LA TRILOGIE : "CROIS-LE", "LYAO-LY", "SI TU NOUS REGARDES"
UN AUTRE "PAYS", UNE AUTRE CULTURE, UNE TRILOGIE PALPITANTE
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Trouver au hasard d'une pile d'ouvrages un auteur tahitien, voilà qui n'est pas banal ! A croire que les dieux polynésiens qui sont à l'honneur sur les magnifiques couvertures avaient ce jour-là besoin d'espace pour permettre au lecteur de découvrir cette trilogie policière de Patrice Guirao tellement décalée, drôle ou touchante. Où se conjuguent autodérision, gouaille, humour mais aussi nostalgies et désespoirs. Le tout réuni dans un récit passionnant, où s'enchaînent les rebondissements. A cela s'ajoute la surprise de découvrir les multiples talents de l'auteur : parolier de chansons à succès, auteur de comédies musicales et de thrillers. Et puis le rappel que Tahiti est une île française. Mais pas une Tahiti pour touristes, la vraie, l'authentique Tahiti qui n'en est pas moins -quand ne s'abattent pas des pluies torrentielles- paradisiaque avec son lagon bleu, "ses routes de corail blanc conduisant entre les arbres séculaires, à des maisons en bois", les voiles qui se balancent mollement sur l'eau, l'interpénétration terre/mer dans l'exubérance de la végétation, les odeurs, les noms tellement dépaysants, les détails sur les couleurs… Et le langage, les expressions polynésiennes si riches de nuances. Tout le monde y salue et tutoie tout le monde… On y roule terriblement les R, mais on adoucit la sonorité des phrases en supprimant systématiquement les "que" : "Y faut tu viens pourr lui dirre lequel terrrain tu veux", "Tu savais il avait un fils ?", "Ça fait longtemps tu es venu"…
Aussi surprenante est la rencontre avec les protagonistes de ces trois tomes, tous tellement atypiques qu'il est jubilatoire de s'y attarder : Le principal est LE détective privé de Tahiti. Son nom est Edouard Tudieu de la Valière, "mais pour un privé, ça ne le fait pas", alors il a pris un nom d'emprunt, Al Dorsey, "comme le Dorsey de l'orchestre de Sinatra, dans les années 40… Ça sonne quand même plus américain. Il faut ce qu'il faut". Al Dorsey, c'est "Détective privé -Filatures -Enquêtes -Surveillance -Recherches -Renseignements -Protection. La totale, quoi. La plupart du temps c'est plutôt : Surveillance et Filatures ; et pas trop : Recherches et Enquêtes, mais bon, bon an mal an, ça roule !". La trentaine bien sonnée, il n'est pas très mature, et Mamie Gyani, sa mère n'y est pas pour rien, elle qui persiste à l'appeler "Mon Doudou" !
Seul privé de l'île, Al prend les affaires comme elles se présentent, mais comme il ne se passe pas grand-chose à Tahiti, les finances sont toujours au plus bas ! Naïf, il est aussi désabusé, un peu dépressif, mais gentil, serviable. Il est fou amoureux de Lyao-Li, "la plus belle manchote du monde" dont un bras a été emporté par un requin. Elle est spontanée, vivante, farfelue. En fait, elle est un peu l'Arlésienne de ce triple récit ! le lecteur la voit peu dans le premier tome, mais entend sans arrêt parler d'elle par Al qui aime tant partager sa vie, mais déteste son chien Baldwin, un petit Chihuahua capricieux. Elle est omniprésente dans le second, mais le corps entièrement brûlé au vitriol par des bandits qui l'avaient enlevée, elle est dans le coma. Elle est rescapée dans le troisième grâce à la médecine d'un vieux sorcier, mais…
Mamie Gyani, mère aimante et maternante d'Al, veuve depuis de longues années, vive, truculente, réaliste ou un peu mystique, figure importante de l'île, est aussi familière avec l'archevêque de Papeete qu'avec les autochtones, ou qu'avec Michel Drûcker quand il vient en visite. Et tout le monde la connaît. Naïve, elle s'amuse comme une enfant en se couvrant des magnifiques bijoux volés (évoqués plus bas) dont Al va apprendre qu'ils sont depuis des années cachés chez elle ; mais scrupuleusement honnête, elle les remet dans leur cachette en attendant de pouvoir les restituer à la police. Elle vit dans un jardin de rêve, où se conjuguent toutes les senteurs des plantes exotiques.
