Jeanine Rivais : Jean-Marie Meslin, on peut vous définir comme un îlien, et même comme un îlien passionné, puisque vous avez le plus grand mal à quitter votre île, pensez-vous qu’elle ait influencé votre façon de sculpter ? (Voir ci-dessous texte de J-M. M. sur sa relation à l’île).
Jean-Marie Meslin : Je pense que oui. Dans les formes, du moins, parce qu’il y en a beaucoup qui sont coquillagifères, fermées sur elles-mêmes. Pour le reste, je ne sais pas ? Personnellement, je me sens comme un escargot qui tourne en rond dans son île. Mais pour les sculptures, je ne peux pas être affirmatif !
JR. : Quelque chose, dans vos œuvres –dans certaines du moins-, m’a profondément surprise, c’est la présence d’arêtes d’angles, très pointues. Or, par définition, les côtes étant rongées par la mer, les angles sont beaucoup plus adoucis. Est-ce par réaction ? Sinon, comment l’expliquez-vous ?
J-M.M. : C’est la première fois que l’on me pose cette question ! Angles aigus sur les visages, peut-être ? Ils me semblent davantage convenir pour l’humain. Mais pour les autres, je crois qu’ils sont plutôt arrondis ? Mais j’ignore pourquoi ?
JR. : Toutes vos compositions sont extrêmement blanches. Qu’employez-vous comme matériaux ?
J-M.M. : Ce qui est dans l’atelier est généralement en plâtre. Ces œuvres me servent de modèle pour les refaire ensuite en pierre. Je travaille le volume, l’ombre et la lumière. J’aime voir le volume émerger de la matière, mais je n’aime pas mettre de la couleur.
JR. : J’avais pensé que vous travailliez directement la pierre. Mais, si j’ai bien compris, vous malaxez du plâtre, et vous travaillez dessus ?
J-M.M. : Non, je ne procède pas de cette façon. En fait, je travaille l’argile. Je réalise la sculpture en argile. Puis je la moule en faisant deux coques en plâtre, qui l’entourent. Ensuite, j’enlève l’argile et je coule du plâtre à l’intérieur. Enfin, je casse la coque extérieure, et je retravaille le moulage intérieur. Tout cela est de la technique ! C’est donc une technique de modelage / moulage qui n’existe qu’en un seul exemplaire. Puis, je retravaille le modèle obtenu.
JR. : Chaque sculpture est donc unique ?
J-M.M. : Oui, en effet !
JR. : Donc, tout ce qui nous entoure sont des moulages à destination d’un travail dans la pierre ?
J-M.M. : Oui, c’est cela. Cela peut aussi devenir une œuvre en bronze. Mais je n’ai pas vraiment développé la technique du bronze. La pierre est un matériau que j’aime beaucoup et que j’ai toujours travaillé.
JR. : C’est une pierre du pays ?
J-M.M. : Non, il y a des pierres de toutes sortes.
JR. : Tout autour de nous, je vois essentiellement des têtes. Est-ce à dire qu’il n’y a jamais de personnage complet ; qu’il y a surtout des bustes ? Qu’eux seulement vous intéressent ?
J-M.M. : Oui, la présence, la conscience même dans les formes. C’est ainsi que je le définis. C’est un peu moi, aussi que je représente.
JR. : La plupart de vos personnages sont sans yeux : pourquoi sont-ils tous aveugles ?
J-M.M. : Non, ils ne sont pas sans yeux ! Ils ont des grands yeux… Un peu naïfs, un peu candides…
JR. : Oui, mais des yeux sans pupilles. Des yeux qui ont l’air d’être éteints. Auxquels, moi, par contre, je ne trouve aucune expression ! Sauf peut-être celui que j’assimilerais à un Siva ?
J-M.M. : Oui, c’était mélange d’Andy Warhol et de Siva !
JR. : Mais un Siva qui aurait un couteau dans une main, un panier dans l’autre, etc.
J-M.M. : Oui, c’est en fait l’homme multimédia. Par opposition à un autre personnage qui n’a qu’un seul média. L’un est en fait, le contrepoint de l’autre.
JR. : Certaines œuvres semblent se rattacher à l’écologie, une écologie revisitée, bien sûr… Sur la poitrine d’un personnage, se situe un espace délimité juste à l’endroit où, parfois, sont accrochées les médailles…
J-M.M. : En fait, je crée sans références. Je suis les idées qui m’arrivent spontanément.
JR. : Faites-vous des dessins, avant de commencer la réalisation en trois dimensions ?
J-M.M. : Parfois. Mais pas tout le temps.
JR. : L’une de vos œuvres, qui est plus grande que nature, me paraît tout à fait complexe : elle joue le rôle d’un reliquaire dans lequel se trouve un personnage central, entouré d’autres personnages plus petits, et de boulons et autres objets hétéroclites… Ce pourrait être le cœur du personnage, qui se retrouve avec un très grand cou complètement anonyme, surmonté d’une tête aux cheveux énormes couverts de signes cabalistiques : que sont tous ces signes dans cette chevelure ?
J-M.M. : Ce sont des empreintes. Un travail de rythme, mais qui ne prétend pas avoir un sens particulier. Un travail fignolé sur une coiffe, en fait.
