PASCAL AUDIN, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais

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La première toile réalisée par Pascal Audun
La première toile réalisée par Pascal Audun

           Jeanine Rivais : Pascal Audin, nous sommes dans votre univers bien particulier. Racontez-nous comment vous en êtes venu à produire toutes ces belles choses : à la fois variées, et toutes conçues dans un même esprit. De sorte que, lorsqu’on en voit une, on « sait » tout de suite qu’elle est de vous, qu’elle ne peut pas être de quelqu’un d’autre ?

Pascal Audin : Non, en effet, tout ce qui est ici « est moi-même », me représente parfaitement.

         Mon histoire est différente de celle de tout le monde, parce que j’ai vécu des choses atroces, dans mon enfance. Avec mes parents ! Battu, enfermé…

 

JR. : Pourquoi ? Parce que vous étiez « différent » ? Ou que vos parents étaient vraiment durs ? 

PA. : Oui. Mon père et ma mère ! Il faut bien que quelqu’un prenne pour les autres ! Ils m’enfermaient dans un placard ! J’ai pour toujours les marques, les séquelles de leurs coups. Ils me brûlaient…

 

JR. : Quand vous dites « brûlé », c’était vraiment « brûlé » ? 

PA. : Oui, avec le tisonnier rougi dans le feu ! J’étais petit. J’ai été plusieurs fois obligé de défoncer le placard dans lequel j’étais enfermé ! Mais ensuite, dehors il faisait tellement froid, j’étais bien obligé de revenir ! 

Je suis passé dans plusieurs centres, et cela m’a sauvé la vie ! J’ai trouvé des gens qui se sont occupés de moi ! Qui ont été pour moi de vraies nounous ! 

 

       JR. : C’est rare ! En général, les enfants qui passent dans des centres ne disent pas qu’ils ont trouvé des nounous ! 

PA. : Moi si ! Compréhensifs ! Ils m’ont aidé à m’en sortir. Déjà, j’aimais faire des collections, regarder les ours en peluche, cela a toujours été mon passe-temps. 

Et puis, un jour, je me suis arrêté devant un magasin de peinture. Je mourais d’envie d’y entrer, mais je n’osais pas. Cela m’attirait, tout en me faisant peur. Je voyais des grosses sculptures ! C’était tentant !

Un peu après, un de mes copains me propose de venir avec lui à une foire où se déroulait un concours de peinture. Il m’a obligé à y participer. Du coup, je me suis inscrit. Et donc, on peut dire que, sans aucune préparation, j’ai commencé par la peinture. On m’a fait asseoir et on m’a dit de commencer. Je me souviens que j’avais brocanté une grosse clef de la fin du XIXe siècle. Je m’en suis servi pour caler la petite toile sur laquelle je devais peindre. Et sans savoir ce que j’allais faire, j’ai commencé à peindre. Très vite, il y a eu beaucoup de gens autour de moi. Le contact ! C’était rigolo. A la fin, l’organisateur voulait me reprendre cette toile. J’ai refusé, je lui ai dit qu’il me la fallait ! C’était la première ! Malgré cela, il me l’a prise. Alors, je me suis mis en colère ! Je suis non-violent, mais quand on m’énerve, cela se sait. Finalement, il me l’a redonnée. Cette première toile aurait pu être une histoire !

 

JR. : Et depuis ? 

PA. : Cela a été le déclic. Depuis, je n’ai jamais arrêté. J’ai fait ma première expo, « Aux couleurs du temps » : le galeriste m’avait donné une toile et des peintures, parce que je n’avais pas beaucoup d’argent. J’ai trouvé un style qui n’était pas encore celui de maintenant. Tout était noir. Très vite, les gens m’ont encouragé. Quand je vois ces premières oeuvres, maintenant, je les trouve tristes. Toute cette misère que j’avais subie !

 

JR. : Vous étiez toujours à la rue, à ce moment-là ? 

PA. : Oui. Puis j’ai trouvé un appartement, avec ma sœur, ma copine. Cela a changé ma vie. Je suis allé voir des amis, visiter des expositions. 

 

JR. : Et toute cette souffrance que vous évoquiez a commencé à transparaître ?

PA. : Oui. Je ne voulais pas en parler, mais elle « sortait » dans mes toiles. Et puis un jour, j’ai eu envie d’avoir un atelier, j’ai rencontré Luis Marcel, par Pierre Souchaud. 

Les gens ont commencé à venir. Mais ce qui est dommage, c’est que souvent, ils n’osent pas entrer. Ils regardent la façade, se demandent de quoi il s’agit, mais ils ne sonnent pas ! Ils ne savent pas tout ce que cache derrière cette façade. Je suis collectionneur. Et ceux qui viennent sont surpris par l’importance de mes collections. Et puis, des gens s’intéressent à ma peinture. L’été, c’est agréable ! 

 

JR. : Ce qui est dommage, c’est qu’en passant sur la rue principale, on ne voit pas votre maison. 

PA. : Il faut faire le tour des halles ! 

 

JR. : Vous devriez demander au maire de vous faire mettre une pancarte ! 

PA. : Le maire ! Je ne sais même pas ce que deviendra cette maison ! J’espère qu’elle deviendra un musée. Je me bats que  cela ! Cette maison est belle, elle est grande ! Il y a un ancien four. Et puis il y a toutes mes œuvres, toutes mes collections ! J’ai eu le plus grand mal à avoir un robinet d’eau, des WC…

 

        JR. : Revenons à vos peintures. Vous avez dit, parlant de votre première toile : « elle aurait pu être une histoire ».  