Le meilleur ami d'Al est le commissaire Philibert Sandona, alias Sando, "Bel homme, Burt Reynolds avec deux tresses en plus". "Côté vannes, il n'a pas fait l'école du rire. Mais on s'y fait". Il est souvent un peu lourd, surtout lorsqu'il accoste immanquablement Al par un "Salut Al-zheimer ; Salut Al-lo, Salut la myg-Al ; etc." qu'il est le seul à trouver drôle ! Il pique des colères homériques renforcées de jurons, s'énerve contre ses adjoints tahitiens qui laissent couler la vie comme elle vient, mais aussi contre les Métropolitains dont le rythme est trop trépidant à son goût. Insouciant, amoureux immodéré des femmes, il est inconditionnellement l'ami d'Al, au point de risquer sa vie et sa carrière pour le sauver !
Et puis, il y a l'inénarrable Paul-Armand Lying, alias Toti, vieux Chinois qui "a au moins cent-vingt ans". Il est milliardaire, mais vit comme un clochard, "debout dans ses savates d'un gris avancé, les ongles endeuillés d'une vénérable crasse chèrement acquise au terme de longues semaines d'abstinence d'eau savonneuse… Presque chauve, six poils en tout". Il est partout à la fois, à vider les poubelles de l'hôtel, ranger les chariots de l'aéroport… Il parle de lui à la troisième personne et assure que toujours "Toti nettoie pa'té". Il est le propriétaire du bureau d'Al à qui il chipote quelques francs sur le loyer, mais il est prêt à lui prêter un million de dollars lorsque les truands le menacent ! Descendant de Gauguin, il possède une malle pleine de dessins que son père avait récupérés dans les poubelles, mais, inconscient de leur valeur, il en brûle chaque année quelques-uns pour Ka San, la fête annuelle des morts chinois, sur la vieille tombe qu'il a découverte à l'achat de sa bicoque et dont il raconte partout, pour éviter les questions, que c'est celle de son épouse décédée !
Il y a encore le vieux sorcier Tamatua aux yeux bleus dont Al se demande "quel métissage d'un pays lointain est à l'origine de leur couleur". Il s'attendait à "l'entendre parler avec cet accent où les 'r" roulent en cascade, mais il parle "son" français sans l'ombre d'un accent". Il est le "tahu'a" (¹). Il vit dans un "fare" de bric et de broc, à côté d'un "marae". C'est lui qui va donner à Al le "rä'au" supposé guérir Lyao-Ly.
Enfin, tient un rôle important dans l'histoire l'Américain Jean Heaumard venu de Paris pour une émission de télé-réalité et chargé par la petite-fille d'un certain Alexandre Léglise, de retrouver celui qui naguère a fui avec le butin après un vol de somptueux bijoux à Anvers, laissant son complice emprisonné pour des années. Ayant engagé Al pour l'aider dans son enquête, il lui révèle que, coïncidence des choix de son émission intitulée "Si tu nous regardes", il est le fils du voleur décédé à sa sortie de prison.
Et bien sûr, tous les autochtones, la directrice du musée, sa secrétaire Marie-Claire qui harponne tout homme passant à proximité, les adeptes des nuits chaudes de Tahiti, un faux et un vrai curé, des truands, un sculpteur aux mains rongées par la lèpre, etc. Tous seront partie prenante d'une double enquête compliquée et hasardeuse pour le détective, et emmèneront le lecteur au cœur de Tahiti et de l'Ile de Pâques où il ira chercher le fameux Tahu'a … Avec eux, défileront la vie, les habitudes de Polynésie, l'accueil, le réel et le surnaturel, tout ce qui déroute, surprend, rassure ou inquiète, permet de s'évader dans une autre culture.
