LES FANTASMES EROTICO-DOLORISTES DE LORANSSE DOE

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          Depuis combien d'années Loransse Doe est-elle passionnée de Récup' ? Toujours est-il que tout lui est bon pour rapporter chez elle des objets de toutes sortes qui serviront à construire ses personnages souvent grandeur nature. Effet saisissant garanti vu l'art avec lequel elle fait cohabiter tous ces éléments pour créer une ambiance à laquelle le visiteur ne saurait échapper ! 

 

          Sa première impression est qu'il entre en un lieu hautement licencieux, les œuvres représentant des femmes lui sautant aux yeux ! Et quelles femmes ! L'une, de dos, vêtue d'une culotte brodée, a le corps couvert d'une camisole rouge retroussée au niveau des fesses, tandis qu'un châle de mousseline du même rouge lui descend aux chevilles. Ses longs cheveux sont étalés sur le dos de la camisole. Une autre, très érotiquement vêtue de noir a les seins nus, le reste de son corps magnifique est moulé dans un justaucorps de tulle noir. Ce tronc est appuyé sur des cuisses longues et solides, légèrement croisées, soudées sur… un pied de lampe en bois sculpté. Et ce qui n'est pas le moindre paradoxe, cette femme qui n'a rien d'un ange porte deux ailes bordées de longues rémiges de couleur noire ou grise, attachées au buste par deux lanières d'argent ciselées, situées de part et d'autre du nombril, l'une sous les seins, l'autre cachant le haut du string noir ; tandis que la tête disparaît sous une coiffe-masque ciselée d'or !! Une troisième, dans une posture gymnique, offre au visiteur son large fessier gainé de rouge tandis que sa tête chauve et son buste aux seins lourds pendants sont d'un blanc crayeux, son chapeau empanaché étant posé près d'elle sur le tapis. Enfin, une autre femme, immense, surprend par la perfection du galbe de son corps, par ses seins nus aux mamelons rouge ardent, son long cou et sa bouche vermillon, et son hennin brodé, liseré de dentelle. Ses jambes interminables sont dissimulées sous une somptueuse jupe de tulle rebrodé.

           Et puis, il y avait aussi les "agenouillés", linéaires, minces et fluets, leur anatomie réduite à sa plus simple expression populaire qui dirait d'eux qu'ils sont "maigres comme des clous" !  Tee-shirt près du corps, accentuant encore leur minceur ; cravate rouge et bermuda noir. Tête humaine ou rendue canine par le masque.

          Et puis, la dernière variation, celle que Loransse avait placée dans un angle parce qu'elle faisait bande à part ! La plus dure, implacable… Une petite fille (ou une vieille femme, difficile d'être affirmatif !) aux longues tresses lui cachant partiellement le visage, chemise marron et pantalon blanc sale. Elle est encadrée en hauteur, le dos posé contre une échelle verticale ; les mains ligotées à un des montants par un lourd cadenas. Un rideau rouge est placé derrière l'échelle, et ses fibres détissées tombent au sol. Et le visiteur s'aperçoit alors qu'une lourde pierre est attachée au bout ! Il peut donc imaginer toutes sortes de tortures !!

 

          Refaisant alors le tour de toutes ces œuvres, il s'aperçoit qu'un tas de détails lui ont échappé : que la femme en rouge est en train d'uriner ; que celle en noir a dû être agressée puisqu'elle a perdu la majorité de ses plumes qui gisent au sol ; que celle dont la tête repose sur un coussin, louche affreusement, et que cette tête n'est reliée aux jambes que par un entrelacs de lanières filiformes ; que plusieurs corps sont incomplets ; Que tout de même dans cette perfection de prime abord qu'il a ressentie pour la géante, quelque chose le gêne, lui qui est habitué à de moindres proportions ; que ce sont les bras d'une maigreur maladive terminés par des mains à un seul doigt crochu et surtout les jambes interminables ; etc.

 

          Finalement, il lui semble bien que l'univers fictionnel de Loransse soit assez terrible. Mais si, comme il apparaît, ce sont ses fantasmes qu'elle jette sur la toile, nul doute qu'au bout du compte, ses créations lui permettent de s'évader, oublier pour un temps, ses révoltes et peut-être son mal de vivre ? il réalise que cette démarche formelle, protéiforme, située dans l’espace sous forme de sculptures à la fois aériennes et paradoxalement massives, se conjugue en parfaite harmonie. Que l'artiste est passée maîtresse dans l'art de la broderie, des dentelles, des velours, et qu'elle propose un travail infiniment précieux, aboutissant à des créatures tellement “tactiles” que le public ne peut s’empêcher de les toucher ! Que cette ornemaniste autodidacte, animée d’un besoin viscéral de réfléchir profondément sur le sens de la vie, en est venue à une démarche si particulière que son œuvre est absolument originale.  

 

          Et qu'elle offre, cette année encore, une exposition sympathique, curieuse et fascinante, déroutante, réalisée par une créatrice résolument hors-les-normes.

Jeanine RIVAIS