LES MUSICIENS DANS L'EXPECTATIVE DE NICOLE PFUND

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Quiconque suit, depuis plusieurs années, le travail de Nicole Pfund, parce qu'il le ravit et lui pose problème, se demande, à chaque nouvelle rencontre, qui peuvent bien être ces personnages, de face, assis ou debout, mais toujours proposant au visiteur leur regard vide, comme cherchant au-dessus de sa tête, quelque lointain horizon ? 

       Certes, si leur corps est indubitablement humain, leur visage pose problème : Sous les grands yeux noirs sans sourcils, il s'agit pour quelqu'un de têtes d'oiseaux, pour d'autres de chiens, pour d'autres enfin, c'est le museau d'un quelconque animal, d'autant qu'ici ou là, de courtes oreilles pointues suggèrent qu'il pourrait s'agir d'un chat ?! Mais l'artiste, appelée à la rescousse, estime qu'il s'agit de musiciens. Point final ! 

 

     Cette réponse prouvant qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur leur identité, qu'en tout cas, leur identité ne pose pas problème à leur génitrice, il s'agit bien, en effet, de musiciens. Polyinstrumentistes. Allant du personnage au minuscule harmonica perplexe devant son pupitre ; au violoncelliste épuisé à côté de son énorme instrument. 

          Mais au fait, puisqu'ils sont tellement identiques, peut-il s'agir du même individu placé dans des "histoires" différentes ? D'autant que leurs vêtements sont toujours semblables : pantalon gris d'où sortent de lourds godillots bleu délavé ; veste marron ouverte sur une chemise blanchâtre et nœud papillon lie-de-vin ; à manches longues, hors desquelles apparaissent des mains brunes dont il est impossible de dire si elles sont gantées ou nues.

          Suite à cette interrogation, ce sont les lieux où se trouvent ces musiciens qui font difficulté : Car, si ces derniers sont dans des habitacles de couleurs différentes, l'ensemble est toujours un peu perdu dans une sorte de brume, de demi-flou à travers lequel le décor semble identique, à tout le moins très proche : Un angle ou le mur du fond d'une pièce peinte en un jaune probablement appliqué bien des décennies auparavant, car passé, taché, vieilli par de multiples contacts ! Ou gris, rouge… attestant de la même matière brute, rugueuse. Dans le même état de vétusté. D'autant que sur ces murs courent de vieux tuyaux ; que les bancs ont des pieds en fer forgé moulés à l'ancienne ; et que les chaises ou les fauteuils de velours sont d'un style qui a dû faire fureur… autrefois ! Toutes les portes sont fermées, les fenêtres murées. D'où il faut conclure que ces êtres se trouvent de façon itérative dans des huis clos, ce qui renforce, dans chaque tableau, l'idée de latence, d'inactivité… d'attente, mais de quoi ? 

     Et, donc,  la vie, dans l'œuvre de Nicole Pfund ? Là encore, il est bien difficile d'être définitif : Tous ses personnages sont seuls, à deux au plus, et en de rarissimes occasions, ils semblent former un quatuor ! Et s'il est impossible d'affirmer que leur posture statique et leur visage inexpressif attestent d'une totale introversion, il est incontestable, comme il est dit plus haut, qu'ils sont dans l'expectative… les seules fois où ils semblent extérioriser un quelconque intérêt, (du moins se tournent-ils vers lui), étant lorsqu'un oiseau –seul être vivant à s'introduire dans ces intérieurs- est venu se poser sur le coin du piano, ou sur les barreaux d'une chaise ; ou lorsque, inversant les rôles, ils se retrouvent assis, s'entreregardant,  dans les fauteuils des spectateurs. 

          En outre, rien de personnel ne vient rompre la monotonie du décor. Rien ne bouscule  l'uniformité des expressions : aucune exultation, exhortation des passions, exaspération des sentiments ; nulle indifférence même, ne sont susceptibles de générer quelque réaction corporelle. Même lorsque l'un d'eux, jouant du bandonéon, est assis sur une sorte de radeau, hors de tout contexte suggérant l'enfermement, il est évident à son attitude déjetée, que son esprit est resté "dans" ses murs ! 

          D'où l'on peut conclure que, si comme l'affirme Christian Bobin, "Dans l'attente, le commencement est comme la fin, la fleur est comme le fruit, le temps comme l'éternel", alors les êtres conçus par l'artiste resteront à jamais immuables ! 

 

          Car les référents de Nicole Pfund se trouvent dans la littérature, ou plutôt dans un mal de vivre théâtral, évoluant par ses non-gestes, du "Huis clos" de Sartre au théâtre de l'absurde d'"En attendant Godot" de Beckett, etc. 

          Et le visiteur ayant une fois encore scruté le sens de tous ces corps immobiles, et la poésie insolite qui s'en dégage, en vient finalement à penser qu'ils répondent à une motivation à l'effet pictural généré par la récurrence des situations, au-delà de la technique inimitable de l'artiste, pour remémorer à chacun la vanité du temps qui passe.

Jeanine RIVAIS

 

Texte écrit en septembre 2017.