Tous ces acteurs de l'aventure sont résolument "imprégnés" de l'île ; à la fois touchants et agaçants, tellement humains et dotés d'une personnalité complètement différente les uns des autres.
L’intrigue
L'histoire commence au moment où Al, assis dans son bureau miteux, mélancolique, perdu dans ses problèmes d'argent, rêvant de Lyao-Li en partance pour les Etats-Unis, reçoit sur le vieux téléphone en bakélite, un appel qui va chambouler sa vie : c'est un prêtre, le Père Levret qui demande urgemment un rendez-vous ; "Un curé dans mon bureau ! Mais qu'est-ce qu'un curé peut bien attendre d'un détective privé ?" s'exclame Al ! Il s'avère que ce curé, reçu dès l'après-midi, le charge de retrouver les propriétaires d'une mallette qui flottait sur la rivière à Takapoto et qui contient des photos de jeunes femmes, des jumelles apparemment ; et divers objets dont un carnet sur lequel est écrit au feutre, un grand "HELP" ! Au cas où il s'agirait d'un enlèvement, Al doit impérativement retrouver ces jeunes filles ! Sur ce, le Père Levret se lève et disparaît. Curieux, Al fouille la mallette, et dans le double fond, découvre… des billets, "environ cinq millions de dollars !". Résistant stoïquement à la petite voix qui lui souffle : "QU'EST-CE QUI T'EMPECHE DE GARDER CET ARGENT, AL ?", il cache la mallette dans son bureau, et porte les billets à son ami Sando. Une analyse révélera que ce sont des faux ! Pendant son absence, son bureau est cambriolé, la mallette disparue, et peu après le curé Levret est assassiné au grand désarroi de Monseigneur Ibraïm Borenberg ! Or, il s'avère que le mort n'est pas le visiteur du matin qui est donc un usurpateur !
De trajets dans sa vieille 4L poussive et qui, bien sûr, n'a pas la clim', en voyages en avion jusqu'à Takapoto, Al apprend qu'en fait, le curé de là-bas, le Père Duchalier, ami de l'authentique curé Levret, a, pendant la guerre, fabriqué des millions de faux dollars et que le voilà objet de chantage de deux Américains louches qui exigent qu'il recommence. Ce curé devenu prêtre par le plus grand des hasards, naguère sensible aux pensées anarchistes et agissements de la Bande à Bonnot, eut dans sa jeunesse une vie très mouvementée. Mais de l'eau a coulé sous les ponts. Aujourd'hui, vieux et tout confit de religion, affolé par la tournure des événements, il a, dans un accès de remords chrétien, détruit la machine ! Le voilà donc en grand péril de subir le même sort que son ami ! Al retrouve le faux Levret à l'hôpital sous le nom usurpé de Brendon Brother : il est en fait le frère du vrai curé Levret à qui il était tout simplement venu rendre visite et s'est trouvé fortuitement mêlé à toute l'histoire !! Ainsi le détective va-t-il pénétrer à son corps défendant dans les secrets de personnages douteux qui aujourd'hui ont pignon sur rue ; et doit-il démêler les aléas d'un passé explosif remontant soudain à la surface !
De multiples rebondissements vont émailler l'enquête menée par un Al qui a perdu sa désinvolture, sa nonchalance. Un à un, il va dénouer les fils du problème ; soulagé du fait que Lyao-Ly s'envole pour les Etats-Unis pour travailler avec son équipe de mannequins… jusqu'au jour où il apprend que les malfrats lui réclament les millions de la mallette, plus un million de pénalités et l'avertissement qu'ils tueront sa fiancée s'il ne s'exécute pas !! (C'est à cette occasion que Toti veut lui prêter un million de dollars, et seul le fait que la banque ne dispose pas d'une telle somme dans l'immédiat, empêchera le prêt). Il décide donc d'obéir à toutes les consignes, mais doit prévenir les racketteurs qu'il ne possède pas les sommes demandées. Il est persuadé que son ami Sando va les arrêter. Hélas, les malfaiteurs disparaissent et on ne trouve plus trace de Lyao-Ly ! Sur le point de s'envoler à la recherche de sa fiancée, Al constate que "Sando fait une dépression (pour cause de) culpabilité sans limites" parce que rien ne s'est passé comme il l'avait prévu. Il a donné à Al la permission de remettre à Toti les cinq millions de faux dollars : "ils partiront en fumée rejoindre les âmes de ses ancêtres" au prochain Ka San. Mortellement inquiet, il découvre par hasard dans le collier du chien Baldwin un bout de papier collé par un chewing-gum sur lequel est écrit en chinois, que lui traduit Toti : "She is alive. Jill". Un bien mince espoir ! Et qui peut bien être ce Jill ?
