DE LA GUERRE A LA PAIX ; DE LA SOUFFRANCE A L'AMOUR

 

UN GOUT DE CANNELLE ET D'ESPOIR

 

DE SARAH McCOY 

 

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        Sarah MacCoy est américaine. Née en 1980 à Fort Knox, dans le Kentucky. Fille de militaire, elle a déménagé toute son enfance au gré des affectations de son père. Elle a ainsi vécu en Allemagne, où elle a souvent séjourné depuis.

 

          Elle a enseigné à l'université d'El Paso, au Texas, où, devenue écrivain, elle vit avec son mari.

 

          Elle a publié dans divers journaux. Elle est un auteur à succès international dont le premier ouvrage important a été publié en 2009 : "The night it snowed in Puerto Rico" (La nuit où il a neigé sur Porto Rico) qui traite de la volonté d'indépendance d'une jeune fille dont le parcours inéluctable est de se marier, et avoir des enfants… Deux livres seulement ont été publiés en français : "Un parfum d'encre et de liberté" (The mapmaker's children, Les enfants qui fabriquaient des cartes) dans lequel, à l'époque où les maîtres avaient droit de vie et de mort sur les esclaves, l'héroïne dissimule au milieu de ses peintures, des cartes à destination de ceux qui tentaient de  fuir vers le Nord. Des codes seront même inventés pour que des têtes de poupées deviennent des itinéraires vers le Canada et la liberté. C'est un livre magnifique qui retrace toute une période allant de la promulgation de l'Acte d'émancipation des esclaves, avant la guerre de Sécession, à l'après-guerre, avec les conséquence sur la vie des gens du Sud. Ne manquez pas de lire cette grande fresque historique et humaine.

 

          De même qu'"Un goût de cannelle et d'espoir" (The baker's daughter, la fille du boulanger) dont nous allons parler aujourd'hui. 

 

           Mais auparavant, pour comprendre la vie d'Hazel, la fille aînée des Schmidt, et l'esprit de la famille par rapport au Nazisme, il faut savoir ce qu'était le "LEBENSBORN" : 

          Pour créer une race aryenne “pure”, les nazis ont conçu d’effroyables usines à enfants : le Lebensborn, (littéralement, la "fontaine de vie"). Entre 1935 et 1945, ils ont tout mis en oeuvre pour créer ce qu’ils considéraient comme une race "pure" et "supérieure". Ce projet était monstrueux tant par son objectif que par les moyens mis en place pour l’obtenir. En effet, des centres, foyers, maternités et crèches ont été conçus afin de permettre la reproduction d’une race blanche, blonde aux yeux bleus. Des examens très poussés étaient effectués sur des jeunes filles pour être sûrs qu'elles correspondaient aux critères. Celles qui étaient sélectionnées étaient quasiment séquestrées, tenues de répondre aux choix des officiers SS, dans le but d'être engrossées le plus souvent possible. 

          Ce terrifiant programme a vu le jour le 12 décembre 1935, sous l’égide de Heinrich Himmler.

Avant la Seconde Guerre mondiale, une dizaine de centres avaient été créés en Allemagne, où étaient nés plus de huit mille enfants. Puis deux établissements ont été créés en Autriche, avant qu’une dizaine ne soient ouverts en Norvège, où la "race nordique" fascinait les nazis. Entre neuf mille et douze mille enfants seraient nés dans ces centres…

          Les femmes dites "de race aryenne" des pays occupés étaient amenées à procréer avec des Aryens "pure souche". Pour se revendiquer de cette "élite raciale", les soldats et officiers SS devaient prouver la pureté de leurs origines depuis au moins 1750. Si par malheur un des nouveau-nés ne grandissait pas assez vite et assez bien, une dose de poison dans le biberon réglait le problème. 

          Ces femmes vivaient leur grossesse dans ces centres et pouvaient y accoucher dans l’anonymat. Mais en général, bien embrigadées, elles étaient fières d'appartenir au Lebensborn. Leurs bébés étaient ainsi sous la tutelle du régime nazi qui assurait leur "éducation". Les enfants pouvaient être adoptés par des familles allemandes sélectionnées, et éduqués à régner sur le IIIe Reich qui était censé durer mille ans.

          L’horreur ne s’arrête pas là. Des milliers d’enfants blonds aux yeux bleus ont été arrachés à leurs familles dans tous les pays occupés, surtout la Norvège, la Pologne et la Tchécoslovaquie, et placés dans ces centres. Ces enfants qui ont été séparés de leurs véritables parents représentent un cinquième de ceux vivant au Lebensborn. Un de ces centres a été créé en France, au nord-est de Paris. Et, selon l’historien Fabrice Virgili ("Naître Ennemi", 2009), si les nazis n’en ont pas créé plus sur ce territoire, c’est qu’ils considéraient les Français comme un peuple "abâtardi" et "radicalement non valable". 

