Encore une belle exposition QUE VOUS NE VOUDREZ PAS MANQUER !
A la salle Nominoé, de Dol-de-Bretagne
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C’est désormais une tradition bien établie : deux fois par an, Didier Benesteau investit la salle Nominoé, située au cathédraloscope de Dol-de-Bretagne, et draine des foules venues admirer la dernière exposition qu’il leur a préparée ! A l’automne 2024, il s’agit de GWEZENNEG, peintre, sculpteur, dessinateur et bien d’autres cordes à son arc. Cet artiste a de tous temps glané sur les grèves proches de son atelier, morceaux d’épaves, squelettes d’animaux, ossements de toutes sortes, algues séchées, et multitudes d’autres objets organiques !
Le hasard fait décidément bien les choses : Retrouver après trois décennies un artiste admiré et perdu de vue dans les dédales de la vie. Gwezenneg est un des créateurs que j’avais découverts à Paris, au début de mes pérégrinations artistiques parisiennes. Et en 1994, j’envoyais à cet artiste dont j’ignorais tout, mais dont les œuvres m’avaient enchantée, le texte suivant :
GWEZENNEG, EPAVEUR D'HAGUE
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Gwezenneg, dont le nom indique qu'il est breton et l'adresse qu'il habite en Normandie, a-t-il hérité de lointains ancêtres flibustiers ou Vikings, un amour immodéré pour les bateaux ? Toujours est-il qu'une sorte d'instinct ou d'obsession, l'entraîne sans fin sur les grèves, pour y récupérer épaves échouées, crânes ou squelettes d'oiseaux, symboles de mort, à partir desquels cet étrange magicien recrée une vie toute personnelle.
Sculpteur, Gwezenneg ? Peintre ? Peut-être faudrait-il créer à son usage, le mot "épaveur", pour qualifier l'artiste capable, comme Picassiette et autres bâtisseurs de l'imaginaire de créer à partir de rejets, ce fascinant bestiaire : tels les lointains drakkars, snekkas, etc., afin que ses œuvres puissent attirer l'attention de ses dieux, d'effrayer ses ennemis.
Parlant des pierres de Bretagne sur lesquelles elle écrit ou peint, Raâk André-Pillois disait récemment : "C'est le galet qui "veut". Il m'est arrivé, sans succès, de chercher à le "contrarier""... Aucun hasard non plus dans le cheminement de Gwezenneg : le nœud du bois, la branche burinée, déterminent à l'évidence le sens du travail et la destination de l'épave. A partir du moment (me semble-t-il) où il "sait" si sa création sera un éléphant, une barque ou un personnage, tel un orfèvre, il la cisèle : Ici, un petit crâne d'oiseau devient un nez ; là, des os minuscules disposés avec infiniment de délicatesse, forment un œil, une bouche… Ailleurs encore, des poils, des ficelles, des ossements, des concrétions faites de coquillages pilés, de terre et de sable, sont agencés de façon à former un corps humain, des îles tourmentées au milieu de plages plus calmes...
Nous pourrions en rester à ce stade de l'Art brut. Mais alors, entre en jeu le sculpteur qui travaille, torture tous ces matériaux, les imbrique, les indente, les "intègre" si complètement à l'épave originelle, que les éléments disparates forment un tout en complète harmonie.
Puis, intervient le peintre. Un réseau infini, inextricable de lignes (à l'encre ? à la peinture ?) très fines, semblables aux dessins des moucharabieh, couvre le bois, de sorte qu'à la fin, chaque partie de ces œuvres est devenue possession de l'artiste. Car il s'agit bien d'une prise de possession, une sorte de voyage initiatique vers ces bois noyés et retrouvés, vers le centre de la mer qui les a modelés et rendus.
Rendons enfin hommage au poète, car les titres de ces œuvres sont de petits bijoux : "Barque frag' des secrétions de Goury V", "Les gardiens du Cyclope de Lainps", "L'écorneur secréteur", "Barque frag' des Arac'hs", etc. "Goury" est-il un havre pour bateaux, si petit qu'il n'est même pas dans le dictionnaire ? Et "Arac'hs" est-il l'abréviation d'Arachné, cette tisseuse merveilleuse qui fut métamorphosée en araignée ? Ces titres qui pourraient, comme chez tant d'artistes, n'être que des redondances de l'œuvre, sont ici complémentaires, parfaitement "à leur place", eux aussi, près des "épaves". J.R.
