Javier Castillo, écrivain espagnol, auteur de La petite fille sous la neige, est diplômé d'un master en management et a travaillé comme conseiller financier. Il abandonne les chiffres après le succès de son premier roman, El día que se perdió la cordura (2017). La petite fille sous la neige est son quatrième roman, le premier traduit en français. L'auteur a reçu le Prix Méditerranée 2023 pour cet ouvrage.
Dès sa parution, La petite fille sous la neige a connu un tel succès que le livre a été adapté pour Netflix, en une minisérie de six épisodes de quarante-cinq minutes. Série qui appartient à ces œuvres télévisuelles d'un format court, classiques mais efficaces, tenant le téléspectateur en haleine en distillant des indices au fil de l'intrigue.
Quant au livre, L'histoire est d'emblée tragique : Elle débute en 1998, à New-York, un jour où des foules énormes ont envahi les rues pour fêter Thanksgiving et assister au traditionnel défilé. Grace et Aaron Templeton se promènent, la petite Kiera, trois ans le lendemain, riant aux éclats sur les épaules de son papa. Celui-ci la pose à côté de son épouse et s'avance de quelques mètres pour lui acheter un ballon. Mais lorsqu'il se retourne, l'enfant a disparu. Leurs cris angoissés seront inutiles, Kiera restera introuvable. La foule en liesse continue de rire, hurler, sauf quelques passants étonnés de voir la police visiblement en train de chercher quelqu'un. L'horreur sera confirmée, lorsque Grace, enceinte de sept mois, s'évanouira et que les policiers découvriront à l'angle où s'est noué le drame, "un tas d'habits, au milieu duquel (le père) reconnut le pull rose de Kiera. Il y avait aussi la doudoune", et "Aaron sentit le sol trembler sous ses pieds et l'air lui manquer en voyant à côté des habits, des mèches de cheveux de la longueur de ceux de Kiera". Ainsi a-t-il suffi de quelques secondes pour qu'une famille heureuse et harmonieuse se retrouve en plein drame car, indubitablement, la fillette a été enlevée ! Mais par qui ? Et pourquoi ? Les recherches sont lancées, mais aucune avancée ne sera constatée au cours des années qui suivront, et elles seront finalement abandonnées. Quelques semaines plus tard, Grace fera une fausse-couche, et le couple se séparera, Aaron sombrant dans l'alcool et Grace s'aidant d'une série de rituels autour du souvenir de son enfant. Seuls, les anniversaires de Kiera les réuniront chaque année pour un jour aussi funeste !
L'affaire fait naturellement grand bruit. Un journal en fait sa une : "AVEZ-VOUS VU KIERA TEMPLETON ?", avec le portrait de l'enfant "qui restera gravé à tout jamais dans la mémoire de tout un pays. Si vulnérable, si fragile"… Ce jour-là, un professeur de journalisme d'investigation va susciter les raisonnements de ses élèves à propos de ce fait divers. Miren, sa meilleure élève, se désintéresse de tous les autres sujets proposés et commence à lire dans les journaux le déroulé de cette chronique. Elle décide d'"enquêter sur cet événement pour le travail de la semaine" ; puis de "se plonger dans l'affaire de Kiera de manière désintéressée".
Pourquoi Miren se sent-elle tellement concernée par cette histoire ? Est-ce parce que, journaliste naissante, elle a compris l'importance de la curiosité et de l'obstination ? Est-ce parce que l'année précédente, ayant accepté bien qu'à regret de se rendre avec une amie à une soirée organisée par des élèves de sa classe, elle a été droguée, entraînée dans un parc et violée par son camarade de classe, puis par un groupe d'inconnus survenus malencontreusement ; que, désormais, telle une écorchée vive, elle va être capable d'empathie pour cette famille désespérée ? Est-ce encore, parce qu'elle a été frappée par le principe que lui a inculqué son professeur et ami journaliste : "Ne jamais arrêter de chercher" !