Le mystère s’épaissit
Exit le premier tome, CROIS-LE. Et arrivée du second au titre éponyme, LYAO-LY. Pendant des jours, Al en proie au déni le plus absolu refuse d'admettre que cette momie retrouvée "tout entortillée de linge blanc, avec une fente entre deux bandelettes, à la hauteur des yeux…" soit sa fiancée. Il se livre mentalement pour la centième fois à un horrible descriptif de cette chose qui gît là "depuis son enlèvement, il y a trois mois par ces P… de gangsters venus récupérer leurs millions de faux dollars à Tahiti".
Incrédule, donc, il rencontre la mère de Lyao-Ly qui l'incite secrètement à contacter le Tahu'a afin qu'il lui donne les onguents nécessaires à la guérison de sa fille !
Arrivé chez Mamie Gyani, Al fait la connaissance (qui le contrarie beaucoup, méfiance instinctive) de l'Américain venu de Paris ; déjà chez lui, fouinant partout et questionnant sur tout, en particulier au sujet de cet Alexandre Léglise qui s'est peut-être naguère réfugié sur l'île avec les bijoux dérobés. Sa rencontre avec le Tahu'a n'est pas plus agréable : Après moult incantations et autres mélopées, objurgations d'avoir à se concentrer, fermer les yeux devant une sorte d'autel dont il pense qu'il a dû "garder à travers les siècles, entre ses atomes inertes, quelques ADN ancestraux d'ennemis sacrifiés à la gloire de divinités bienveillantes", le sorcier lui confirme que Lyao-Ly est bien (Al dixit) "la momie exposée dans la chambre d'hôpital" ! Et lui remet "un petit paquet enveloppé dans un morceau de feuille de bananier délicatement ficelé avec un bout de raphia" : c'est un "rä'au dont il devra verser quelques gouttes sur la main de Lyao-Ly. Guérison assurée. Mais en retour les dieux lui demanderont de les aider… Et puis, sur la route, il est arrêté par un énergumène de toute évidence drogué qui lui dit s'appeler Jill, l'assure qu'ils doivent se parler demain à Orofara. Jill, celui du mot en chinois ! Et ce village, c'est l'ancienne léproserie ! Que peut-il bien lui vouloir !?
Voilà Al sollicité de tous côtés : Ces rencontres avec "ces trois mecs plus shootés… les uns que les autres" l'ont chamboulé ! Qu'à cela ne tienne, les croyances séculaires auront bon dos ! Désireux de savoir si le sorcier est ou non un charlatan, il va se glisser dans la chambre d'hôpital, verser le ra'au sur la main de Lyao-ly. Et le lendemain, sans s'occuper du médecin qui crie au miracle de la médecine moderne, Al (et le lecteur avec lui) ne sait plus trop s'il est dans la réalité ou la sorcellerie, quand il s'avère que la main sur laquelle il a passé le produit, se retrouve parfaitement guérie de toute brûlure !