          De nombreuses personnes sont nées de ces "fabriques à enfants parfaits", et leur origine leur a été cachée une grande partie de leur enfance. Erwin Grinski est l’un de ces enfants. Sur "Le Journal Parisien", il témoigne. Erwin a séjourné quelques mois à la maternité de Lamorlay, avec sa mère qui a longtemps gardé pour elle les circonstances de sa naissance. "Elle m’a dit", confie-t-il, "que mon géniteur travaillait à la Croix-Rouge allemande, c’est tout. Je n’ai jamais cherché à en savoir plus". Il n’apprendra qu’en 2009 qu’il est un enfant issu du Lebensborn, et que son "géniteur" (comme il le dit lui-même) était un réalité un officier SS.

          Si la Seconde Guerre mondiale a une place aussi importante dans la mémoire collective occidentale, c’est que ce génocide a dépassé, et de loin, les actes inhumains que l’on croyait possibles. Et malheureusement, on n’imagine pas le nombre de monstruosités qui ont eu lieu en Allemagne à cause de responsables aux convictions aussi cyniques que délirantes. (¹) A la fin de la guerre, au moment de l'arrivée des Alliés, les centres furent dissous, leurs occupantes dispersées ou assassinées ! Pour celles qui regagnaient leurs familles, ce qui avait été un insigne honneur était soudainement devenu une honte, d'où un grand nombre de suicides ! 

 

UN GOUT DE CANNELLE ET D'ESPOIR :

          L'histoire commence en 1944, au plus fort de la Seconde Guerre Mondiale, avec la famille Schmidt, boulangers à Garmisch, en Allemagne. Elle se poursuit en 2007, au Texas, où Reba, une jeune journaliste, doit écrire un article sur les coutumes de Noël. Elle choisit l'Allemagne. L'histoire avancera d'une époque à l'autre jusqu'à la fin de l'ouvrage. 

          Ce beau roman nous raconte la vie d’Elsie, fille cadette des Schmidt, à travers les deux époques : sa jeunesse dans l’Allemagne nazie de 1944, et soixante ans plus tard sa vieillesse aux Etats-Unis où elle a ouvert une boulangerie allemande traditionnelle.

A chaque fois, la date et le lieu en début de chapitre, indiquent l'intermittence  des deux époques.

 

          La boulangerie des Schmidt a pu continuer à fonctionner grâce à la farine –d'ailleurs de très mauvaise qualité- apportée par Josef Hub, un officier SS, qui courtisant Elsie lui a offert une bague de fiançailles, et protège donc toute la famille. Les Schmidt aiment leur pays et le Führer à qui ils vouent une confiance totale. Certes, l'Allemagne se retrouve à feu et à sang ; certes les Juifs de Garmisch ont disparu, leurs maisons saccagées, leurs biens réquisitionnés. Mais cette belle confiance porte tant d'espoir, de joie et d'optimisme, génère un tel sentiment de supériorité pour un avenir meilleur qu'on ferme les yeux. Et puis, la peur de l’inconnu, des différences, des autres font oublier les horreurs dont la rumeur évoque l'existence.

          Jusque-là, comme ses parents et sa sœur, Elsie ne s'est posé aucune question sur le régime nazi : il est légitime, à l'instar d'une religion, Hitler en étant devenu le Dieu. Cependant, elle commence à s'interroger sur la supériorité des Aryens face aux autres peuples, notamment aux Juifs. Les hommes de la Gestapo lui semblent violents et sans scrupules et les lettres de sa sœur Hazel prennent une tournure de plus en plus pessimiste alors qu'elle est partie volontairement de la maison pour un Lebensborn où elle a donné naissance à un fils Julius, puis à des jumeaux, garçon et fille, dont elle apprend que le géniteur vient d'être tué en Estonie.. 

 

          Pour son article, Reba a découvert cette boulangerie où seules sont réalisées des recettes allemandes. Elle veut absolument convaincre la patronne, Elsie Mériwether de lui raconter les Noëls de son enfance. Mais la vieille femme est réticente à parler de son histoire. D'autant que l'essentiel de sa jeunesse s'est déroulé pendant la guerre et qu'il n'y avait rien pour fêter Noël. Au cours de diverses entrevues, prise à la fois au jeu et au dépourvu, la journaliste elle-même mal dans sa peau, entre ses problèmes de couple et les traumatismes de son enfance, livrera autant de confidences qu'elle en recevra. 