A la relecture, je dirais que ce texte n’a pas pris une ride. N’était que trente ans dans la vie d’un artiste, créent incontestablement une différence : Il a gagné en technique, il maîtrise parfaitement ses grandes compositions organiques. Il sait désormais les magnifier, leur insuffler une si grande force que le visiteur reste bouche bée devant l’harmonie qui se dégage de cette monstration conçue en des teintes ocrées, douces ; devant ces sortes de reliquaires conjuguant l’esthétique, le sens et la vie.
L’intérêt de Gwezenneg pour l’origine de la vie, donc pour la mer, mais aussi pour la mort se manifeste en une œuvre, plastique, singulière et poétique, vivante, puissante.
Et, face à cette confrontation de l'artiste avec ses œuvres, ce visiteur s’interroge : Sérénité ? Humilité ? Arrogance ? Un brin d’humour ? Quelle que soit la réponse, ce sont des corps énigmatiques qu’il scrute, qu’il déchiffre pour en connaitre le sens, la fonction, en méditer la forme. Le titre unique de ces créations, choisi en la circonstance, lui donne-t-il des clefs pour découvrir ce qui se cache derrière ces “secrétions”, lui renvoie-t-il l’image de ce qu'il adviendra de lui dans le meilleur des cas ! Heureusement, pour ce spectateur, après ce périple contraignant, s’impose la certitude qu’il est le vainqueur ; que, malgré cette omniprésence de la mort à laquelle il vient d’être confronté, et du caractère inéluctable de son propre destin, pour lui triomphe la vie !
Il faut dire que toutes ces œuvres, confiées au commissaire d’exposition Didier Benesteau, étaient assurées d’être mises en lumière par ce passionné qui suit et admire le couple Gwezenneg depuis plusieurs décennies, avec lesquels il a un lien très fort et dont il aime la sincérité et l’humanité. Une fois encore, ce mécène a conforté ce que j’avais écrit de lui en 2022 :
« Lui-même artiste à sa manière, Didier Benesteau dont le propos est essentiellement d'aider tels peintres ou sculpteurs, les rarissimes dont le talent rend muets les visiteurs mais qui, trop souvent, malgré leurs immenses capacités, restent des inconnus ; exposer tels autres ; plonger dans les œuvres qu'il vient de découvrir, etc. : Un cœur gros comme ça, en somme. Et une réputation : Fidélité, amitié, convivialité, générosité, enthousiasme sont les maîtres-mots, et TALENT… Car outre les actions évoquées qui lui ont valu de jouer un rôle éminent dans l'évolution de créateurs contemporains, il met en scène les expositions qu'il offre ! Et les artistes en sortent encore grandis !
Que se passe-t-il donc ? A-t-il intuitivement le sens de l'orchestration harmonieuse d'un ensemble de créations qui appartiennent à d'autres ? A-t-il le talent particulier de placer le spectateur au centre d'une disposition scénique qui va faire jouer les sentiments, l'empathie, toutes sortes de conjectures, et finalement susciter le respect et l'admiration ? A-t-il si fort l'intuition immédiate de l'installation des œuvres, jouant de la configuration du lieu, la gamme des couleurs, l'éclairage, la lumière naturelle, une musique qu'il aura choisie ; qu'il sait valoriser une œuvre, mais aussi conjuguer des univers différents, voire apparemment opposés ? Il faudrait mille questions pour dire simplement que chacune des mises en scène de Didier Benesteau est originale et rend l'œuvre saisissante ! »
Alors, si vous passez par la Bretagne, ne manquez pas d’aller visiter cette somptueuse exposition. Assurément, vous en sortirez heureux et éblouis !
Jeanine RIVAIS
Entrée libre tous les jours : 10h/12h et 14h/18h.Exposition jusqu’au dimanche 5 janvier 2025. Contact : Didier Benesteau ; 06.24.38.31.73.
Image 1 : Portrait de Gwezenneg par Frédéric Kristiansson.
Les autres images sont de Michel Smolec. Toutes sont désignées sous le titre générique : « TRACES DE VIE SUBLIMÉES »
La Revue TRAKT a publié dans son numéro 24 un long article sur Gwezenneg et ses œuvres. Abonnez-vous