LE ROMAN DE CELLE QUI PEINT, DE DANIELLE JACQUI
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Voilà un très long temps, puisqu'il nous ramène aux années 90, que je connais Danielle Jacqui, que je suis les péripéties de sa lutte pour trouver des lieux où pérenniser ses œuvres : peintures, sculptures, broderies, etc. Entretiens textes, sur ou avec elle, en attestent.
En 2009, j'avais écrit, la concernant et concernant sa maison, un texte dont la relecture ces jours-ci, à l'occasion de la parution de son livre, me dit qu'il n'a pas pris une ride ! Qu'il la définit toujours au mieux !
DANIELLE JACQUI et LA MAISON DE "CELLE QUI PEINT"
Définir Danielle Jacqui sur le papier est à peu près aussi facile qu'enfermer dans une bouteille un Djinn malin ; ou vouloir effacer des ailes d'un papillon en vol, les ocelles colorés ! Dire qu'elle est peintre équivaut à affirmer d'un homme-orchestre qu'il joue de l'harmonica ! Car elle est à elle seule le Djinn, le papillon, l'orchestre. Bien sûr, elle signe ses œuvres " Celle qui peint ", mais il semble que, dans son esprit, le mot définisse l'idée de couleur, d'ambiance et non l'idée de technique. Tenter, face à la pluralité de son travail, de séparer sculpture, peinture, collage, broderie, couture est illusoire : des peintures en relief, des sculptures peintes, des broderies devenues robes, des poupées aux grands yeux étonnés, des cailloux humanoïdes... ramènent à l'unique réalité : l'univers coloré de Danielle Jacqui, UN et INDIVISIBLE !
Sa poésie, également, cette manière qu'elle a d'exprimer sans sophistication ses souhaits de bienvenue en décorant la façade de sa maison : danseuses "slaves", "Indiens" emplumés, dragons et diablotins adressent leurs clins d'œil au passant, l'air de dire "Entrez donc voir les merveilles que nous gardons !" Il est logique d'apprendre que Danielle Jacqui a été brocanteuse : sa maison est foisonnement, objets personnalisés, meubles devenus sous ses doigts somptueusement "exotiques" ; un lieu privilégié où l'on a envie de fouiner, s'attarder, rêver, toucher du doigt les perles de l'armoire, s'exclamer ou rester coi devant un groupe cueillant des cerises au dossier d'une chaise, ou un tigre bâillant férocement au plafond d'une chambre !... Car elle aborde avec le même délire contes, légendes, poèmes ; adapte chacun à son gré ; recrée des émotions ; transcende son environnement. Et, s'il est une catégorie à laquelle elle appartient, c'est celle des Bâtisseurs de l'Imaginaire, les Tatin, les Picassiette... Comme eux, elle a un jour éprouvé le besoin irrépressible de rompre avec la banalité ; embellir son cadre de vie ; rendre à sa façon si personnelle et talentueuse, la culture qu'elle a glanée aux hasards de sa vie, tout en gardant à ce cadre, une dimension humaine!
Et il faut évoquer alors sa définition de son travail : Elle dit non pas "mon atelier", mais "la maison de Celle qui peint", ce qui est une façon de lier vie et création ; en même temps de prendre du recul par rapport à elle-même (se dédoubler ? refuser de se prendre au sérieux ?), être libre, en fait !
Par voie de conséquence, il n'est pas étonnant qu'aucun musée ne l'ait exposée ! Il faudrait la cerner, la classer, la "reconnaître" ! Ce serait rassurant. Or, Danielle Jacqui n'est ni cernable, ni rassurante. Pire, au lieu de composer avec les prudents, les peureux, les soucieux d'académisme, elle transmue LA MAISON DE CELLE QUI PEINT en musée ouvert à tous les amoureux de l'art total ; crée dans son village un festival d'Art Singulier ; assume parmi les médias nouvellement conquis sa stature d'"excentrique" s'exprimant hors du temps et hors des modes !
Bref, l'orchestre joue bien à l'unisson, le papillon emporte bien vers les cimes ses ocelles vibrants de couleurs, la bouteille est bien vide, car à travers le monde, court le Djinn...
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Près d'un quart de siècle s'est écoulé depuis notre rencontre chez les Caire, lors d'une réunion autour du Bulletin... Depuis, j'ai eu le plaisir d'apprendre au fil des années que certaines difficultés se sont aplanies pour l'artiste : Qu'à Montélimar une très importante exposition pour laquelle elle avait œuvré pendant des mois, attirait des foules ; qu'à Draguignan, outre "La Dragonne" réalisée dans un jardin avec Emmanuelle Not ; ses fresques ornent désormais la chapelle de l'Observance, et que son "ORGANuGAMMusEum-Danielle Jacqui" vit à jamais dans la chapelle Saint-Sauveur sur les hauteurs de la ville. Il est bon de savoir aussi qu'après le reniement d'Aubagne qui projetait de couvrir de ses sculptures la façade de la gare, Danielle Jacqui a enfin reçu de Renens -en Suisse- l'agrément pour la construction de son ORGANuGAMME II, magnifique monument, récemment inauguré.