          Son compagnon, Riki, est garde-frontière aux portes du Mexique d'où il est lui-même originaire, et dont il a gardé le goût des traditions. Son travail consiste à reconduire au-delà de la frontière, les nombreux clandestins qui viennent de la franchir, choisissant, même s'ils devinent que ce n'est pas l'Eldorado, le pays où ils espèrent vivre mieux. Jusque-là, Riki portait le plus grand respect à la justice de la loi, mais il commence à se poser sérieusement des questions le jour où il découvre toute une famille mexicaine abandonnée par le passeur, et vivant dans une vieille automobile, au milieu de nulle part ! Finalement, lorsque quelque temps après, il apprend que l'aîné de cette famille reconduite a été tué par une balle perdue, lors d'une escarmouche entre Américains et Mexicains par-dessus la frontière, il démissionnera.  

 

L'histoire se noue le jour de Noël 1944, où Josef Hub a invité Elsie au bal des SS. Dépaysée dans un milieu qui n'est pas le sien, mais débordante d'admiration pour le luxe qui l'entoure, les lumières, la musique… elle se retrouve dansant avec Kremer, un SS ami de Josef, dont la tenue à son égard lui inspire à la fois dégoût et peur. Soudain, la voilà émue aux larmes lorsqu'"un enfant de six ou sept ans"… qui aurait ressemblé à n'importe quel autre enfant… si ses cheveux n'avaient pas été tondus ras et si sa peau n'avait pas eu une teinte si terreuse…" arrive sur l'estrade. "Le violoniste joua une longue note aiguë. Le garçon prit une longue inspiration, ouvrit la bouche et chanta… Son chant pur et lisse coupa le souffle à Elsie… Jamais "Douce nuit" n'avait sonné ainsi". Interrogé, Josef Hub lui apprend que cet enfant à la voix merveilleuse chante pour accueillir les déportés au camp de Dachau où il retournera le lendemain ! Après un incident où elle fait tomber du champagne sur sa robe, Elsie sort dans le froid et la neige pour se rafraîchir. Mais Kremer la suit et tente de la violer. Soudain, au moment où le SS ouvre son pantalon pour la prendre de force, "un  hurlement suraigu retentit, une seule note qui déchira l'air telle une sirène…". Elle est sauvée par ce cri de l'enfant enfermé dans une cage, et par l'arrivée de Joseph qui la reconduit chez elle. 

          Au moment d'ouvrir la porte, surgit devant elle un enfant…  Tobias, l'enfant juif qui a chanté comme un ange au Noël nazi, qui a suivi la voiture, et qui la supplie de l'aider. Eperdue de crainte, envisageant les conséquences mortelles pour elle et sa famille, elle hésite, essaie de le chasser. Mais, entendant les SS et les chiens arriver, elle le fait entrer et lorsque des coups violents sont frappés à la porte, elle a tout juste le temps de le cacher dans le four à gâteaux ! Après leur départ, et une fouille de la maison, elle parvient à le glisser dans sa chambre, et le cacher derrière un pan de mur dont l'ouverture est invisible de la chambre. Là commence une vie différente pour Elsie, faite de peur d'être découverte et d'entraîner la mort de toute la famille ; mais en même temps d'attachement à cet enfant, dont il lui faut constater qu'il est fait de chair et d'os et que, bien que juif, ce n'est qu'un petit garçon terrifié. Jusqu'au jour où, dénoncée par Julius le fils d'Hazel qui habite avec eux depuis la disparition de sa mère, les SS dont Kremer font irruption dans la maison et menacent de tuer tout le monde si elle ne leur remet pas l'enfant. Il lui faut choisir : sa famille ou Tobias. La mort dans l'âme, elle sacrifiera l'enfant. Mais elle devra subir l'agression de Kremer qui veut "finir ce qu'il a commencé à Noël" et prend plaisir à lui faire subir les pires sévices. Il n'arrêtera que lorsqu'un soldat vient lui annoncer que l'enfant s'est échappé et "s'est évaporé… Un brouillard s'est levé et un son comme je n'en avais jamais entendu dans ma vie a retenti", dit-il, "et… il s'est évaporé dans les airs. Un fantôme…". Sauvée aussi par l'arrivée des Américains dans la ville.

          Elsie n'apprendra que vingt ans plus tard, à la mort de sa mère, ce qu'il est advenu de Tobias… Mais auparavant, elle aura dû vivre la terreur en constatant qu'elle est enceinte des œuvres du SS ; et l'obligation de provoquer son avortement. Elle sera sauvée d'une septicémie par un jeune médecin américain qu'elle épousera ensuite et qui l'emmènera aux USA.

