une vague lune, son corps noir renversé en arrière, ses cheveux magnifiques tombant jusqu’au sol, semblent participer d’une bacchanale endiablée, danse de possession au cours de laquelle elle devient une sorte de poupée disloquée, d’araignée, etc. Et, dans l’œuvre suivante, faut-il croire que la " possession " a bien eu lieu, que son corps devenu squelette tourbillonne autour d’un soleil lançant ses rayons électrisés au-dessus de ce qui pourrait être un tribunal car y sont alignés cinq morts : On ne voit que leurs dents et leurs gros yeux vides. Dessinés sur un fond de minuscules traits qui se diffractent à partir d’un point situé entre les deux personnages centraux, ces morts sont partiellement couverts de ce qui ressemble à des nuages de cendre… Et tous ont un cœur… Un cœur, toujours, dans ce corps si mal/traité !

lallier 4
lallier 4

                

                Pourtant, il y avait aussi un esprit en Ciska Lallier. Qui, apparemment souffrit mille morts avant de quitter définitivement ce monde. Comment vécut-elle cette sorte de soumission de ce cœur et de cet esprit aux forces du mal qui semblaient la hanter ? Ses fantasmagories les plus noires ne l’entraînaient-elles pas en des rêves cauchemardesques ou d’effrayantes réminiscences de croyances primales ? Ces multiples peintures et dessins qui ont jalonné sa vie lui ont-ils permis de la juger plus supportable ? Toujours est-il que la femme récurrente sur ses œuvres doit traverser de bien dures épreuves : elle se dissimule parfois derrière un masque de chat ; Elle devient chauve-souris et se retrouve dévorée –la femme dédoublée, elle "dans", et elle "sur" elle- par des  sortes de loups cornus qui prennent appui sur ses ailes… Elle est, dans un jardin agressée par un diable… Elle est, sur fond de rideau de théâtre, dévorée sans trêve par une hydre et son corps progresse tout au long de celui, démesuré, de la bête aux énormes crocs… Elle est, dans le cadre étouffant de tentures murales couvertes de végétations inextricables aux lourdes fleurs vénéneuses, déchiquetée par d’énormes varans qui, en même temps s’entre-dévorent… Elle est, dans les ruines d’un temple grec, enlevée par une girafe… Elle est, dans l’interstice d’une flore monstrueuse, éventrée par une gigantesque araignée… Elle est, sur fond de porte de prison, transpercée par une licorne… Elle est… Elle est… Et sur entrelacs de lianes, elle est emportée par la mort…

lallier 5
lallier 5

La mort qui dut être omniprésente dans la vie de Ciska Lallier ! Comment alors, au vu de ces œuvres si dramatiques, si psychanalytiquement violentes ; de ces "récits" picturaux si introvertis, ne pas imaginer l’artiste tentant de protéger la femme de ses démons ? Ne pas la voir, penchée sur sa feuille, réaliser jour après jour ce travail aussi infiniment précieux que les dentelles qui y reviennent si souvent ; tentant de retrouver au fond de sa mémoire pour les exorciser, les affres de ses nuits ; en rendre compte en une sorte de journal où le dessin aurait remplacé l’écriture ; chasser par tous les moyens son mal-être… Et souffrir, peut-être  un peu moins de l’avoir dit ? N’est-ce pas là, malgré tout, ce que l’on appelle "descendre aux enfers" ?

                                        Jeanine Rivais.

lallier 6
lallier 6

Ce texte a été écrit après la visite à la Biennale ART ET DECHIRURE 2002 de Rouen.

IL A ETE PUBLIE DANS LE N° 72 TOME 1 DE FEVRIER 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.