LE MUSEE DE L'ARACINE A FETE SES 40 ANS

AU LAM DE VILLENEUVE D'ASCQ

25 juin 2022

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          1982 : Deux femmes, Madeleine Lommel et Claire Teller, qui ont commencé, sous l'influence de Slavko Kopac alors grand protecteur de la Collection de Jean Dubuffet, à s'intéresser aux créations d'Art brut, sont choquées que cette collection, refusée par André Malraux (alors ministre de la Culture), soit en partance pour la Suisse. Elles décident donc de créer une nouvelle collection, dans le même esprit puis de fonder une association. Elles s'adjoignent alors Michel Nedjar qui a plusieurs fois répété hier : "Je ne connaissais rien aux associations, mais quand Madeleine demandait, il était impossible de refuser". La collection est bientôt hébergée au château de Nogent-sur-Marne et Madeleine Lommel décide de la nommer "Musée d'Art brut". Au grand dam de Michel Thévoz qui, responsable de la Collection d'Art brut et la Neuve invention, désormais installée à Lausanne, affirme que ce mot doit être exclusivement réservé à cette dernière. Mais Dubuffet n'a jamais déposé ce dénominatif. Il est donc du domaine public ! 

          Au cours de l'entretien que j'avais réalisé en 1997 avec Madeleine Lommel ; je lui avais posé la question :

      J. R. : Comment en êtes-vous venus à nommer votre Musée d'Art brut "L'ARACINE" ? A considérer grammaticalement ce mot, il semble formé du préfixe "a" privatif ; et de "racine" : donc, il devrait signifier : "qui n'a pas de racines".

Avez-vous pensé à l'étrangeté de ce paradoxe, appliqué à un lieu foisonnant d'œuvres qui, justement, plongent au plus profond de leurs racines ?

          M.L.: L'Aracine ! "La Racine" fut d'abord retenue. Puis, le mot "art" s'inscrivant phonétiquement dans cette appellation, la décision fut prise de scinder le nom par un "L'". Cependant, d'après différentes étymologies, le "a" peut aussi signifier "extraire des racines", ou bien encore "prendre racine".

          J. R. : Quel sens donnez-vous finalement au mot "Aracine" ? D'où vous en est venue l'idée ?

          M.L.: Nous avons choisi comme emblème, une oeuvre de Josué Virgili : "La RACINE", inscrite sous le soleil (qui brille sous toutes les latitudes), "fait pousser". Et la langue tirée, qui signifiait aussi pour Virgili "faire bisquer", est un symbole universel fortement exprimé à la fois par l'image et par le titre.

Au-delà du symbole, le mot signifie : Les Amis Réunis Autour d'une Création Intemporelle, Novatrice, Essentielle ! (¹)

 

          Les années ont passé. Les trois protagonistes fatigués, et le lieu d'accueil devenu trop vétuste, il fallait commencer à penser à donner les œuvres de l'Aracine. 

          J. R. : Vous étiez installés à Neuilly-sur-Marne : Pourquoi avez-vous dû quitter la ville ? Et comment en êtes-vous venus à migrer dans le Nord ?

           M.L.: Quitter la ville devenait une obligation, si nous ne voulions pas que la collection périclite : Nous n'avons pas de moyens financiers personnels. La mauvaise santé de chacun de nous trois, mon âge avançant, le peu d'intérêt de la ville qui n'a aucune ambition culturelle ; enfin, le bénévolat que n'aurait pu exercer quiconque après nous, ont fait que, depuis trois ou quatre ans, tout en ayant encore quelques folles espérances, cette solution était envisagée.

Et puis, Henri-Claude Cousseau que j'avais rencontré en 1983 et pour qui j'ai une profonde estime, a quitté Nantes et pris un poste élevé à la Direction des Musées. J'ai cherché à le revoir. Il a compris la situation, et fait en sorte que les choses aillent dans le sens que nous souhaitions : J'avais, en effet, une tendresse particulière pour le nord de la France. C'est ainsi que les choses se sont amorcées. (¹)

Finalement, le musée de Villeneuve-d'Ascq a accepté la donation. 

          J. R. : Le changement de lieu va-t-il générer un changement de statut ? Si oui, comment vivez-vous cette mutation ?

          M.L. : Pour l'heure, rien n'a changé. Les œuvres appartiennent toujours à l'Association. Bien sûr, cela ne durera pas. Nous nous préparons à ce changement. C'est d'ailleurs la raison qui nous a fait quitter Neuilly ; plutôt que d'attendre que l'équipe soit décimée et ne puisse plus préparer l'avenir !