Du coup, seconde visite au Tahu'a. Second ra'au dont il couvre le corps de Lyao-Ly. Second miracle, toutes brûlures disparues et Lyao-Ly revenue à la vie. Mais en compensation, il apprendra ce que "les dieux" exigent de lui : il devra échanger les deux copies parfaites réalisées par le sculpteur lépreux rencontré à Orofara contre les deux authentiques tikis du musée, sinon… ! Le lecteur va alors suivre les aléas de l'échange, les efforts d'Al pour tromper les usurpateurs…
En même temps, désespoir du détective : car Lyao-Ly guérie a totalement perdu la mémoire et ne sait plus qu'elle a été sa fiancée. Alors, pourquoi pas un troisième ra'au afin qu'elle lui revienne ! Mais… le Tahu'a est parti pour l'île de Pâques où il possède une grotte dans laquelle il collectionne les tikis !
C'est à cette occasion qu'Al, parti à son tour là-bas, apprendra que Tamatua est en fait Alexandre Léglise qui lui indique la cachette où il a naguère entreposé les bijoux. Celui-ci lui fait promettre de continuer après sa mort, son œuvre de conservation des tikis ; et le somme de faire le nécessaire pour obtenir le mana, afin de rendre la mémoire à Lyao-Ly ! Il lui remet alors deux petits paquets de ra'au.
Le second tome s'achève sur les hurlements d'Al au téléphone : il appelle au secours son ami Sando : quelqu'un a remplacé les deux ra'au par "deux kilos de méthamphétamine… c'était mélangé avec des herbes et des algues…". Et il est incarcéré à la prison de Nuutania.
Avec le troisième tome, intitulé SI TU NOUS REGARDES, le lecteur retrouve Al se battant comme un beau diable en prison, et Sando qui a si fort pris sa défense, déchargé de l'enquête. Entre en scène l'avocat Quinkil. Il annonce à Al : "J'ai réussi à transformer ta préventive en assignation en résidence. Tu sors, mais tu ne dois pas quitter le territoire avant le procès". Il ajoute : "La juge a été un peu dure à convaincre. Elle vient d'arriver de Lyon et elle a du mal à arrondir les angles…Heureusement que ta mère est intervenue de son côté…". Il faut pourtant qu'il retourne sur l'île de Pâques pour obtenir des éclaircissements quant à la présence de drogue dans ses bagages et être enfin disculpé !! Et pourquoi pas un ultime ra'au pour reconquérir Lyao-Ly dont Sando vient de lui annoncer qu'elle "a trouvé quelqu'un".
C'est alors que l'on découvre flottant sur le lagon, le cadavre de Jean Heaumard ! Dans la foulée, débarque sa secrétaire, qui fut sa maîtresse et a eu de lui un fils qu'il a refusé de reconnaître. Elle veut absolument qu'Al retrouve les bijoux pour que son "fils ne reprenne pas le flambeau de son père et ne gâche sa vie à courir derrière une chimère". A peine l'émotion du premier meurtre est-elle retombée, qu'un deuxième meurtre est annoncé : celui d'Eric Salvage, alias Rico que "les habitués des nuits chaudes de Papeete surnommaient Rico la Banane", trouvé sans vie et lui aussi atrocement mutilé ! Les deux morts ont reçu un clou dans ou près du cœur, tiré au moyen d'une cloueuse. Le problème semble simple : peu de cloueuses circulent dans l'île. Qui possédera la bonne cloueuse sera l'assassin. Le sort tombe sur le pauvre Toti. Mais il est invraisemblable qu'il soit le tueur !
En pleine enquête, Al et Sando s'envolent pour l'île de Pâques, à la recherche, cette fois, d'Alexandre Léglise ! Ils le retrouvent… attaché par une chaîne dans sa grotte, et… mort depuis longtemps déjà. Momifié. Au-dessus de sa tête, il a écrit "Omar m'a tuer" ! Sachant que Jean Heaumard était venu le chercher pendant qu'Al était en prison, est-ce lui qui a tué le Tahu'a ? En même temps, ils ont appris par des autochtones l'existence d'une filière colombienne fabriquant et vendant de la drogue. D'où l'échange dans les bagages d'Al ! Sando "a tout organisé dans les moindres détails : Les Colombiens. La police de Santiago. Interpol. La totale". Al a donc les preuves de son innocence. Mais comme la fois précédente, Il sera difficile de convaincre la juge, et le lecteur est tout surpris d'entendre pour ce faire, les gros mots que Quinkil lui lance à la figure !!