Et puis, récent événement dans la vie de l'artiste, la publication de son "Roman de Celle qui peint", qui couvre sa vie de 2002 à 2005. "Roman" ? "Certes, elle y raconte ses rencontres, ses hésitations, ses déboires. Son quotidien, sa solitude, les visites des amis et des curieux qui découvrent la façade... Elle s'y révolte contre sa condition sociale, contre les préjugés, les fonctionnaires et les imbéciles. Elle fait entendre dans ses écrits, comme dans toute son œuvre, un immense cri de liberté" (¹) et, quelle que soit la forme sous laquelle elle évoque tous ces sujets, récits, poèmes en prose, style journalistique, narrations, etc…, elle y parle d'elle artiste.
MAIS, Contrairement à ce que tout lecteur attendait, ce livre est surtout SON Histoire d'Amour, car "il y avait LUI, tout ou rien. Mais il y avait la vie. Sa Rivière, la Mienne aussi", son rapport chaotique avec celui qu'elle appelle Swan (²). En fait, c'est cet homme et les avatars de leur relation qui sont la colonne vertébrale de l'ouvrage ; ses retours répétitifs sur les défections, promesses non tenues, disparitions ou retours aléatoires de ce Swan. Pourquoi en est-elle tombée si follement amoureuse ? Pour son charme, bien sûr, puisqu'elle lui répète sans cesse qu'elle le trouve beau ; mais surtout, et elle y revient souvent, très souvent, parce qu'elle est malade de solitude. Et il ne faut pas oublier la capacité de celui qui est entré par hasard dans sa vie, de lui donner un plaisir qu'à son âge elle n'espérait plus. La rendre femme, belle ; redonner à Danielle Jacqui-femme des sensations oubliées, une jeunesse qu'elle croyait disparue. Une telle folie amoureuse agace parfois la lectrice que je suis, qui la voudrais résiliente, correspondant à l'image qu'elle a toujours donnée, mais, moi-même solitaire, comment réagirais-je ?
Chaque lecteur de cet ouvrage lui trouvera aussi un aspect inattendu : Aussi attentif ait-il pu être à l'évolution de Danielle Jacqui, quels que soient les kilomètres parcourus pour l'accompagner ; alors qu'il croyait tout savoir sur elle, il s'aperçoit qu'en fait, il ne sait pas grand-chose ! Par exemple, sachant qu'elle est allée deux fois aux Etats-Unis, qu'a-t-il imaginé ? Il ignorait, bien sûr qu'elle y allait pour travailler aussi intensément que dans son atelier ou son garage de Pont-de-L'Etoile : qu'en fait elle souhaitait laisser là-bas une trace de son passage, tentative jamais facile, et parfois infructueuse et il faut lui reconnaître sa grande qualité de vérité : s'il y a échec elle le raconte avec autant de verve que s'il y a réussite. Il lui faudrait donc relever dans "Le Roman de celle qui peint" tout ce qu'il croyait savoir et qu'elle avait su jusque-là préserver comme faisant partie de sa vie privée : les amitiés, la fidélité, ses questionnements sur son enfance, avec toujours en leitmotiv, un père inexistant et le manque de tendresse de sa mère ; sa vie avec Claude, son mari de vingt-six ans, et l'apparition à peine évoquée de François !
Et puis, il aurait, depuis toujours, été difficile de placer Danielle Jacqui dans une "case" : était-elle "brute" ? Bien trop cultivée pour cela. Etait-elle "singulière" : au sens d'originale, aucun doute, mais au sens de l'évolution de l'Art singulier ? trop indépendante pour s'en contenter ! Dans l'un de ses chapitres, elle met ainsi les pendules à l'heure : "Entre les définitions de populaire, savant et aussi visionnaire, il n'y a qu'une seule alternative". Et citant Dubuffet, elle ajoute : "Il y a art ou pas, et il est vrai :'Dès que l'on prononce son nom, il se cache'. Et c'est là la difficulté". Difficile donc de conclure, et mieux vaut ne pas essayer, se contenter de déclarer qu'elle est une marginale désireuse d'obtenir pour son œuvre la reconnaissance qu'elle mérite.
Aujourd'hui, Danielle Jacqui est octogénaire, et il semble bien qu'elle ne s'est toujours pas habituée à la solitude. Ses publications quasi-quotidiennes sur Facebook en attestent ! Par contre, elle reste toujours aussi combattive (la preuve en est le si original module déjà évoqué, construit à Renens, qui implique des milliers d'heures de création des éléments sculptés, puis la vigilance lors de la construction). Et si quelqu'un en doutait, il lui faut lire la dernière phrase (à double sens, l'homme des bois évoqué, ne serait-il pas Swan appuyant sur la sonnette, preuve que le cœur de Danielle Jacqui est toujours aussi vivant, et que sa vivacité d'artiste est intacte), publiée sur le rabat de la couverture de son livre : "Sonne notre Messe, mon cœur, sonne. Bats-toi. N'oublie pas. C'est si bien".
Jeanine RIVAIS