Très vite, poursuivant ses recherches, elle découvre dans une vidéo, l'image d'un couple qui, quelques moments après l'enlèvement, tenant un petit enfant par la main, va prendre le métro. Mais, l'enfant est un garçon ! Et, pourtant, si elle avait pu savoir !! Quelques années plus tard, allant à contre-courant de toute la presse, elle va être seule à défendre et faire libérer un homme accusé à tort d'avoir tenté d'enlever une fillette. Serait-ce lui qui aurait enlevé Kiera ? Il s'avérera finalement que non. Mais apprenant par l'épouse de celui-ci qu'en réalité, c'est un pédophile qui fait commerce de vidéos de fillettes nues, lorsque la foule groupée autour du commissariat va procéder à un véritable lynchage et le brûler vif, elle ne ressent rien, c'"est comme si, pour une fois dans (sa) vie, (elle voyait) la justice frapper les méchants. Enfin !"
Les années passent. Kiera est oubliée de tout le monde, sauf de ses parents, bien sûr qui ne font que survivre, le seul moment où ils se retrouvent, et le pire étant celui de l'anniversaire de leur fille qu'ils ne pourront jamais fêter, et où tous les autres fêtant Thanksgiving, "les milliers d'ampoules (de la rue semblaient montrer) le seul endroit où il n'y en avait pas et où le gazon était sec et parsemé d'immenses trous…". Miren non plus n'a pas oublié Kiera, et consacre à des recherches de tous côtés, le moindre de son temps libre. Son intérêt ne tient pas du hasard, car la tension liée à l'espoir de retrouver l'enfant lui permet peu à peu de se débarrasser des affres de son lourd passé, et redevenir elle-même.
Cinq ans se sont écoulés, et voilà qu'au matin du huitième anniversaire de la fillette, les Templeton découvrent dans leur boîte aux lettres un paquet, fermé de papier à bulles, contenant une vidéo en VHS d'une minute, sur laquelle ils voient Kiera, "la Kiera de huit ans, en train de jouer à la poupée, avant de la laisser sur le lit, de coller son oreille contre la porte et d'aller à la fenêtre. Lorsqu'elle se tourna vers la caméra, l'image s'interrompit et le magnétoscope expulsa la cassette, comme si de rien n'était". Peut-on imaginer l'émotion, la peur et la joie des parents, voyant leur fille -vivante !- jouer tranquillement dans une chambre anonyme ? Miren reste ébahie par la nouvelle et l'inspecteur Miller sceptique ! Bien que celui-ci réussisse à convaincre ses supérieurs de reprendre les recherches, rien ne résultera des analyses de la cassette, sauf que la vidéo a été réalisée sur un vieux camescope. Mais aucune indication, aucune empreinte ne seront relevées, qui auraient pu faire avancer l'enquête. Laquelle retombe dans l'oubli.
Et les années reprennent, scandées par le même vide, les mêmes angoisses, simplement rythmées par l'arrivée à chaque anniversaire de la fillette d'une nouvelle cassette. La première vidéo était apparue en 2003 dans la boîte aux lettres de leur maison, mais les deux suivantes étaient arrivées, imprévisibles, en différents endroits… devant les bureaux de la compagnie d'assurances où Aaron avait travaillé et les caméras avaient alors donné un détail, découvrant "une femme aux cheveux frisés s'approchant des bureaux au lever du soleil et laissant l'enveloppe sur un arbuste près de la porte d'entrée" ; la troisième était posée sur un banc de Prospect Park, à quelques pas du nouvel appartement d'Aaron. Chacune avait apporté un peu d'espoir, mais semblables questions : Où est Kiera ? Qui sont les gens qui l'ont enlevée ? Qui et pourquoi envoie cette cassette ? Miren bouleversée publie un article, détaillant pour les lecteurs les éléments qui, dans la vidéo pourraient attirer leur attention, leur rappeler un détail, bref, éclaircir "le jeu le plus macabre qu'on puisse concevoir". Rien n'en sortira, sauf peut-être une indication possible sur les magasins (des milliers) qui vendent la petite maison de bois vue dans la chambre inconnue. Elle va même jusqu'à embaucher deux étudiants pour leur faire chercher à plein temps tout ce qui pourrait constituer une avancée.