Le mystère résolu
Libéré de tout soupçon, Al est allé interroger un certain Salomon, barman, directeur d'un réseau de callgirls dont fait partie Marie-Claire ! Tout le monde connaît l'idylle de Marie-Claire avec Jean Heaumard, puis avec Rico dont elle était farouchement éprise, et qui l'a plaquée un mois auparavant sans lui donner de raison ! La jeune femme serait-elle la coupable ? Mais comment lui prêter une telle sauvagerie ?
Finalement, après que se soit greffée sur le suspense une sombre histoire de fille-mère abandonnant son enfant, de père incestueux sans le savoir apprenant sa paternité et perdant la vie, la double enquête d'Al touche à sa fin. Mais auparavant, il aura "retrouvé" mentalement tous les dieux de l'île dans une grotte où Toti a fait pousser… des champignons hallucinogènes. Toti lui remettra un ra'au tout desséché que, probablement le Tahu'a avait confié à Jean Heaumard et que personne n'avait ramassé lors du meurtre. Grâce à Toti, encore lui, qui se souvient de la personne à qui il a revendu sa cloueuse, l'assassin sera arrêté. Sando, après bien des tribulations amoureuses veut réépouser son ex-femme. Et du coup, le lecteur pense à Al ; et se dit que, finalement, tout ou presque dans cette aventure, est lié à ses amours brisées ! Finalement, il a compris que le ra'au tout desséché posé sur son buffet, ne servira plus ! Peu importe, il sera le "Tonton Al" lorsque naîtront les enfants de Sando. Et lorsque les cloches sonnent à la volée pour le mariage de Lyao-Ly, il se demande comment il a bien pu oublier cette date !
Lire ces trois épisodes d'une même histoire est un vrai bonheur. Le texte est rythmé tout du long. Le décor bien planté justifie que l'île ait ensorcelé des générations d'explorateurs (même si la colonisation y fut douloureuse), d'écrivains et de peintres. Arrivé sur l'île à quatorze ans, Patrice Guirao en a passionnément intégré et rendu l'esprit. Tendre ou sarcastique, il applique à la perfection, en les teintant d'exotisme, les codes des polars des années 50, revus grâce à une façon bien à lui, d'entretenir le suspense : chaque affirmation lancée est suivie d'une digression, jamais longue, toujours créative, mais qui fait piaffer le lecteur ! De ce fait, on a pu dire que c'est une écriture paresseuse, qui prend son temps, et pourtant, les pages sont magnifiquement écrites, poétiques, pleines d'empathie. Une trilogie en somme qui laisse le lecteur heureux d'avoir découvert cet écrivain.
Et l'amène à se réjouir du fait qu'à la fin du troisième tome, Mamie Gyani prévient Al qu'il doit aller voir une vieille dame dès que possible. Elle a besoin de ses services et a des révélations à lui faire. Cette annonce peut justifier que des lecteurs rattachent à la trilogie un quatrième ouvrage intitulé TU VOIS, dont Al est de nouveau le héros malgré lui !
J. R.
(¹) Un "tahu'a" : Un médecin traditionnel, guérisseur, sorcier. Celui que veut contacter Madame Tsong est "un prêtre détenteur du savoir ancestral" // Un "fare" : Une maison. // Un "marae" : Temple des temps anciens, allées dallées et pierres dressées. // Le mana : Pouvoir surnaturel ou matériel, puissance // Un "rä'au" : Un médicament traditionnel. // Un "tiki" : Une image d'un dieu, une statue. "Il vaut mieux ne pas regarder les deux "tikis" du musée dans les yeux ! Ils sont grands, les bougres, et imposants ! Ils sont un peu comme pour la tombe de Toutankhamon, c'est la version locale de "La Malédiction des pharaons"".
"CROIS-LE", "LYAO-LY", "SI TU NOUS REGARDES" de PATRICE GUIRAO. Editions Au vent des îles : 379p, 7,90 € en poche ; 459p, 8,10 € en poche ; 357p. 19 €