Est-ce pour se créer des racines, lui dont les origines furent particulièrement perturbées, (‘) qu'Adam Nidzgorski a, un jour, commencé à dessiner ; découvrant ainsi le bonheur de fixer ses questionnements et le sentiment -enfin !- d'exister ?
La réponse serait ses petits personnages exécutés de façon très rudimentaire, la tête sans cou rivée sur le corps-vêtement, les jambes droites paradoxalement grêles et néanmoins vigoureuses ; prolongées par des pieds minuscules mais solidement campés, comme "comptables" d'une volonté bien arrêtée d'être "là" et de n'en plus bouger. Ils sont disposés en "grappes", serrés les uns contre les autres, par manque d'un espace ? Ou au contraire, pour affirmer qu'ensemble ils en possèdent un et ont appris à l'investir ? Rarement isolés, par conséquent ; et, dans ce cas, ils sont de facture différente, conçus à traits irréguliers, comme d'une main tremblée, des segments d'anatomies se chevauchant, générant des taches, repartant vers des jointures distendues... recrus de solitude au milieu du vide de la toile ou du papier. En fait, ils sont la plupart du temps en situation "de couple" ; mieux encore "de famille", tenant tous deux leur bébé, les enfants placés entre eux ou agrippés à la jupe de la mère... Parfois, au paroxysme de leur relation communautaire, ils sont organisés "en tribu" nombreuse, enlacés ou agglutinés. Dans toutes ces situations "sociales", le trait est "sûr", net, lourd de leur rayonnement. Et, quel que soit le groupage adopté par l'artiste, il implique toujours, bien qu'ils ne se regardent pas, une grande complicité, une profonde intimité entre ces petits êtres statiques, placés de face, bien sages comme pour une photo qui attesterait de leur réalité.
Simples, en somme, tellement simples que de prime abord, ils ressemblent à s'y méprendre à des dessins enfantins. Mais là apparaît, avec sa science intuitive des mises en scène, le second paradoxe de l'œuvre d'Adam Nidzgorski : s'imposent alors les yeux des personnages, leurs gros yeux ronds pleins d'expressivité qui, tantôt pétillent de malice, débordent de joie de vivre, tantôt promènent sur leur environnement leur regard vague, leurs airs penchés comme dubitatifs ou leur fixité tragique ! De tels yeux, s'ils peuvent certes, être ludiques et infantiles, véhiculent tous une si lourde charge de sincérité qu'ils appartiennent forcément à des gens ordinaires marqués par des stigmates de vies d'une poignante intensité.
Puis, comme il faut bien se raccrocher à un peu d'humour, les individus créés par Adam Nidzgorski "suivent leurs nez", de gros appendices phalliques qui leur mangent le visage, pendent comme des points d'exclamation entre le crâne au cheveu rare et la bouche en "o" ! Tout cela dans des noirs profonds ou de belles couleurs qui corroborent l'humeur de ces protagonistes. Car l'artiste est un coloriste talentueux : même en noir et blanc, ses œuvres ont l'air d'être en couleurs : Il sait combiner d'infimes touches d'ocres pâles pour nuancer le blanc, des dégradés de gris pour ciseler le noir ; créer avec eux comme chez les poètes, des ruptures, silences, plages de repos lui permettant de s'isoler, prendre du recul par rapport à ses personnages... le contrepoint étant un véritable festival de cinabres et de carmins, d'indigos et de myosotis, d'ambres chaleureux ou d'oranges acidulés... en particulier lorsqu'il crée des tapisseries dont les grandes envolées l'emmènent inconsciemment vers son folklore polonais, des œuvres gaies, stimulantes à la fois pour l'esprit et le cœur. Leur charme naïf, l'élégance de la broderie qui détermine les visages, créent un stupéfiant travail recto chamarré comme une légende du jour explosant de couleurs, et un conte de la nuit où seuls les contours des faciès se dessinent sur le verso de toile bise !
Et les collages, enfin, pour lesquels Adam Nidzgorski a une façon bien à lui de découper ses petites créatures, déconnoter pour leur servir de support, des œuvres culturelles (photographies de tableaux, paysages de calendriers...) Sur ces souvenirs de voyages, documents offerts, etc. il colle ses ribambelles de petits bonshommes très osmotiques, joue avec les formes préexistantes, les prolonge ou les escamote, réutilise les réseaux infimes de la page : s'approprie en fait l'espace des autres pour y imposer le sien... abandonne par ce travail de concentration et de grande sophistication, la gestuelle, la spontanéité qui, depuis des années, en donnant vie à ses touchants homuncules, le lient au monde des créateurs d'Art brut ; l'entraînent, le temps de leur gestation, vers celui plus ouvert de la singularité.
Jeanine RIVAIS
(‘) Né en France, en 1933, de parents polonais émigrés ; retourné "là-bas" à un moment où le béton du Mur ceignant les Pays de l'Est était particulièrement étanche et où il lui est impossible de rentrer en France ; à peine revenu au bout de plusieurs années, sitôt reparti vers le Maghreb (où il commence à dessiner) ; rentré définitivement en France en 1967 pour n'être officiellement naturalisé qu'en 1971.