"Quelque part" : Parallèlement à la douleur de la famille et aux choix de vie de Miren, à son implication et sa persévérance, quelques chapitres concernant les ravisseurs emmènent le lecteur chez Will et Iris. Il s'agit en fait d'un couple en plein désarroi. L'homme a décidé d'enlever un enfant pour que sa femme qui a fait plusieurs fausses-couches, soit heureuse, car elle disait tout le temps qu'elle "voulai(t) une famille, qu'elle voulait raconter des histoires à (son) enfant le soir et le rassurer quand il est triste". Ce sera Kiera. Paradoxalement, la mère serait prête à rendre la fillette, mais face aux éventuelles poursuites policières, le père s'y refuse, et ainsi dit-il à sa femme. "ce sera notre petit trésor rien qu'à nous, personne n'entrera chez nous". Kiera devient Mila. Au second anniversaire, c'est lui qui achète la maison de poupée : "Une maison ! Il y a même un petit arbre", s'exclame Mila qui, pour la première fois dit à ses kidnappeurs qui lui souhaitent son anniversaire, "Je vous aime".
Mais, tout à la joie de lui offrir ce cadeau, le père a laissé la porte ouverte et Mila est sortie dans le jardin. Panique, il faut la retrouver avant que les voisins ne la voient ! Et le lecteur apprend qu'elle est en fait prisonnière, sous prétexte (!) que la pollution la rendrait malade. Hélas ! un voisin l'a vue et tenté un chantage. Il est tué et enterré dans le jardin ! Instinctivement, Mila qui, sans doute a aperçu le voisin mort, s'éloigne de "son père", sa femme également. De désespoir, il se suicide. Les années passent, évoquées côté ravisseurs, s'intercalant aux années survécues par les parents et par Miren qui est devenue le fil conducteur de cette aventure.
Côté ravisseurs, il n'est question de cassette que lorsque sont évoquées les circonstances dans lesquelles Iris décide de réaliser celle qui, pour les parents et la police, deviendra "la première". Allumant par hasard la télévision, elle tombe sur une cérémonie d'hommage organisée par les parents éplorés. Elle regarde en pleurant ces images. Comprenant alors seulement "à présent qu'elle aimait Mila de tout son cœur, à quel point les Templeton devaient l'aimer eux aussi… Elle pensa à ce qu'ils avaient dû endurer…". Elle décide alors, avec toutes les précautions pour que rien n'en trahisse l'origine, de faire parvenir aux parents la cassette enveloppée de papier à bulle.
La seconde évocation, se déroulera lorsque Miren, à force de recoupements, ayant pratiquement résolu l'énigme, sonne à une porte et constate que la femme qui lui ouvre est bien celle du couple qu'elle avait vu naguère sur une vidéo. Se présentant comme une employée de la banque d'Iris, elle prétend venir parce que des erreurs se sont produites sur son compte. Puis, dans la conversation, elle lui demande pourquoi elle a acheté des cassettes VHS ? Quand elle dit souhaiter voir son vieux camescope, Iris comprend qu'elle est démasquée. Immédiatement, elle organise leur fuite. Alors que Mila est déjà dans la voiture, Iris rentre dans la maison, prépare la dernière cassette vierge et filme la chambre vide : "Elle pensa que les parents de Mila comprendraient qu'ils ne recevraient plus de nouvelles de leur fille. C'était un adieu, un adieu sans mots, silencieux, il ne pouvait en être autrement".
27 novembre 2010, douze ans après la disparition de Kiera : Arrive une nouvelle cassette, mais… "Qu'est-ce que c'est que ça ?" hurle Grace. "Sur l'image, filmée depuis l'un des coins supérieurs de la pièce, on pouvait voir" la chambre habituelle, mais alors que dans les précédentes, il y avait toujours eu Kiera, "plus grande à chacune de ses apparitions, le compteur continuait d'avancer, implacable, devant l'incrédulité des deux parents". Muets d'angoisse, les questions se bousculant dans leur tête, "lorsque le compteur afficha 00.59, l'image se figea et le magnétoscope expulsa la cassette. L'écran se teinta en bleu pour ensuite passer à la neige, ces points noirs et blancs qui sautillaient d'un côté à l'autre". "Non, crièrent-ils en chœur" " en voyant Kiera disparaître de leur vie pour la deuxième fois". Et le lecteur comprend, pour l'avoir vu sur son propre téléviseur chaque fois qu'un film est terminé avant la fin de la cassette, que c'est psychologiquement là qu'est engloutie Kiera. Et que ce phénomène tombant sous les yeux des parents affolés, justifie le titre !