PA. : De toutes façons, ma vie est une histoire, elle est devenue une histoire. J’ai l’intention d’en faire un livre, dans une dizaine d’années. Je ne veux surtout pas laisser quelqu’un d’autre l’écrire, parce qu’ils écriront n’importe quoi ! Je veux le faire moi-même, trouver un éditeur qui me le rédigera. Quand FR3 est venue m’interviewer, je leur ai raconté que j’avais enterré mon nounours, mon propre nounours ! Cela les a impressionnés ! Dans un champ, parce que je vivais dehors ! Et quelqu’un me l’avait volé !J’ai eu beaucoup de mal à le récupérer. Pourquoi est-ce que je l’avais enterré ? Parce que je ne voulais pas qu’on me le reprenne ! 

 

JR. : Pour quelqu’un qui a eu une enfance et un début de vie si tristes, vos couleurs sont éclatantes !

PA. : Maintenant, je vois la vie comme cela ! Je voyage, dans mes dessins, dans mes peintures ! J’ai plein de vies en moi ! Je les rencontre et je les raconte au cours de mes voyages en peinture ! 

 

JR. : Si je regarde votre fresque de la cuisine, je vois la maison au milieu. Elle a une cheminée/oiseau avec l’oiseau qui s’envole. Mais « vous », vous partez de deux côtés à la fois : c’est ainsi que vous « voyagez », en partant de tous les côtés ? 

PA. : Oui. Je m’en vais de tous les côtés. Cela sort de l’ordinaire, et c’est sympathique ! 

 

JR. : Dans l’ensemble, quels thèmes abordez-vous ?  Je vois une femme assez érotique…

PA. : Je n’en ai fait que deux, ce n’est vraiment pas mon truc ! 

 

JR. : Alors, ce sont plutôt de petits contes ? 

PA. : Oui. En fait, je m’amuse ! Je voyage dans mes dessins, et je fais voyager les gens. Et puis, ce qui les surprend, c’est que tous les jours, absolument tous les jours, je peins, je dessine. Quelquefois des grandes toiles ! 

 

       JR. : Il doit bien y avoir des moments où vous êtes obligé de faire autre chose ? 

PA. : Oui. Je fais des jardins, je travaille chez des voisins. J’ai toujours une occupation. Je réussis plein de choses, et cela me fait plaisir. Ces gens-là sont devenus ma famille, parce qu’il y a longtemps que je ne vois plus la vraie ! 

 

JR. : Vos parents sont toujours vivants ? 

PA. : Ma mère, oui ! Elle est pleine de sous ! Mais j’ai fait une croix dessus ! Je préfère les gens qui m’entourent, que j’aime et qui m’aiment ! J’aurais vraiment aimé changer de nom, ne plus m’appeler Audin ! Et puis je reste en contact avec des gens qui m’ont acheté des toiles ! J’ai même fait des appartements entiers, décorés. On peut dire que ces appartements-là sont uniques, car je ne peux jamais faire deux fois la même chose. C’est pareil pour mes toiles ! 

Je sais où est chacun de mes dessins ! Je sais où je les garde. J’en ai des piles ! Et des toiles roulées ! 

 

     JR. : C’est comme si vous classiez des petits fragments de votre vie heureuse ? 

PA. : Oui, c’est ça ! C’est comme l’école : je n’y suis pas allé souvent. Je n’avais jamais pensé qu’un jour je peindrais, que je découvrirais ce monde merveilleux. 

Je ne me pose pas la question de peindre. Si j’ai envie de peindre, je peins. Si je veux tailler la pierre, je taille…

 

JR. : Nous sommes maintenant au premier étage, celui de vos collections. C’est donc l’étage « des autres » ?

PA. : Ah non non ! C’est celui de mes œuvres à moi ! 

 

JR. : Mais l’escalier est couvert de boules de neige ! Les murs de sifflets. 

PA. : C’est mon monde magique ! Celui de ma salle de bains. Et il y a encore un étage ! Mais le public ne peut pas y monter car les escaliers sont couverts d’objets ! Je les ai trouvés dans des vide-greniers… Je ne veux pas que tout cela soit donné à n’importe qui ! Je suis fier de le montrer ! Et puis ma collection de nounours. Des ours partout ! Mes disques sur lesquels je peins ! C’est génial, n’est-ce pas ! 

 

JR. : Il vous arrive de vous asseoir dans une pièce et de regarder vos murs ? 

PA. : Non ! Je me promène dans les pièces et je regarde. 

 

JR. : Vous avez parlé de vos textes, il y un moment. Qu’est-ce que vous écrivez ? 

PA. : Je parle de ma vie de tous les jours. Plus tard, je ferai un CD sur le monde magique de Pascal Audin. Les gens ne peuvent pas tout voir ! 

 

JR. : Pourquoi ?

PA. : Parce que cela leur mettrait trop de choses dans la tête ! Et puis je me méfie, parce que certains essaient de me voler ! Une fois, une dame avait caché un tableau sous son manteau ! Mais je connais toutes mes œuvres : Je sais où est chacune ! Certains touchent à tout ! Je ne veux pas de ça ! C’est moi qui décroche les toiles quand quelqu’un en achète une, sinon, c’est n’importe quoi ! 

 

JR. : Je regrette de n’avoir pas découvert votre lieu plus tôt, depuis le temps que je passe à Gençay ! J’espère donc qu’un jour, je repasserai visiter « le Musée Pascal Audin » ! 

 

Entretien réalisé à Gençay (Vienne), le mercredi 5 mars 2008.

La maison de Pascal Audin où a eu lieu l'entretien et qu'il souhaiterait transformer en musée
La maison de Pascal Audin où a eu lieu l'entretien et qu'il souhaiterait transformer en musée