          J. R. : Ne craignez-vous pas, en partant pour cette tentaculaire ville du Nord, déjà organisée autour de l'art conventionnel, voire "officiel", que votre "enfant" vous échappe ? Que sa vocation soit changée ?

Ainsi, la dispersion des œuvres en divers lieux de Villeneuve-d'Ascq ne risque-t-elle pas d'amoindrir l'impact des œuvres ? On ne peut nier, en effet, que la force d'une collection vienne de ce que le spectateur passe, sans transition et sans répit, d'une œuvre forte à une œuvre forte de facture différente, sans possibilité de "se remettre de ses émotions" ?

          M.L. : Nous craignons pour notre collection, tous les dangers ! Mais nous sommes bien décidés à veiller sur elle et à organiser son avenir !

Nous comptons également sur les adhérents qui ne doivent pas hésiter à donner leur opinion, souligner ce qui les choque, intervenir chaque fois qu'ils le jugent utile !

Issus des écoles, habitués à certaines lignes de pensées, les conservateurs qui nous accueillent, s'attellent à quelque chose qu'ils n'ont jamais approché : ils doivent donc s'attendre à nos éventuelles réactions. Mais le jeu en vaut la chandelle. Et c'est à nous d'imposer nos connaissances. Toute aventure implique des risques : le tout est de ne pas les mésestimer.

Les différentes expositions qui ont actuellement lieu à Villeneuve, n'ont rien à voir avec notre collection : ce sont des collections de différents organismes, ou des collections privées.

 

          Le 13 janvier 1999, sont signés les statuts de la donation en l'étude de Maître Dauchez, notaire à Paris. (²) Cette assemblée générale extraordinaire avait lieu à la demande des trois fondateurs de l'ARACINE : Madeleine LOMMEL, Michel NEDJAR et Claire TELLER ; et en présence d'une partie des membres du Conseil d'administration, (dont Michel et moi, ce dont nous sommes fiers !!)

          Les craintes de Madeleine Lommel se sont souvent matérialisées, et la création de l'aile spéciale du musée devenu le Lam et le transfert des œuvres n'ont pas été un long fleuve tranquille ! Jusqu'à sa mort, elle a défendu bec et ongles l'installation de la collection ! 

          L'Aracine est installée depuis près de deux décennies au Lam de Villeneuve-d'Ascq. De nombreuses donations, parfois très importantes l'ont enrichie en particulier celles de Michel Nedjar et Marcus Eager et autres que nous avons inaugurées en décembre 2021.

 

          25 juin 2022 L'Aracine fêtait ses 40 ans ! Ce fut une journée magique, au cours de laquelle les membres de l'Association eurent le plaisir de voir certaines œuvres de "Planètes brutes" exposées à la suite des précédentes ; puis "Les jardins barbares" installation qui reproduisait (à l'exception de quelques œuvres des temps héroïques aujourd'hui disparues) l'exposition réalisée en 1982 à Aulnay-sous-Bois et qui avait initié la création de l'Aracine. 

          Puis des échanges/souvenirs se sont déroulés entre Michel Nedjar, Bernard Chérot (Président de l'Association), Savine Faupin et Jean-Christophe Boulanger. 

          Enfin, le compositeur/musicien Philippe Cohen-Solal et Mike Linday ont présenté l'album "Outsider" qu'il s ont composé à partir de deux œuvres de Darger appartenant au musée ; l'un animant les scènes et les personnages, l'autre créant une belle musique sur ces œuvres.

          Mais le plus émouvant a été, à la fin du repas, le moment où Michel Nedjar est venu souffler les 4 bougies symboliques des 40 ans, et a eu le plus grand mal à ne pas pleurer en essayant de rappeler les grands moments de l'histoire de l'Aracine ! 

Jeanine RIVAIS

(¹) Voir l'entretien entier sur mon ancien site : http : //jeaninerivais.fr Rubrique ART BRUT. "L'Aracine musée d'Art brut, Entretien".

(²) C'est le notaire qui avait déjà œuvré lors de la donation de la Collection Dubuffet. 

VIRGILI : La Racine devenue l'emblème de l'Aracine