Miren, consciente d'avoir enfin trouvé la ravisseuse, suppute l'attitude que celle-ci va adopter : quand Iris arrive devant l'ancienne maison des Templeton, et demande à Mila de déposer dans la boîte aux lettres ce qui, dans son esprit, est l'ultime cassette, Miren surgit et dit à la fillette : "Laisse-moi t'aider, Kiera" et glisse l'enveloppe dans la boîte. Iris qui l'a reconnue, essaie, affolée, d'entraîner Mila vers la voiture. La fillette qui ne comprend pas ce qui se passe lui pose mille questions ! Dans le même temps, Miren monte à l'arrière, avec l'intention d'empêcher la ravisseuse de disparaître et l'obliger à aller chez les parents pour leur rendre leur fille !
Les Templeton ne connaîtront que des heures plus tard les circonstances dans lesquelles cette ultime cassette a atterri dans leur boîte. Et ce qui s'est déroulé ensuite. Et même si ces circonstances auront été dramatiques, la fin sera pour eux un infini bonheur.
Quant à Miren, elle pourra enfin leur dire "J'ai retrouvé Kiera". Elle racontera l'histoire à l'inspecteur Miller bouleversé et soulagé, lui qui, indépendamment de ses chefs, a œuvré pendant ces douze années. Et à la question de son ancien professeur venu la voir à l'hôpital, elle répondra : "Je n'ai fait que suivre ton conseil. Je n'ai jamais cessé de chercher".
Avec ce roman, Javier Castillo aborde un sujet universel, car son histoire concerne possiblement tous les parents du monde. D'autant qu'il a parfaitement su analyser tous les arcanes de ce thème, de sorte que le lecteur partage du début à la fin, l'attitude des parents, vit avec eux leur torture au quotidien.
Par contre, s'il faut à ce lecteur être objectif, il sera immanquablement agacé par le fait que les chapitres se chevauchent, s'entrecroisent sans logique ou nécessité apparente, entre 1998 où l'enfant est ravie, et 2010 où elle est retrouvée ! Néanmoins, les titres des chapitres sont précis, permettant de ne pas se perdre dans le déroulé de l'histoire, de finir par se retrouver dans toutes les strates de temporalité, et s'attacher à ce thriller hors-norme.
La couverture du livre propose "Le nouveau phénomène littéraire", une définition signée Joël Dicker qui sait lui-même ô combien, faire vibrer ses lecteurs.
La petite fille sous la neige est une histoire de douleur, de perte, de peur et de désespoir. Mais c'est aussi un livre sur l'amour et l'espoir malgré tout, tout cela porté par la volonté de la journaliste, de ne jamais renoncer à chercher. L'histoire de Miren qui s'imbrique étroitement dans celle de Kiera, est émouvante et attachante. Et l'auteur qui est un homme a su parfaitement décrire cette jeune femme, qui est le personnage féminin central de cette histoire ; développer ses traumatismes, sa volonté farouche de retrouver l'enfant dont la vie complète si bien la sienne. D'ailleurs, l'auteur joue sur la psychologie de tous les protagonistes, même les personnages secondaires ; leurs sentiments, leurs forces et leurs faiblesses, leur vécu.
La petite fille sous la neige est un récit parfaitement structuré. Qui plonge dans la vie américaine journalière. Y sont traités la presse à sensation avide d'histoires croustillantes ; le manque de moyens de la police, tenue de s'en tenir au quotidien ; le développement de technologies de communication, l'Internet ; les conséquences annexes de la douleur insupportable, l'effondrement du couple, la chute dans l'alcool, la déprime et les rituels du deuil qui ne veut pas dire son nom… Il s'agit donc en même temps que de thèmes de société ; d'un récit d'investigation policière et journalistique.
En bref, malgré quelques défauts, il s'agit-là d'un roman à lire absolument. Une belle découverte, et pour moi un coup de cœur.
Jeanine RIVAIS
"LA PETITE FILLE SOUS LA NEIGE" de JAVIER CASTILLO : Editions Albin Michel. 380 pages. 21,90 €