 

          Parallèlement, faisons un bond de soixante ans, jusqu'en 2007, et venons à El Paso, Texas, aux Etats-Unis. Nous retrouvons Elsie Meriwether âgée de soixante et onze ans. L'Américain qu'elle a épousé à la fin de la guerre est décédé et elle tient avec sa fille Jane, l'unique boulangerie proposant des pâtisseries et des pains allemands. Nous assistons à la naissance de l'amitié entre la journaliste Reba ; puis de Riki son fiancé, avec les deux femmes. Riki, sensible et gentil, qui a démissionné de son poste de garde-frontière et été engagé au Service de la nationalité et de l'immigration. Désormais, il est "content de se retrouver de l'autre côté, pour accueillir les gens plutôt que les mettre dehors".

          Les jours passent. Pour Reba il devient urgent de récolter le témoignage d’Elsie, et rédiger son article.  A mesure qu'elle connaît mieux ces deux femmes si bienveillantes, si compréhensives, elle se rend compte que leur parler la soulage non seulement de sa difficulté à vivre avec Riki, mais surtout de toutes les amertumes nées dans son enfance, à cause de l'indifférence de sa mère, des souffrances dues à son défunt père que les horreurs qu'il avait commises pendant la guerre du Vietnam avaient rétrospectivement profondément traumatisé, et du fait que sa sœur adorait ce père malgré tout le mal qu'il avait pu causer à sa famille. Finalement, le texte sera publié, différent de ce qu'elle avait envisagé, mais tellement plein d'humanité qu'il sera en première page du journal ! 

 

          Le livre se termine d'une part à Garmisch à la fin de la guerre, avec l'occupation américaine, les fêlures qui naissent entre les pronazis qui haïssent les envahisseurs ; et ceux comme Elsie qui au fil des années ont pu connaître ou deviner les horreurs commises dans leur patrie. La famille Schmidt  n'échappe à ce dilemme ; où le père ne pardonnera à Elsie d'avoir épousé un Américain et d'être allée vivre dans son pays que vingt ans plus tard où, à l'occasion du décès de sa mère, elle revient à Garmisch. Elle rencontrera aussi sa nièce Lilian et apprendra que son jumeau qui, bébé avait des problèmes, avait alors été assassiné par les autorités nazies. 

          D'autre part à El Paso, avec la mort d'Elsie grâce à qui Reba s'est métamorphosée. Riki, lui, a gagné des certitudes, et Jane épouse enfin celui qui refusait le mariage depuis si longtemps parce qu'il était en fait sans papiers. La foule venue honorer la mémoire d'Elsie témoigne de son aura et de l'amitié, la confiance qu'elle avait su créer avec chacun. 

 

          Malgré quelques longueurs concernant les questionnements de Reba, "Un goût de cannelle et d'espoir" est un magnifique roman, qui justifie l'appréciation de Tatiana de Rosnay : "Un bijou de roman, aussi beau que déchirant, écrit juste comme je les aime : le passé qui revient hanter le présent, des héroïnes attachantes, une fin lumineuse pleine d'espoir". 

           Une belle histoire pleine d'humanité sur une période sombre et douloureuse de notre Histoire. L’histoire de vies qui se croisent. L'auteure a su rendre l'ambiance tragique des deux époques : le Nazisme avec l'obsession de la race pure, les meurtres, les disparitions ; et l'époque actuelle avec le problème et les drames de l'immigration. Montrant que dans l'une et l'autre périodes, des êtres ont trouvé le courage de refuser un système qu’ils trouvent injuste, et chercher, avec leurs possibilités parfois très limitées, à le changer, vivre en accord avec leurs idées. Aider l’autre. Faire la part belle à l'amitié, l'entraide, la tolérance. A tel point que chacun se demande : qu'aurions-nous fait à la place d'Elsie, pour le petit Tobias ? A la place d'Hazel au Lebensborn ? De Riki tenu de refouler des gens dont le seul crime est de vouloir une vie meilleure ? 

Finalement, si le titre américain "La fille du boulanger" centrait l'action sur Elsie, héroïne, le titre français, "Un goût de cannelle et d'espoir", élargit la vision à tous les protagonistes ; correspond tout du long à la sensation créée par l'odeur omniprésente de la cannelle dont la famille embaume ses gâteaux, tant pendant la disette de la guerre que pendant l'abondance américaine ; et l'espoir qui, né dans le passé terrible, revient marquer le présent.

Jeanine RIVAIS

(¹) Wikipédia.

 

"UN GOUT DE CANNELLE ET D'ESPOIR" DE Sarah McCoy : Editions Pocket, 511 pages, 8,20 €.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 78 DE DECEMBRE 2017 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.