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Notre amie Muguette Bastide nous a quittés le 15 février 2024 au matin. Elle a été médecin du travail et a poursuivi jusqu'à la fin de ses jours son investissement politico-syndical marqué à gauche.
Etudiante, elle s'était inscrite dans l'atelier de Fernand Léger, non pour le style d'un artiste structuré, organisé, alors que son œuvre naissante était fouillis, foisonnement ; mais pour l'intérêt qu'elle portait à la peinture socialiste ; et pour la tolérance dont ce mentor faisait preuve à l'égard d'une jeune femme se réclamant de Goya, Soutine, des Expressionnistes allemands, et des Muralistes mexicains.
Toute sa vie, Muguette Bastide a été concernée par les problèmes de société. Fouisseuse, incapable de se satisfaire d'une relation faite par d'autres, elle allait in situ, voir ce qui se passait de par le monde. Et dessiner ce qu'elle y voyait…
Artiste, elle était en quête permanente de l'Homme. Mais pas l'homme dans ses attitudes conventionnelles ou ses sophistications civilisatrices : l'homme et ses instincts, ses analogies avec l'animal. Dans ce but, elle ne peignait que "des trognes" burinées par l'âge ou le vent, des personnages grossièrement habillés, dont les vêtements laissaient saillir des mains rugueuses ; des cols ouverts, des tendons bandés ; des jupons retroussés sur des genoux et des cuisses cabossés de cellulite… Elle saisissait en mouvement des paysans avançant corps arc-bouté derrière leur troupeau ; s'attardait sur l'immobilité d'individus assis, dos voûtés et épaules tombantes, leurs soucis gravés sur leur visage ; s'arrêtait sur d'autres, nus, tassés, recroquevillés comme les bêtes qui ont mal…
Tout cela dessiné au crayon ou à l'encre de Chine, peint sur papier, aquarelles ou gouaches, ou sur toile, huile ou pastel, voire techniques mixtes afin de multiplier les nuances… chaque œuvre s'organisant autour du sujet central, à partir duquel l'artiste équilibrait le reste de la toile. Jamais un trait net, elle commençait par une succession de coups de pinceau ou de crayon, les faisait se chevaucher, revenir, circonscrire la silhouette qu'elle avait en tête… Elle passait dessus des teintes claires et douces, les faisait cohabiter avec des noirs épais, ajoutait des bleus ou des rouges vifs… de sorte que l'œuvre terminée était toujours haute en couleurs directes, violente !
Tout de même, au bout de ce demi-siècle de révolte intérieure, sociale et politique, peut-être Muguette Bastide souhaitait-elle atténuer un peu cette violence ? Car au fil du temps, naquirent de nombreux paysages comme si désormais, son environnement la concernait. Les couleurs des portraits se firent plus nettes, plus tendres, comme si la main de l'artiste prenait la peine de les caresser, comme si elle se rapprochait psychologiquement de ses personnages : de petites coquetteries apparurent, tels ces nœuds dans les tresses d'une Fillette sur fond bleu… des complicités se nouérent où des couples conversaient dans les fauteuils d'un salon, (Maroc), où des "gens" étaient groupés autour d'une table ; Fierville les Mines, où des têtes se serraient en une chaude intimité ; (Rwanda), etc.
Faut-il en conclure que, sans quitter les thèmes qui lui étaient chers, Muguette Bastide s'était attendrie, avait pénétré au lieu de se contenter de les dénoncer, au cœur même des souffrances, des bonheurs, du quotidien de l'Homme ? Il semble bien que oui. Pourtant, aucun hiatus : cette "nouvelle vague" était venue tout naturellement se ranger sur les cimaises aux côtés de la création que l'on pourrait désormais qualifier d'"historique". Aussi prolifique que son cheminement précédent, bien sûr, car cette artiste avait tant et tant à dire ! Ce texte a été écrit en 1999, que ce jour, j'ai dû, hélas, mettre au passé.
Ces dernières années, presque centenaire, devenue aveugle, marchant à peine, elle a passé sa fin de vie dans une maison de retraite. Elle va nous manquer, nous qui avons aimé la femme et l'artiste.
Jeanine RIVAIS