Il est vrai qu’en ce moment, je me suis mis à travailler sur l’intérieur de mes personnages. C’est un travail qui n’est ni logique, ni rationnel… Je n’ai pas d’explication particulière sur une œuvre comme celle-ci.
JR. : Qu’est-ce qui amène un sculpteur ayant travaillé pendant des années à l’extérieur de ses personnages, vers l’envie de fouir soudain à l’intérieur ? Et fouir pour trouver quoi ?
J-M.M. : Je n’en sais fichtre rien, et si je le savais ce serait sans doute plus facile ? Disons qu’en ce moment, j’en suis là.
JR. : Quand je vois une forme qui ressemble à un coquillage (comme vous le disiez au début), au milieu de laquelle gisent des têtes –nous sommes de nouveau avec les têtes- perdues parmi un magma d’objets matériels (roues, clefs, etc.), contre quoi vous élevez-vous lorsque vous posez ces têtes au milieu de ce bric-à-brac ?
J-M.M. : Ce sont des contrastes entre l’humain, le mécanique… Je fais ce genre de création sans réfléchir vraiment, des traces de matières un peu molles avec de la matière pas du tout architecturée… Et, parce qu’il y a beaucoup de boulons, je l’ai intitulé « Boubou ».
JR. : Une autre de vos créatures s’intitule « L’homme vérolé » : Vous avez vraiment insisté sur le côté malsain, et « perforé » de sa peau ! Avec sa peau purulente, il est vraiment terrifiant !
J-M.M. : Oui, je dirai que celui-là est tout à fait particulier !
JR. : Vous arrive-t-il de travailler avec des modèles ? Je vois une femme dans son entièreté. Elle est une des rares œuvres, dans l’atelier, à être entière. Avez-vous travaillé d’après nature, ou est-ce ainsi que vous l’avez fantasmée ?
J-M.M. : C’est ainsi que je l’ai rêvée. C’était une période où j’avais fait les Beaux-Arts, et où je voulais revenir un peu vers la tradition de la sculpture. Pour aller plus loin, ensuite.
JR. : Et quand je lis sur une pancarte, bien en évidence, juste en face de l’entrée : « Meslin, ingénieur du sommeil », comment dois-je l’interpréter ?
J-M.M. : C’est toute une histoire, parce que je travaille beaucoup avec les enfants. Et il y avait déjà « Vauban, ingénieur du soleil », qui était le titre d’un travail que nous faisions. Je voulais montrer aux enfants qu’on pouvait rire de tout. J’ai donc développé une sculpture que j’ai travaillée avec les autres…
JR. : Que signifie pour vous « travailler avec les autres » ?
J-M.M. : Cela signifie partager, faire venir des gens à l’atelier, et travailler en groupe. J’aime bien travailler « avec les autres ».
JR. : C’est-à-dire travailler vous-même et leur faire réaliser une sculpture ?
J-M.M. : Oui, ce peut être ainsi. Ou partir à « la découverte » de la sculpture, en trouvant un lien, une histoire…
JR. : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose ? Des démarches que je n’ai pas abordées ? Parce que vous êtes « mon premier tailleur de pierre » !
J-M.M. : La « taille de pierre » a un côté un peu péjoratif. J’aimerais me débarrasser de cette impression ; et le travail du plâtre me permet de le faire. Pour ensuite en venir à la pierre.
JR. : Mais cette façon de travailler d’abord le plâtre, et ensuite seulement de venir à la pierre, ne supprime-t-elle pas le côté découverte de cette pierre ? En même temps que le côté un peu aléatoire que représente toujours la création d’une œuvre ?
J-M.M. : Pour moi, non, parce que quand je fais une maquette, elle est toujours plus petite que la sculpture. Il y a toujours le plaisir de voir monter une œuvre qui est « autre chose » que l’ébauche préparatoire !
ENTRETIEN REALISE LE 1er AVRIL 2010 A L’ATELIER DE L’ARTISTE A LE BOIS PLAGE-EN-RE.
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« Ce qui me fascine, moi, c’est cet environnement si particulier. Je me suis laissé bercer au rythme des saisons, des échouages, des tempêtes, et autres grandes marées...
A ma dernière escapade, après une décoiffante tempête, j’ai surpris un goéland en train de dépecer un poisson pourri, étranglé dans les mailles d’un filet, bouchonné le long de l’estran, au milieu d’un poisseux varech, plein de goudron... Ouf ! Je me sens vivant ! Libre et bien vivant. Allez donc comprendre ?...
J’aime me balader sur les côtes. Pas le moindre doute sur l’existence d’un ténébreux rivage, secrètement enfoui derrière une apparence de sirène... Somnifère ou poison ?
Que cache donc cette petite île quand elle est habillée de ses plus beaux habits en dunes arrondies, irisées de tamaris et autres cupressus sculptant d’irrévérencieuses femmes géantes allongées et rosies par le coucher du soleil ?...
Cette ballade de novembre me ramène à l’essentiel. J’aurais pu dire bien des choses, en somme, pour m’aider à mesurer cette distance, entre cet ilien que je suis et cet autre moi, terrien normal, que j’aurais pu être. »
Jean-Marie Meslin.
(15 novembre 2008, Ile de Ré).
Extrait de "Sculptur'île" sortie prévue mai 2010 aux éditions www.croitvif.com